Douce France

Nicolas Baverez : Ruptures

Les ultimes interventions de Philippe Séguin, avant son décès le 7 janvier, furent consacrées au rapport de la Cour des comptes traitant de l’emploi public depuis 1980. Trois conclusions s’en dégagent.

 Tout d’abord, l’augmentation des effectifs de la fonction publique de 36 % depuis 1980 (14 % pour l’Etat, 53 % pour les hôpitaux et 71 % pour les collectivités locales) ne s’est pas traduite par une amélioration des services publics.

 Ensuite, la revue des politiques publiques et la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux génèrent des économies budgétaires limitées (500 millions d’euros), et pèse négativement sur la productivité.

Enfin, la réforme de l’Etat devrait, à l’image des programmes canadien ou suédois, réévaluer les missions de la force publique, en simplifier les structures, instituer une gestion à long terme des ressources humaines.

En clair, réformer l’Etat est voué à l’échec, faute de volonté et de stratégie pour le repenser.

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Ce raisonnement peut être étendu à la situation de l’économie française en 2010.

Elle se ramène à une équation aussi durable qu’insoutenable : 10 % du produit intérieur brut (PIB) de déficit public = 1 % de croissance + 10 % de chômage + 4 % du PIB de déficit commercial.

 Comme le montre la permanence des déficits et du chômage depuis 1973. A l’inverse des autres grands pays développés, le décrochage économique a été amplifié mais non créé par la crise.

 Loin de réhabiliter le modèle français, celle-ci aggrave les trois fléaux qui le minent :

 un Etat démesuré (dépenses publiques de 56 % du PIB), surendetté (dette publique de 100 % du PIB en 2012) et sous-productif ;

un secteur privé étriqué et écartelé entre des pôles d’excellence fragilisés et une myriade de très petites entreprises ;

un chômage de masse chronique.

 Autant de facteurs qui condamnent la France à manquer la sortie de crise.

Force est de constater que la stratégie de contournement imaginée en 2007 – avec pour symboles la défiscalisation des heures supplémentaires comme antidote aux 35 heures et le bouclier fiscal comme remède à l’ISF – a échoué et n’est plus à la mesure des défis. Le modèle français ne peut plus être corrigé à la marge ; il doit être refondé au terme d’un processus comparable à l' »Agenda 2010″ allemand. Sur fond d’une course à la compétitivité entre nations et continents, le temps des réformes en trompe-l’oeil – tels les régimes spéciaux, qui coûteront 5,7 milliards d’euros au budget en 2010 – est passé.

Quatre priorités émergent.

 Stabiliser les dépenses publiques et les réorienter vers les investissements (enseignement supérieur, recherche, infrastructures…).

Stabiliser les dépenses publiques et les réorienter (enseignement supérieur, recherche…), ce qui implique une révision du périmètre et des structures du secteur public, la modification de l’indexation des traitements et des pensions des fonctionnaires et la réorganisation des régimes de retraite (système par points, fusion entre régimes salariés et fonctionnaires).

Augmenter de façon mesurée la fiscalité, en abandonnant la taxe carbone et en supprimant l’ISF et le bouclier fiscal pour créer une tranche additionnelle à l’impôt sur le revenu.

 Améliorer la compétitivité via la diminution des coûts de production (travail, capital, fiscalité, normes, surévaluation de l’euro) et l’orientation de l’épargne longue vers l’investissement productif et l’innovation.

 Enrayer la hausse du chômage par la formation et la réduction de la segmentation du marché du travail entre 10 millions de salariés protégés, 15 millions de travailleurs exposés et 5 millions d’exclus.

L’Etat doit impulser ces réformes, en passant des accords avec les forces politiques sur la simplification des niveaux d’administration territoriale et la maîtrise de leurs dépenses, indissociable d’une clarification de leurs compétences et de leurs ressources ; et avec les partenaires sociaux sur les retraites et l’assurance-santé, que la dette ne peut plus financer.

Dans tous les pays développés, la faiblesse de la croissance, le chômage et l’austérité imposée par le désendettement ouvriront des espaces aux populismes et au protectionnisme. La France y sera particulièrement sensible, du fait de son histoire – la nation et le marché ayant émergé autour de l’Etat – et de la triste exception qui veut qu’elle subisse la crise de la mondialisation sans avoir surmonté les chocs des années 1970.

La décennie 2010 sera donc placée sous le signe de l’opposition entre deux conceptions de la rupture : l’adaptation à la nouvelle donne mondiale ou l’isolement à travers le retour à l’économie fermée et administrée.

Nicolas Baverez est économiste et historien.LE MONDE ECONOMIE | 25.01.10 |

EN COMPLEMENT : La Cour , ses contes, ses légendes et ses courtisans : En France Le nombre de fonctionnaires a augmenté de 36% depuis 1980 (Cour des Comptes) (cliquez sur le lien)

BILLET PRECEDENT : Nicolas Baverez : Quand le risque bancaire provient des banques elle mèmes…. (cliquez sur le lien)

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