1984

Mouvement Liberté : Devenir Prof’, l’impasse… Par T34

Devenir Prof’, l’impasse Par T34

Voici 18 mois que j’enseigne au sein de divers organismes de soutien scolaire, commerce florissant s’il en est, tant en stages de soutien pendant les vacances qu’en cours particuliers. J’enseigne également dans un collège privé. Cette expérience enrichissante et formatrice m’a procuré un point d’observation incomparable sur le cimetière, que dis-je, la fosse commune, qu’est devenue l’Education nationale. Le thème a déjà été traité maintes fois. Je m’intéresserai donc ici à l’imposture des enseignants, telle que je l’ai vue et entendue.

J’emploie le terme de prof’ à dessein. Non pour dévaloriser une profession dont la réputation est déjà sérieusement, inéluctablement, en perte de vitesse. Mais pour adopter, pour une fois, le point de vue de l’élève. Car, en effet, dans ce terme de prof’ jeté à la volée, à la criée oserais-je dire, s’incarnent toutes les failles de l’école. L’interjection prof’ marque d’une part la référence au terme de “professeur”, mais traduit d’autre part toute la désinvolture avec laquelle ce titre est prononcé. Je ne condamne pas cette désinvolture, que d’aucuns qualifieraient précipitamment d’insolence, voire d’impudence. Je ne la condamne pas puisque je la comprends, et je l’invite même. Et qu’aujourd’hui, mon regard a définitivement changé sur ce qu’est “l’éducation”, terme ô combien évasif.

Il me semble que la contrainte constitue le vice fondamental du système. Il “faut” contraindre pour apprendre. Vilipendés sont ceux qui invoquent la curiosité naturelle de l’enfant et son désir incompressible d’explorer, chacun à sa façon, le monde qui l’entoure. Dans cette logique, il est “nécessaire, indispensable” que le professeur oblige et contraigne l’élève, sinon celui-ci se montrera inévitablement oisif, désoeuvré et incapable d’apprendre.

Les thuriféraires du système éducatif en place n’ont jamais le souci de l’enfant au coeur de leurs préoccupations. Et le fait que les jeunes apprennent vraiment quelque chose à l’école, en retirent une expérience enrichissante, ou s’y épanouissent, ne les intéresse aucunement. Au contraire dirais-je même. Les valeurs fondamentales véhiculées par le système scolaire sont la docilité et l’obéissance. Un point c’est tout. Quiconque nie ce fait incontournable ne connaît pas l’école. Il n’y a pas mis les pieds ou se voit en situation de profond déni. Si l’école peut en outre servir de forum de propagande, tant mieux. Développer l’esprit critique, certainement pas. Gardez-vous-en bien!

Les dysfonctionnements du système sont déjà connus. L’échec de l’école républicaine, un thème vu et éculé. Quantité d’ouvrages abordent et développent ce sujet. Ce qui me concerne ici, plutôt, c’est la relation affective qui se tisse entre le prof’ et ses élèves. Ou, au contraire, tout ce dont on passe à côté dans notre relation avec nos chers étudiants. L’apprentissage implique en effet une relation de confiance entre deux personnes. Et il postule un dialogue. Or, l’autorité qu’incarne le prof’, et dont il se prévaut souvent à tort et à travers, empêche la mise en place d’une relation horizontale, source d’échanges et clé de la transmission du savoir.

