Art de la guerre monétaire et économique

Le cheval de Troie de la Troïka : Syriza va-t-il capituler en Grèce? (Pepe Escobar)/ Le Grexit s’est déjà produit, mais l’Europe ne le sait pas/Le vrai coût de la dette grecque/ Grèce : vers un retournement des alliances

Le cheval de Troie de la Troïka : Syriza va-t-il capituler en Grèce? Par Pepe Escobar

Pepe Escobar
Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 6 février 2015 -Source RT

La tragédie grecque de 2015 est une mauvaise version (financière) remixée de la Guerre de Troie. Sauf qu’aujourd’hui, la nouvelle troïka, formée de la Banque centrale européenne (BCE), de la Commission européenne (CE) et du Fonds monétaire international (FMI), tient le rôle de la Grèce, tandis que celle-ci est la nouvelle Troie.

 

Reuters/John Kolesidis

Il est clair que la BCE ne va pas y aller de main morte pour faire de la Grèce un État européen en déliquescence. Sa logique étant qu’il faut en empêcher d’autres, comme l’Espagne, et même la France dans un avenir pas si lointain, de fomenter de drôles d’idées. Ou tu rentres dans le rang de l’austérité, ou on j’t’la joue à la flamme moyenâgeuse.[L’affrontement est déjà entré dans la légende. Après que Varoufakis est resté ferme dans son refus de discuter avec la troïka… le président de l’Eurogroupe Dijsselbloem lui a glissé quelques mots à l’oreille… comme une réplique à la Pulp Fiction, genre: Je vais t’la jouer à la flamme bien moyenâgeuse, NdT]

C’était tellement prévisible que la destinée d’Athènes, de l’euro en fait, aboutirait entre les mains du président de la BCE, Mario Maître de l’UniversDraghi, pourvoyeur de la nouvelle estimation trimestrielle qui, en théorie, prévoit de donner un peu plus de temps aux pays européens ravagés par l’austérité pour poursuivre leurs réformes.

Un bref historique est nécessaire. La troïka a imposé à la Grèce un racket économique, mais c’est la population grecque qui en paie le prix. Essentiellement, la dette publique grecque est passée du privé au public lorsque la BCE et le FMI ont sauvé les banques privées (allemandes, françaises, espagnoles). La dette est évidemment montée en flèche. La troïka est intervenue, pas pour sauver la Grèce, mais pour sauver le système bancaire privé.

La BCE a acheté la dette publique des banques privées à prix fort, parce qu’elle ne peut pas acheter la dette publique directement de l’État grec. La cerise sur ce mille-feuilles, c’est que les banques privées ont trouvé les liquidités pour acheter la dette publique de la Grèce. Et auprès de qui? De la BCE, bien sûr, et ce à des taux d’intérêt ultralégers. C’est purement et simplement du vol et ce sont les voleurs qui ont établi les règles du jeu d’un bout à l’autre.

MAIS OÙ EST NOTRE ARGENT ?

Le résultat, c’est qu’Athènes est maintenant en faillite. Le ministre des Finances de la Grèce, Yanis Varoufakis, a au moins entrepris sa tournée européenne avec une proposition louable : la BCE pourrait transférer à la Grèce 1,9 milliard d’euros adossés à des obligations grecques; relever de 10 milliards d’euros le plafond du montant des obligations d’État à court terme; et ouvrir une ligne de crédit d’urgence avec les banques. Dès le départ, l’élément clé pour Varoufakis c’était d’ouvrir la voie à une renégociation du plan de sauvetage de 240 milliards d’euros de la troïka.

Les faucons de la BCE, comme le Finlandais Errki Liikanen, ont rejeté cette proposition d’un revers de main, en insistant sur le fait qu’en l’absence d’une entente globale, qui équivaudrait à une reddition de la Grèce, pas le moindre euro ne sera donné à Athènes.

Quelle corvée pour Varoufakis et le premier ministre Tsipras, que cette tournée européenne dans le rôle de mendiants suppliants faisant face à une étincelante collection de mafieux doucereux, dont le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, le va-t-en-guerre Donald Tusk.

La semaine prochaine se tiendra une réunion extraordinaire de l’Eurogroupe. Elle précédera un sommet européen le 12 février à Bruxelles, qui ne manquera pas de faire des étincelles.

BREF, C’EST MAL PARTI!

Varoufakis a essayé de garder sa contenance, en continuant de dire qu’une sortie de la zone euro serait extrêmement préjudiciable à la Grèce. Ce serait encore plus préjudiciable si Syriza abdiquait totalement en faveur des Maîtres de l’Univers néolibéraux. Cela ne ferait que prolonger indéfiniment la crise économique en Grèce et pourrait finir par amener les fascistes du parti Aube Dorée au pouvoir.

