Les traders 2.0 s’informent sur Twitter
Sebastien Dubas/ Le Temps 17/8/15
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Les réseaux sociaux sont devenus aujourd’hui un outil indispensable dans les salles de marchés financiers
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L’information financière, souvent décalée, circule très vite sur le réseau social. Ce qui n’est pas sans risques. Deux banquiers expliquent l’usage qu’ils en font
Les traders, analystes et autres économistes se sont presque tous mis à Twitter. Le site de microblogging, où les messages ne dépassent pas 140 caractères, représente pour eux un moyen de s’informer rapidement sur l’actualité financière ou des thématiques précises qui les intéressent. Avec, bien souvent, un ton plus léger que celui qui prévaut sur les canaux usuels.
Les sites d’informations financières, les médias traditionnels, les agences de presse, les banques et les entreprises ont saisi le changement et disposent tous, désormais, d’un compte sur le réseau social. A leurs côtés, de nouveaux acteurs alternatifs, sortes de «gourous» de la finance 2.0 suivis par des centaines de milliers de personnes.
Le blog financier Zerohedge est probablement l’un des plus emblématiques. Il compte quelque 272 000 «followers» et a déjà tweeté plus de 200 000 fois depuis son inscription en 2009. Il avait, par exemple, annoncé la démission de Philipp Hildebrand avant tout le monde en janvier 2012. Plus près de nous, à Zurich, Russian Market compte 137 000 abonnés. Préférant garder l’anonymat, cet hyperactif commente quasiment non-stop l’actualité financière mais aussi la politique internationale.
A Genève, Olivier* travaille dans une banque privée. Il conseille les clients qui souhaitent investir dans les hedge funds. Sur Twitter, «GekkoWire», son pseudo assorti d’une photo de Michael Douglas, alias Gordon Gekko dans le légendaire Wall Street, compte 2239 abonnés. Entre une vidéo de «free fight» et un commentaire sarcastique, il donne son avis sur les actions qui l’intéressent.
Mais «GekkoWire» ne fait pas que ça sur Twitter. Il s’informe aussi sur les sociétés qui l’intéressent lui et ses clients et pour savoir ce qui se passe sur les marchés. «On y lit des choses que l’on ne trouve nulle part ailleurs, explique-t-il par téléphone. C’est aussi un bon moyen de se faire un résumé de la journée en accéléré en fin d’après-midi.» Selon lui, les traders utilisent aujourd’hui Twitter comme ils utilisaient Google hier. La rapidité en plus.
Olivier suit une petite centaine de comptes triés sur le volet. Des traders pour la plupart qu’il connaît de nom ou de réputation. «Je suis des gens qui tweetent des idées d’achats ou de ventes de titres», explique-t-il avant de citer John Welsh en exemple, un trader spécialisé dans la biotech. Et puis il y a aussi Gotham City Research, une société de recherche financière qui livre en pâture les titres d’entreprises qu’il faut «shorter», ou vendre à découvert. «Ils ont récemment pointé du doigt une société espagnole, souligne-t-il. L’action a perdu 60% en deux jours. L’entreprise a finalement reconnu une fraude, preuve que les allégations publiées sur Twitter étaient basées sur de la recherche et pas sur des rumeurs.» Ce qui n’est pas toujours le cas, reconnait-il, tout en précisant qu’il appartient à chacun de «faire le tri» et de bien choisir les comptes que l’on décide de suivre.
Car on peut trouver tout et son contraire sur Twitter. Et même les sources réputées les plus fiables ne sont pas à l’abri d’un couac. En avril 2013, le compte de l’agence Associated Press s’est ainsi fait pirater. S’en est suivie une fausse annonce d’un attentat perpétré au sein même de la Maison-Blanche et qui aurait blessé Barack Obama. En trois minutes, Wall Street avait perdu 136 milliards de dollars de capitalisation. Cet été, à la mi-juillet, c’est un faux site de Bloomberg, largement diffusé via les réseaux sociaux, qui a fait bondir l’action de… Twitter. En cause? L’annonce d’un rachat imminent – et bidon – de la société par Google.