Je suis toujours très curieux de l’attitude des élèves qui viennent en stages de soutien en période de vacances scolaires. Je suis fasciné par l’intensité de leurs premiers regards, au cours de ces premières minutes si importantes, où l’élève jauge le professeur, non en termes académiques mais sur le plan de la bienveillance. Comme si leurs yeux me demandaient, implicitement, à quelle sauce ils seraient dégustés au cours de cette semaine de stage. Inquiets et anxieux de se retrouver face à un prof’ despotique, comme il en existe encore trop souvent, malgré tout ce que l’on veut bien dire sur l’évolution culturelle de l’institution, ils se relâchent rapidement lorsqu’ils se sentent en sécurité. Alors, soulagés, ils sourient et respirent. Ils sourient d’une joie indicible de pouvoir être eux-mêmes, de pouvoir poser des questions sans risquer de se faire apostropher, de pouvoir ne pas savoir et ne pas comprendre. Ils sourient de pouvoir apprendre dans la sérénité. Combien d’élèves m’ont rapporté des anecdotes de colères aussi inopinées qu’intempestives de professeurs, de remontrances et d’humiliations blessantes et injustifiées, voire parfois d’atteintes légères (claques, en primaire le plus souvent) à l’intégrité physique de ces enfants?

Ainsi, le voile se déchire. Le voile de l’hypocrisie professorale. D’un corps qui se veut exemplaire et indispensable, imbu de sa mission “évangélique”. Les professeurs s’imaginent tels des missionnaires de l’Etat, civilisant nos enfants considérés comme des sauvages, des zouaves. Les hussards de la République! Toutefois, en réalité, ce ne sont aucunement nos enfants qui ont besoin de l’école, mais bel et bien nos zélés professeurs. Que feraient-ils d’autre? Lorsque je fais cours, je m’efforce de le rendre aussi intéressant et passionnant que possible. Je ne suis pas le seul, mais les enseignants soucieux de rendre leurs cours interactifs et vivants demeurent peu nombreux. Mais, bien que mes élèves soient très certainement plus enjoués avec moi qu’avec d’autres, je suis conscient qu’ils n’ont pas fait le choix de venir à l’école. Ils ne sont pas décisionnaires. Pourquoi donc leur reprocher d’être démissionnaires? Le fait que nos élèves soient contraints et forcés, tels des bagnards, de se présenter à l’école me touche profondément. Cela blesse mon orgueil et mon amour-propre. Comme le disait Beaumarchais: “Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur”. Eh bien, sans la liberté de choisir, il n’est point d’enseignement épanouissant. Ni pour l’élève, ni pour l’enseignant.

Mais combien d’enseignants, confrontés aux mêmes interrogations, s’enferment dans cette logique du missionnaire paré de ses oeillères, convaincus de leur bon droit et du bien-fondé de leur démarche? Combien nient au plus profond d’eux-mêmes l’évidence: que le recours à la contrainte et à la force implique la négation même de ce qu’est l’enfant et de ce que l’éducation pourrait et devrait être? J’estime que nombreux sont ceux qui se posent cette question, peut-être de manière inconsciente. Et qu’ainsi, tels des bateaux ivres malmenés par des gouffres amers, ils dérivent de vacances en congés, avant finalement de s’échouer sur l’écueil de la retraite. Ou alors ils se font “une raison”, piteusement. Ils acceptent le terrible ennui et l’inutilité de leur travail, mais se trouvent d’autres centres d’intérêt en dehors du monde scolaire, pour “respirer, s’oxygéner”. L’école constitue aussi un monde carcéral pour ses machinistes. Vies bancales, vies médiocres, vides de sens. Et ce sont ces gens-là qui instruisent vos enfants.

Les “bons” profs, si le terme s’applique même, partent vite (mais pas tous) vers d’autres cieux, horrifiés et rebutés par ce monde abject et infernal. Ils croyaient pouvoir élever les coeurs et les esprits, tels les bergers des transhumances, et finissent garde-chiourmes. Aussi enjoués que des portes de prison. Condamnés à répéter sans cesse les mêmes programmes, les mêmes routines, les mêmes examens d’un système que l’on ne peut qualifier que de kafkaïen. C’est cela qui m’a le plus ému: la perte de sens.

Les mandarins du Ministère de la Propagande Nationale scandent à foison leurs slogans de transmission des valeurs de la République et du savoir. Les enfants, eux, vifs et lucides, ne retiennent que l’essentiel: l’image d’une vie morne et terne, où il faudra négliger leurs intérêts les plus viscéraux. Autoroute vers la déprime. L’expression anglaise “The daily grind” transcrit mieux l’abrutissement où mène la routine scolaire que la doucereuse formule “train-train quotidien”. Elle rend mieux compte du gâchis de ces années d’enfance et d’adolescence passées à l’école. Et quel gâchis!