Varoufakis, lors d’une conférence de presse à Berlin avec le ministre allemand des Finances Wolfgang Schaüble, n’a pas manqué de souligner que même en se disant d’accord avec 67% du plan en cours, il ne règle en rien le problème de la corruption et de la fraude fiscale en Grèce, qu’il n’est question que du remboursement et non de la remise sur les rails de l’économie grecque.

Pour sa part, Schaüble, c’était prévisible, a proféré une menace à peine voilée d’un avenir incertain sans programme de sauvetage. Le dorénavant célèbre nous ne sommes même pas tombés d’accord sur le désaccord de Schaüble cachait en fait une main de fer dans un gant de velours.

Rien ne laisse croire que des négociations complexes pendant au moins quelques mois suivront, au moment où Athènes tente de revoir sa façon de transiger avec la troïka. La BCE fait comme si la Grèce était condamnée. Elle laisse tomber Syriza en soutenant du même coup les fascistes d’Aube Dorée. Un exemple éloquent de la manière dont la banque centrale voit ladémocratie.

Y A QUELQU’UN POUR BOMBARDER FRANCFORT?

Finalement, nous en arrivons à ceci : sans les liquidités de la BCE (sans au moins un peu de liquide d’ici la fin du mois), la Grèce risque de revenir aux drachmes en n’ayant même pas tiré un seul coup. Ils sont pourtant des légions partout en Europe à le souhaiter. En parallèle, de Lisbonne à Rome, on murmure que si la BCE avait agi de la sorte auprès d’un pays relativement bien armé, les chars d’assaut seraient dans les rues. (Mais pour faire quoi ? Bombarder Francfort ?)

Varoufakis insiste : Nous ne capitulerons pas. Ce qui se traduit essentiellement par un défaut de paiement de la Grèce. Nous n’en sommes pas encore là pour l’instant. À très court terme, Draghi sait aussi que si la Grèce obtient une partie des liquidités qu’il lui faut à court terme, ce serait la guerre contre la Bundesbank. Mais cela n’arrivera pas, car la BCE et la Bundesbank sont des complices dans le crime.

La BCE et la Bundesbank sont arrivées de nouveau à la conclusion qu’il n’y a pas de risque de contagion, même si la Grèce quitte la zone euro. Lastratégie ne vacillera pas. On écrasera la Grèce et tout ira pour le mieux, l’économie à la terminator de la troïka pourra continuer à fouler aux pieds des pays en entier.

Méfiez-vous des Maîtres de l’Univers qui sont tout sourire. Draghi et les brutes de la BCE, tout de Zegna vêtus [marque de fringues de luxe pour hommes, NdT], auront beau nous faire leurs plus beaux sourires, ce qu’ils démontrent à nouveau de façon sans équivoque, c’est jusqu’à quel point le système des banques centrales est l’ennemi mortel de la démocratie.

Traduit par Daniel, relu par jj pour Le Saker francophone

http://lesakerfrancophone.net/le-cheval-de-troie-de-la-troika-syriza-va-t-il-capituler-en-grece/

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

Olivier Delamarche et Pierre Sabatier sur BFM Business le 09/02/15

Le Grexit s’est déjà produit, mais l’Europe ne le sait pas¨Par Eric  Verhaeghe

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Il n’y a pas si longtemps (trois ans à peine), ceux qui évoquaient la mort de l’euro, la sortie de l’euro, la faillite de certains Etats européens, passaient pour fous ou pour infréquentables. Nous n’étions pas nombreux à oser dire ce qui se murmurait tout bas dans les couloirs de la finance, et qu’un nombre grandissant d’experts disent tout haut aujourd’hui: des pays comme la Grèce ne pourront pas rembourser leurs dettes et se posera tôt ou tard la question de leur défaut.

Pendant tout ce temps, une sorte de tabou a régné sur cette question, jusqu’à ce qu’intervienne la rupture inévitable imposée par les tabous que l’on ne veut pas briser: une majorité parlementaire s’est dégagée, favorable à un défaut partiel de la Grèce, et à un desserrement au minimum provisoire de l’étau dans lequel la Troïka a enfermé le pays. On en pense ce qu’on en veut, mais cette issue politique était extrêmement prévisible, comme elle l’est en Espagne, et comme elle l’est en France. Prévisible ne signifie ni certaine ni inévitable. Mais… les risques sont réels et la présomption de les voir se réaliser est forte.

