Asie hors émergents

Commentaire : De la déflation à la Trappe à dettes l’Empire du Japon se veut désormais plutôt bonsaï que banzaï

 La Bourse de Tokyo est chère et l’économie nipponne, fort dépendante des exportations, doit se régénérer. Le yen baisse et les autorités abondent dorénavant dans le même sens…

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 Les effets de l’alternance se font attendre 

Les Japonais ont décidé fin août de mettre un terme à un demi-siècle de domination du Parti libéral-démocrate. Le vainqueur du scrutin est le Parti démocrate du Japon (PDJ). A l’annonce de cette victoire, ses dirigeants ont promis des changements. Il faut restaurer la confiance du consommateur, l’amener à dépenser davantage et rendre ainsi le pays moins dépendant des exportations. Toute une série d’initiatives nouvelles ont été annoncées.

Près de trois mois plus tard, où en est-on ? La réalité a repris ses droits. La consommation reste déprimée – et déprimante – du fait de la stagnation des revenus, du vieillissement de la population et d’un taux de chômage élevé pour le pays (plus de 5%). La crédibilité de la nouvelle équipe au pouvoir a aussi été minée par les discours contradictoires de certains de ses membres, sur la vigueur du yen par exemple. Bref, on attend. On attend de voir ce qui va vraiment changer. 

 Il faudra du temps 

Le contexte est tel (consommation intérieure faible, investissements des entreprises au plus bas) qu’il est impossible pour le Japon de ne plus compter sur ses exportations. Le nouveau gouvernement a renoncé à diverses mesures prises par son prédécesseur, ce qui entraîne des coûts qui ne peuvent être couverts tant que les nouvelles mesures de stimulation de l’économie n’auront pas exercé leurs effets.
On parle de reprise mondiale. Les chiffres le montrent, mais on est encore loin du compte et, si pour le Japon c’est une bonne nouvelle, l’incertitude demeure. C’est précisément pour échapper à ces contraintes que le nouveau gouvernement nippon veut encourager la demande intérieure. Il faudra du temps. Sans doute beaucoup de temps. On peut s’attendre pour cette année à une (dé)croissance désastreuse (-6%). 2010 devrait aller mieux (-0,1%), mais ce n’est qu’en 2011 que la croissance reviendrait. Inutile de vous dire que c’est peu brillant.

Compte tenu de ce qui précède et des résultats attendus pour les entreprises japonaises, les actions locales sont tres chères. C’est un premier point. Les obligations japonaises ont toujours donné un rendement minuscule (0,7% pour un emprunt d’Etat à 5 ans) qui, par-dessus le marché, ne sera pas dopé, contrairement à ce qu’on a vu autrefois, par l’appréciation de la devise. Un mot d’explication. 

 Le yo-yo du yen 

EVOLUTION DU YEN EN EURO

Le yen a tiré parti l’an dernier du dénouement de toute une série d’opérations de ‘carry trade’. Aujourd’hui, il est reparti à la baisse.

La forme exceptionnelle dont a fait preuve le yen l’an passé (+29,6%) était pour beaucoup d’observateurs une preuve des dérèglements régnant sur les marchés financiers. En fait, elle résultait de l’aversion croissante des investisseurs pour le risque. Comment cela ? Les institutionnels, notamment les ‘hedge funds’, ont en bloc retourné leurs positions de ‘carry trade’ (voir encadré). Depuis la situation s’est normalisée et le yen est revenu à ses mauvaises habitudes d’autrefois (voir graphique).
Cette année la devise japonaise a déjà perdu 6% par rapport à l’euro, ce qui fait qu’elle est aujourd’hui (à nouveau) sous-évaluée. A court terme nous ne voyons pas ce qui l’amènerait à prendre le chemin inverse. D’autant que le nouveau gouvernement nippon ne veut plus entendre parler de la politique du yen fort de l’équipe précédente. Il est vrai qu’une devise forte n’est pas ce qu’il y a de plus facile pour un pays (très) exportateur. Le gouvernement fait donc tout son possible pour accompagner la descente du yen et il est aidé en cela par la Banque du Japon qui maintient ses taux à un plancher inégalé (environ 0,1%). C’est de nature à préserver le début de croissance que l’on sent, mais pour l’investisseur le message est clair : le yen ne va pas monter.

La déflation, symptôme de maux importants

Depuis bientôt vingt ans, le Japon se bat contre la déflation (= baisse généralisée des prix), fruit d’un déséquilibre fondamental entre l’offre et la demande. Dans les années 1980, des excès d’investissement ont créé des capacités de production excédentaires. Aujourd’hui, celles-ci sont toujours en place, grâce notamment aux aides publiques. La demande étant incapable de les absorber, une pression baissière sur les prix s’est mise en place. Ce phénomène est d’autant plus dangereux que, dans le même temps, la population vieillit et la demande intérieure chute. Le Japon devient donc très dépendant de ses exportations.

Or aujourd’hui le yen atteint des sommets inégalés depuis 1995 . L’impact sur les exportateurs est double. Primo, la cherté du yen par rapport au dollar rend les produits nippons moins compétitifs face aux produits chinois ou coréens. Secundo, à court de débouchés, les exportateurs sont forcés de baisser leurs prix, ce qui pèse sur leurs marges bénéficiaires et, in fine, sur les entreprises.

Des conséquences en chaîne pour l’économie

A priori, une baisse de 1 ou 2% des prix à la consommation ne semble pas trop grave. Le fait que les ménages ajournent leurs achats, sachant que les produits seront moins chers à l’avenir, est souvent décrit comme la première conséquence de la déflation. Mais le mal est plus profond car la déflation peut plonger l’ensemble de l’économie dans un cercle vicieux particulièrement dangereux.