La jeunesse s’apparente à une formidable fenêtre d’opportunité pour découvrir et explorer le monde à sa guise, à son rythme, et de former sa personnalité dans des cadres multiples et variés au contact de personnes de tous les horizons (Cf. L’Enfant, de Jules Vallès). J’emploie le terme “fenêtre d’opportunité” à dessein. En effet, à cet âge-là, ne se pose pas la question du temps qui passe, notion adulte par essence. Cette innocence quant au défilement du temps, pour reprendre la métaphore grecque, permet et favorise une exploration véritablement libre de contraintes. Ces dernières ne sont pas à négliger, mais apparaîtront plus tard, en temps et en heure. L’enfant peut donc se découvrir lui-même, déterminer ses passions et fantaisies et, de cette manière, évoluer et mûrir au gré de ses diverses interactions sociales. L’école empêche tout cela. J’ajouterai encore, elle détruit tout cela. Elle l’annihile dans l’oeuf. Là réside le drame de l’institution scolaire.

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8 réponses »

  1. …. un con …patis, 20 ans de SPH ,avec des 14 -18 pré et déclinquants , » result burne oute sévère « , à 59 au compteur me  » foutre  » à la casse …!!!

  2. Sur le même thème lire l’indispensable  » Insoumission à l’école obligatoire  » de Catherine Baker : tout y est dit, c’est assez rapide et passionnant à lire, et surtout disponible en PDF gratuitement sur Internet.

  3. On peut objecter que lorsque l’école était quasi-fascisante soit avant 1981 les choses ne marchaient pas si mal : il y avait une sélection après la 6ème (pour les cas les plus graves) puis à la fin de la 3ème. Il y avait une sélection et comme pour toute sélection ceux qui sont gardés en conçoivent une légitime satisfaction narcissique.

    Aujourd’hui les élèves se sentent comme des veaux trimballés ensemble dans un camion qui les emmène tous vers l’abattoir… pardon vers ce Bac sans valeur et sans enjeu.
    Les mômes savent qu’avec cette pléthore d’options et un système de notation laxiste ce Bac qu’ils décrochent ne vaut rien.

    D’autre part les nouveaux programmes font des collèges et des lycées des centres aérés où l’enseignement « dur » cède la place au développement des centres d’intérêt des élèves. Autrement dit et par pure démagogie on étudie à l’école ce qui relève des loisirs et du jardin secret des jeunes.

    Comment ensuite ne pas voir naître chez eux un sourd mépris pour le corps professoral?

  4. Un prof m’a dit récemment, je crois que l’on a fait trop de politique à l’école publique et on a perdu notre rôle d’enseignant pour devenir des éducateurs politiques.
    L’école de la république n’a fonctionné qu’un temps très bref. A l’époque des hussards noirs, il y avait déjà la politique gauchiste mais au moins les élèves ressortaient enrichis.
    Plus la politique a pris le dessus sur le savoir car le but était d’en faire de bons citoyens ( sous-entendus de bon petits soldat du gauchisme éternel) et plus l’école publique s’est effondrée, ouverte à tous les vents porteurs des vices de la société socialiste.
    Plus le niveau des élèves ( et donc aussi celui des enseignants car le niveau d’enseignement n’a cessé de baisser) a baissé plus l’on a réduit la difficulté du bac qui ne vaut plus rien aujourd’hui.
    L’école a institué la chasse aux professions manuelles car le but était de faire des fonctionnaires et des technocrates.
    Les enfants sont devenus les sujets d’expérimentation du gauchisme, destruction de la famille traditionnelle, théorie du genre, société multiraciale, islamisation des programmes.
    Cela n’a pas vraiment fonctionné, un jeune sur deux vote FN
    Une jeune étudiante m’a récemment confié, les profs ne servent plus à rien dans les écoles, ils sont complétement coupés de la société réelle, la grosse majorité des élèves dès le collège ne les écoutent plus, ne les respectent plus.
    Cette génération revancharde et désabusée, ce sont pourtant les enseignants qui l’ont fabriqué et si certains ont compris que le système s’effondrait, personne n’a rien dit.