Il est assez fascinant de voir avec quelle obstination la cécité peut régner parmi les élites occidentales. Quelques jours après la victoire de Syriza, des esprits bienfaits continuaient à nier l’évidence: l’Europe est confrontée à une grave crise politique, consécutive à sa grande dépression économique. Je sais qu’il existe une chape de plomb qui interdit de demander officiellement: jusqu’où ira cette crise? En attendant, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’entre les affrontements armés en Ukraine et les tensions avec la Grèce, la paix qui nous était présentée comme la plus grande réalisation de l’Union Européenne est en train de vivre quelques moments difficiles.

Donc, la question est: jusqu’où ira cette crise? Là encore, les chiens de garde de nos régimes décadents aboient une sorte de « circulez, il n’y a rien à voir ». Un Moscovici a expliqué depuis le début que l’arrivée de Syriza ne comportait aucun danger de crise systémique pour l’Union. Il fait partie de ces gens qu’il faut toujours écouter à l’envers: quand il vous assure qu’un événement ne peut pas se produire, c’est qu’il est déjà dans les tuyaux. La réunion de l’Eurogroupe demain en est la preuve: les pays européens se réunissent en urgence pour forcer Athènes à respecter des engagements contre lesquels Syriza a été élu. Jamais les problèmes d’un Etat membre de l’Union n’avaient été traités autour d’un tel rapport de force, aussi frontal, aussi binaire: soit la Grèce se soumet, soit elle se démet.

L’Europe ne veut pas se l’avouer, mais le Grexit est d’ores et déjà consommé. Même si la Grèce reste dans l’Europe, ce ne sera pas par amour, mais par raison et par obligation. Même si la monnaie unique reste une valeur d’usage en Grèce, le message qui est passé au peuple grec a tué l’idée européenne: vous n’avez plus le choix, vous devez rester dans une organisation qui ne vous aime guère, qui vous méprise et qui attend juste de vous que vous payiez vos dettes.

Il existe au fond deux formes de Grexit: celui qui formalise la sortie de la monnaie unique, et celui qui, sans le dire clairement, prend la forme d’un désamour envers l’Union. Ce dernier Grexit-là est consommé…

http://www.eric-verhaeghe.fr/swissleaks-grexit-deux-amusantes-maladies-europeennes/

Le vrai coût de la dette grecque

André Grjebine  |  12/02/2015, La TRIBUNE

Une annulation de la dette grecque serait beaucoup moins coûteuse pour la France qu’envisagé par nombre de commentateurs. par André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po, Centre d’Etudes et de Recherches Internationales

La Grèce est incontestablement le mauvais élève de la zone euro, affligé d’un Etat inefficace et corrompu et d’une économie en perdition. La priorité doit donc être d’aider la Grèce à restaurer – ou plutôt à instaurer – un véritable Etat. Faute de quoi, l’aide accordée se perd dans les circuits administratifs, à moins qu’elle ne soit détournée par la corruption. La politique d’austérité imposée par la troïka n’a pas répondu à cette exigence. Elle n’a fait qu’appauvrir les pauvres et la classe moyenne (les dépenses de santé et d’éducation ont ainsi été réduites) sans s’attaquer à la corruption et en renforçant la désorganisation généralisée du pays. De surcroît, elle a rendu plus problématique encore le remboursement des dettes. A endettement public constant, la baisse du PIB accroit, en effet, automatiquement le rapport dette/PIB. Il est curieux d’obliger un pays se trouvant dans un tel état de décrépitude d’avoir un large excédent budgétaire primaire (hors paiement de la dette).

Les opinions publiques seraient opposées à des efforts en faveur de la Grèce

L’objection généralement opposée à un relâchement de l’austérité est qu’après les mesures déjà prises en 2012, les opinions publiques européennes ne sont pas disposées à faire de nouveaux efforts en faveur de la Grèce.
Tout d’abord, le gouvernement grec ne demande pas aujourd’hui une annulation de la dette, mais d’une part de transformer les emprunts auprès de la BCE en emprunts perpétuels. L’État grec continuerait à payer des intérêts, mais n’aurait plus à rembourser le capital. D’autre part, les prêts accordés par l’Union Européenne seraient indexés sur la croissance c’est-à-dire que les paiements seraient réduits quand la croissance est faible et augmentés quand elle est forte. Dans cet esprit, on pourrait également imaginer que les prêts ne soient remboursables qu’à partir d’un certain niveau de croissance, celui à partir duquel celle-ci deviendrait créatrice d’emplois.