En effet, la baisse des prix à la consommation met sous pression les marges bénéficiaires des entreprises, qui rognent à leur tour sur les salaires. Ce n’est donc pas un hasard si les salaires nippons ont reculé d’environ 20% depuis 2005. Et qui dit salaires en baisse dit moins de dépenses, moins d’épargne et moins de recette fiscale pour l’Etat. Le recul des exportations aidant, l’année 2009 devrait voir la recette fiscale baisser de 25% par rapport à 2008. Et la spirale est loin d’être terminée…

Le Japon croule sous une dette monstrueuse 

Pour la première fois depuis 1946, le Japon va émettre plus de dette qu’il ne percevra d’impôts lors de l’année budgétaire 2009-2010, qui s’achève fin mars. Selon l’OCDE, qui admoneste régulièrement Tokyo à ce sujet, son déficit budgétaire dépassera les 10% du produit intérieur brut l’an prochain. Sa dette publique flambera à 204% du PIB: en la matière, seul le Zimbabwe fait pire. 

A l’origine du problème: les plans de relance mis en oeuvre à répétition depuis les années 1990, ainsi qu’un système fiscal peu lucratif pour l’Etat, avec notamment une taxe sur la consommation exceptionnellement basse pour un pays développé (5%). De plus, le nouveau gouvernement de centre-gauche de Yukio Hatoyama s’est engagé à n’augmenter aucun impôt avant 2013. 

« Si nous étions le Botswana, on verrait immédiatement que nous prenons l’eau. Mais le Japon est comme le Titanic: notre économie est tellement grosse que personne ne s’aperçoit que nous coulons », déplore Noriko Hama, économiste à la Doshisha Business School de Kyoto.

N’importe où ailleurs, pareille situation budgétaire « mènerait droit à une annulation forcée de la dette ou même à l’instauration d’un Etat fasciste », poursuit-elle. Mais pas au Japon, dont la dette continue de jouir du troisième ou quatrième meilleur score possible chez les agences de notation. 

« Le montant de la dette, en soi, ne dit pas tout concernant les qualités du Japon en tant que débiteur », justifie James McCormack, analyste chez Fitch. 

« Des taux d’intérêt très bas permettent à l’Etat de contracter une dette exceptionnellement lourde, tout en déboursant des intérêts identiques à ceux que doivent payer d’autres pays dont l’endettement est moindre », explique-t-il. 

M. McCormack met également en avant « l’énorme stock d’épargne » des Japonais, dans lequel le gouvernement a encore bien de la marge pour puiser.

 Autre facteur positif: la dette nippone est, à plus de 93%, détenue par des investisseurs japonais. Dans un pays en proie à une déflation record et où la Bourse a chuté de près de 75% en 20 ans, des bons du Trésor au rendement de l’ordre de 1,3% continuent d’offrir un taux d’intérêt réel intéressant. 

Cette quasi-absence de dette en devises rend improbable un scénario de crise du type Mexique ou Argentine. « Il est toujours possible de monétiser une dette en monnaie locale », rappelle Hervé Lievore, stratège chez AXA. 

La monétisation consiste à faire tourner la planche à billets pour acheter les nouveaux bons du Trésor. Une pratique dangereuse, génératrice d’hyperinflation et que la Banque du Japon a exclue, mais qui, en dernier recours, reste toujours préférable à la faillite de l’Etat. 

« Le seul rayon de soleil, dans cet affreux problème de la dette, est qu’elle est entièrement détenue à l’intérieur du pays et donc beaucoup plus gérable », notait le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurria, de passage fin novembre au Japon. « La question est: quand cela va-t-il commencer à inquiéter les marchés? Eh bien, nous ne voulons pas le savoir, car alors il sera trop tard ».

 L’inflation est positive pour les pays endettés. En effet, la hausse des prix et des salaires dope les recettes de l’Etat et rend plus aisé le remboursement de la dette. Par contre, la déflation fait baisser les recettes et rend la dette de plus en plus difficile à rembourser. Un problème grave pour le Japon qui est le pays le plus endetté du G7. Selon le Fonds monétaire international(FMI), sa dette publique atteindra 219% du PIB en 2009 et 246% en 2014. Et vu que la population active diminue et que la baisse des salaires limite la capacité des ménages à épargner, les Japonais ne sauront plus absorber de la dette d’Etat comme par le passé. Ce n’est donc pas un hasard si les marchés commencent à douter de la capacité du pays à se financer, d’autant plus que toute hausse des taux serait catastrophique pour ce pays.

Au printemps, le Japon a perdu sa note AAA et devra, du fait du risque accru, payer des intérêts plus élevés pour convaincre l’investisseur d’y investir.

Conclusion

Face à son endettement public record, le gouvernement nippon voit sa marge de manoeuvre fort limitée. Ce serait donc à la Banque du Japon d’agir pour relancer l’économie. Certes, au niveau des taux d’intérêt, celle-ci fait ce qu’elle peut, les taux nippons étant proches de zéro depuis plus de 10 ans. Elle achètera aussi, quelques mois encore, des obligations d’entreprises. La Banque du Japon espère encore un retour à la croissance par les exportations et ne semble pas s’inquiéter des problèmes profonds que connaît le pays. Une myopie qui risque de coûter cher au Japon.

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Trappe a dette façon sushi : le Japon se fait harakiri et se faisant joue les kamikazes sur les Marchés financiers (cliquez sur le lien)

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