  5. Excellent article.
    Voir aussi Jean-Pierre Lepri, derrière Catherine Baker !

    Le pire est encore devant, si nous – moutons du jour, bêlons gentil encore : avec les linky et autres tests anti-terroristes programmés cette année, de la maternelle aux lycées.
    Affaiblissement de la santé, intériorisation du statut de victime ou déconnexion finale du réel… et moutonnage complet (pardon aux moutons, qui savent aussi se regrouper pour mieux se sauver, sauver leur nature propre et leurs vies de mouton bien à eux).

    L’école est programmée disparaître très rapidement (2020) en fait (Lepri pour source). La substitution du contrôle des masses encore vives est en route avec les nouvelles technologies quasiment au point.

  6. Merci pour ces propos jubilatoires ! Je ne sais plus qui a dit qu’enseigner est un acte d’amour. Etre enseigné aussi ! En lisant je me souviens d’ « une société sans école », d’Ivan Illich. Un prêtre intelligent, avec Allan Watts. Jean Charon écrivait que les particules font l’amour en échangeant de l’information. Mais je ne voudrais pas introduire cette notion dans l’enseignement. J’ai expérimenté, âgé de plus de 40 ans, l’acte d’amour d’être enseigné, la joie d’apprendre. J’étais motivé pour apprendre l’hébreu, mon intelligence criait famine. En quatre leçon j’ai rattrapé mes semaines de retard (j’avais pris le cours en cours de route). J’entends encore le chant mélodieux de la voix de la prof, la musique portant les mots. Que de chemin j’ai parcouru depuis.
    Leur bible fait dire à Jésus : « si vous ne devenez comme de petits enfants vous ne pouvez… » Pendant des années ce passage ne me lâchait pas. Quelque chose cloche ! J’entendais autre chose. J’entendais « si vous ne Redevenez des enfants… ». Biffé, le « comme » ! Biffées les contorsions pour faire comme ! Eh oui, ce passage en hébreu indique bien un retour, presque une repentance. Selon la notion juive de « téchouva ». L’acte d’enseigner est aussi un acte joyeux. Et les engeances sont rabat-joie ! Je suis en communion avec vous, T34 ! J’aimerai dire encore que l’engeance qu’elle se pare ne vêtements laïques ou religieux est le reflet de sa vision de dieu, qui n’est qu’une projection d’elle-même. En marge, un livre de Marie Balmary, la psychanalyste, et Sophie Legastelois, sort au début octobre. « Ouvrir le livre : Une lecture étonnée de la Bible ». Ayant lu quelques précédents je puis dire qu’il sera jubilatoire ! J’ajoute pour conclure qu’ils massacrent aussi les talents de ceux qui ont reçu celui d’enseigner.

  7. « On interrogea Pythagore: « Pourquoi l »homme est-il sur terre? » Le sage répondit, aux dires d’Aristote:
     » Pour contempler le ciel. »…
    « Pourquoi le ciel? » Par ce mot, je crois que le grand philosophe désigne non pas le jeu des planètes ni le spectacle grandiose de la Voie Lactée, mais plutôt ce qu’ils symbolisent: une perspective de l’esprit intégralement ouverte, où aucun nuage n’arrête la vision.
    Si l’homme est sur terre, Pythagore en est sûr, c’est pour parvenir à cette vu panoramique, sans borne, proprement inouïe, incroyable pour qui vit et pense depuis toujours dans un milieu confiné. C’est le sens et le but suprême de la vie sur terre. Pythagore l’appelle le « ciel », l’Inde le nomme « Brahman » et maître Eckhart « déité ». Hervé Clerc
    Dieu par la face Nord .

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