Dans l’hypothèse d’un défaut de paiement de l’État grec…

Mais, supposons même une annulation partielle de la dette grecque, voire un défaut de paiement de l’État grec. Cela signifiera-t-il que chaque Français devra débourser 700 ou 800 euros d’impôts supplémentaires comme on l’entend dire ici ou là ? A cela, Matthieu Pigasse, directeur général de la banque Lazard en France, missionné pour conseiller le gouvernement grec, répond que l’impact d’une telle mesure serait « quasi nul » (cf l’article paru dans La Tribune“une annulation de la dette grecque n’aurait pas d’effet sur les impôts en France”. Les prêts bilatéraux accordés par les États membres (52,9 milliards) à la Grèce ont été financés par des emprunts du Trésor public de chacun d’eux.

En France et il en est de même ailleurs, quand des emprunts contractés par l’État viennent à échéance, l’Agence France Trésor emprunte de nouveau sur le marché pour les rembourser. L’État étant assuré de la pérennité, ce processus n’a pas de limite temporelle, un emprunt prenant le relais d’un autre. Les contribuables ne voient donc jamais leurs impôts augmenter pour ce motif. Il en serait de même dans le cas envisagé. Seule la perte de recettes résultant de la cessation des intérêts versés par l’État grec pèsera sur notre solde budgétaire. Il faudra compter à la longue sur l’inflation pour effacer cette charge supplémentaire.

La BCE pourrait couvrir ses pertes

En ce qui concerne, les créances détenues sur la Grèce par la BCE et l’Eurosystème (27 milliards), la BCE, seule émettrice de la monnaie ayant cours légal, pourrait couvrir elle-même ses pertes. En supposant que, pour des raisons juridiques, elle demande aux banques centrales nationales (BCN) de la refinancer, celles-ci se retourneront vers leur Trésor public qui émettra, pour ce faire, des titres publics. En fin de compte, ceux-ci pourront être rachetés sur le marché secondaire par la BCE. On en reviendra donc au cas envisagé précédemment. Il en sera de même pour le Fonds européen de stabilité financière (141,8 milliards) auxquels les règles de la zone euro interdisent de se refinancer directement auprès de la BCE.

Une annulation moins coûteuse qu’annoncé

Les deux positions extrêmes évoquées ci-dessus -un coût de plus de 700 euros par français ou un impact quasi nul –  paraissent exagérées dans un sens ou dans l’autre. Les 42 milliards (prêt bilatéral, part de la France dans les prêts accordés par l’Eurozone) que la France ne va pas récupérer auraient pu être dépensés d’une autre manière ou se solder par une réduction de notre déficit budgétaire. Mais, l’évolution structurelle de notre solde budgétaire ne serait pas modifiée. Le rebond exceptionnel du déficit budgétaire ne devrait donc pas être comptabilisé par les autorités de Bruxelles dans leur calcul du ratio dette/PIB. En revanche, la diminution de notre endettement public, qui se serait produite dans l’hypothèse d’un remboursement de la dette grecque, n’aura pas lieu. Sans être négligeable, une annulation partielle (ou totale) de la dette grecque serait donc moins coûteuse pour les contribuables que les chiffres alarmistes généralement avancés.

En cas d’échec ce Syriza, le risque d’une coalition d’extrême droite

En revanche, un échec du gouvernement Syriza – quasi certain si les européens ne lui viennent pas en aide – risque d’amener au pouvoir une coalition anti-européenne d’extrême-droite formée du parti néo-nazi Aube Dorée et du parti populiste, Grecs indépendants, ce dernier participant déjà au gouvernement actuel. Une sortie de la Grèce de la zone euro et sans doute de l’Union Européenne susciterait le doute sur la stabilité de la zone euro, mais surtout elle montrerait qu’il s’agit d’une option réellement envisageable, au risque d’encourager d’autres Etats à suivre cet exemple. L’Union Européenne doit donc tout faire pour éviter de courir ces risques.

André Grjebine, Directeur de recherche à Sciences Po, Centre d’Etudes et de Recherches Internationales. Récemment publié : « la dette publique et comment s’en débarrasser » (PUF, 15/1/2015)

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20150212tribbeedeed26/le-vrai-cout-de-la-dette-grecque.html

‘La formule proposée par le gouvernement grec pour restructurer la dette de la Grèce est une bonne idée’

Le 2 février, Yanis Varoufakis, le ministre des Finances grec, a dévoilé un plan de rééchelonnement de la dette grecque lors de sa visite en Grande-Bretagne. Ce plan prévoit notamment de remplacer les prêts d’urgence de la Grèce par des obligations indexées sur la croissance économique.

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