Reste que le site de microblogging semble être un bon indicateur du ressenti des investisseurs sur les marchés financiers. Même la Banque centrale européenne (BCE) s’y est intéressée. Dans une analyse publiée en juillet, l’institution monétaire a voulu vérifier si l’on pouvait anticiper une hausse ou une baisse de la valeur d’une action en se basant sur les millions de micromessages publiés chaque jour. Le résultat est sans équivoque: plus le nombre de messages comportant le mot «bullish» – qui peut se traduire par «optimiste» dans le jargon financier – est important, plus une amélioration des cours de la bourse est probable. Mieux encore: selon la BCE, Twitter serait un «meilleur indicateur des mouvements à venir» sur le Dow Jones que le Daily Sentiment Index, un sondage effectué chaque jour auprès des traders. Pas étonnant, dès lors, que les traders disposent tous d’un fil Twitter aujourd’hui. Au même titre que l’indispensable terminal Bloomberg.
* Prénom d’emprunt
«Twitter permet de sortir de l’information formatée»
Sebastien Dubas/ Le TEMPS 17/8/15
Pour bénéficier d’une information différente, Jean-Sylvain Perrig, responsable des investissements au sein de l’Union Bancaire Privée, est abonné sur Twitter à une trentaine de fils. Si l’information ainsi acquise tient parfois du «complot international», des «perles» peuvent aussi remonter à la surface
Jean-Sylvain Perrig utilise Twitter pour une raison principalement: disposer d’informations pertinentes et différentes. «Toutes les notes et analyses que l’on reçoit chaque jour de la part de nos contreparties sont très intéressantes, souligne le responsable des investissements au sein de l’Union Bancaire Privée (UBP). Le problème, c’est que ce sont toujours des choses convenues et formatées qu’on y lit, personne ne va vous annoncer une chute des bourses de 30%.» Du coup, Jean-Sylvain Perrig cherche de nouvelles sources, capables de lui offrir des angles et des points de vue différents. Il est abonné à une trentaine de fils aujourd’hui, soit 300 tweets par jour environ, «ce qui est déjà pas mal». Parmi eux, on retrouve le blog financier Zero Hedge, souvent à la pointe de l’actualité financière. «Ils compilent beaucoup d’informations qui ne viennent pas d’eux, explique Jean-Sylvain Perrig. Cela peut parfois ressembler au complot international, et il faut faire pas mal de tri, mais de temps à autre on tombe sur une perle», assure-t-il. Et de citer en exemple des articles sur la gouvernance de la zone euro qui apportent une lumière différente par rapport au discours officiel et qui donnent à réfléchir. «Mais que l’on soit clair, ces commentaires existent sur la Toile, ces tweets ont simplement le mérite de les faire remonter à la surface», précise-t-il. Enfin, Jean-Sylvain Perrig est lui aussi impressionné par la vitesse avec laquelle Twitter relate une nouvelle. «Ils sont plus rapides que Bloomberg, dit-il en riant. Sans que personne ne sache vraiment comment ils font.»
«L’avantage de Twitter, c’est que l’info y est disponible très rapidement»
Pour Laurent Bakhtiari , le seul réseau social qui compte vraiment, d’un point de vue professionnel, c’est Twitter. Et peut-être LinkedIn pour les articles de fond. «Mais vous ne trouverez rien sur Facebook», avertit tout de suite l’analyste d’IG Bank. Dans son travail de tous les jours, Twitter, donc, lui permet de trouver des tendances, des pistes qu’il peut ensuite approfondir. Mais le grand avantage, selon lui, c’est que «l’info y est disponible très rapidement». Laurent Bakhtiari passe surtout du temps sur Twitter en période de forte volatilité sur les marchés financiers. Et donc moins durant l’été. Il y cherche également des informations précises sur certains sujets. «Parfois, des théories qui y émergent peuvent s’avérer très intéressantes», explique l’analyste. En ce moment, il suit 87 fils différents sur le site de microblogging, dont une cinquantaine forment le «noyau dur». «J’essaie toujours de réduire la masse d’informations, explique-t-il. Par souci de lisibilité.» La plupart de ses sources sont constituées d’organes officiels, comme la BNS et la Fed. Il suit aussi les médias bien établis et réputés pour leur fiabilité. «Par contre, je ne suis pas fan des sources alternatives, précise-t-il. L’information circule si vite aujourd’hui que si elle vient d’une source un peu tangente, c’est tout de suite plus compliqué.» Il rappelle à ce titre que la mort de Martin Bouygues avait été faussement relayée par de nombreux médias sur Twitter en février dernier suite à une erreur de l’Agence France Presse.
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