L’ampleur des stimuli budgétaires et la reconstitution des stocks devraient éviter le risque d’une rechute de l’activité mondiale en 2010, selon Eric Chaney,( chef économiste du groupe AXA et ancien de chez Morgan Stanley) . Mais à terme, la demande privée devra impérativement prendre le relais des politiques de relance.
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La crise est-elle finie?
Non. Dans les pays industrialisés, l’activité économiquen’a pas retrouvé son dynamisme d’avant-crise et il faudra plusieurs années avant que l’on revienne à des niveaux d’activité comparables. En outre, les canaux de financement des économies sont encore en partie bouchés. D’un point de vue dynamique, en revanche, nous sortons de la crise à une vitesse rapide.
L’évolution du commerce mondial est à ce titre convaincante. Après une chute de plus de 20% consécutive à la faillite de Lehman, le commerce international a bondi de 8% depuis le mois de mai. Bien que ce rythme de progression soit sans doute amené à ralentir dans les mois à venir, les craintes de rechute de l’activité mondiale me paraissent excessives.
Les banques centrales réfléchissent aujourd’hui à leur stratégie de sortie de crise. Y a-t-il un risque de formation de bulles¯ ?
Les banques centrales sont aujourd’hui face à un dilemme en matière de stratégie de sortie de crise. En effet, elles ne peuvent se permettre de maintenir des taux proches de zéro pendant trop longtemps, sous peine de voir surgir de nouveaux risques: spéculation sur les marchés (matières premières, marchés émergents…) ou formation de nouvelles bulles de crédit, en particulier aux Etats-Unis. Toutefois, un resserrement monétaire trop précoce serait fatal à la reprise de l’économie. La Fed ne souhaite pas commettre la même erreur qu’en 1937 où la remontée prématurée des taux avait plongé l’économie américaine dans une seconde récession. Deux conditions doivent être réunies pour que les banques centrales puissent amorcer leurs sorties de crise. Premièrement, le système financier doit à nouveau fonctionner normalement, ce qui implique une amélioration du bilan des banques et des conditions d’octrois de crédit. Deuxièmement, il est nécessaire que la demande privée alimente de nouveau la croissance, qui reste à ce jour soutenue par les politiques économiques. Pour le moment, ces conditions ne sont pas réunies. Même si le bilan des banques centrales a fortement augmenté, la monnaie en circulation dans les économies (M2 aux Etats-Unis, M3 dans la zone euro) ne progresse guère. Ce dysfonctionnement du canal de transmission monétaire montre bien qu’il est encore prématuré pour agir.
Enfin, un troisième risque, et non le moindre, pourrait émerger : celui d’un manque de coordination dans les stratégies de sortie. Si les banques centrales ont agi de concert au début de la crise, en assouplissant leurs politiques monétaires, y compris de façon non conventionelle, elles sont beaucoup moins incitées à le faire avec la reprise progressive de l’économie. Le risque d’une sortie prématurée est plus significatif dans la zone euro, où l’on craint un possible retour de l’inflation, alors que le risque d’une sortie tardive est perceptible aux Etats-Unis, si le chômage devait rester élevé. Concrètement, la mise en oeuvre de stratégies de sortie de crise désordonnées serait contre-productive. Par exemple, une appréciation supplémentaire de l’euro pourrait en résulter.
Quel est votre scénario de croissance économique pour 2010?
Je crois que les chiffres de la croissance mondiale vont continuer à surprendre. D’une part, la reconstitution des stocks pourrait générer deux points de croissance supplémentaire en 2010. En effet, la baisse des stocks au niveau mondial a été beaucoup plus forte que ce que la baisse de demande rendait nécessaire, dans la période qui a suivi la faillite de Lehman. Il semble que les entreprises ont voulu accumuler le plus de cash possible par crainte d’une crise de liquidité généralisée. D’autre part, l’effet multiplicateur des plans budgétaires pourrait se révéler plus important que d’ordinaire pour deux raisons: les mesures budgétaires ont été mises en oeuvre à l’échelle mondiale, ce qui élimine la substitution par les importations, et les banques centrales ne peuvent pas réagir aux plans de relance, puisque les taux d’intérêt réels sont encore trop élevés, relativement à la croissance réelle. Cette situation exceptionnelle, due au fait qu’il est pratiquement difficile de baisser les taux en dessous de zéro, fait que les politiques budgétaires ont le champ libre pour stimuler l’économie. Cette idée est avancée par plusieurs études empiriques récemment publiées. Si, à court terme, le risque de rechute est donc faible, il sera nécessaire à terme que la demande prenne le relais des politiques économiques. La question de la demande privée deviendra un thème majeur à partir du second semestre 2010.
Jusqu’où peut monter le chômage?
Le niveau du chômage est actuellement plus bas qu’il ne devrait l’être en réalité aux Etats-Unis comme dans la zone euro, compte tenu de la baisse d’activité. En Allemagne, par exemple, le taux de chômage, à 8 % environ, aurait dû monter jusqu’à 12ÿ%! C’est le résultat de politiques volontaristes mises en oeuvre au début de l’année : subventions au chômage partiel en Europe, ou encore soutien au marché automobile aux Etats-Unis. Du coup, la reprise pourrait se révéler décevante en matière de créations d’emplois. Aucune véritable amélioration n’est attendue avant 2011, voire 2012.
Quelles craintes peut-on avoir vis-à-vis de l’explosion des dettes publiques dans les pays de l’OCDE?
Grace à la configuration actuelle, caractérisée par un excès d’épargne mondiale, les marchés n’ont pas de difficultés à absorber l’offre de papiers souverains. Cependant, l’explosion des dettes publiques pourrait devenir le cauchemar de ces vingt à trente prochaines années. En Europe, la politique de stabilisation budgétaire programmée en Allemagne pourrait devenir une référence. Si le fossé avec certains pays européens se creuse ou si certains pays ne sont pas clairs dans leur stratégie, ils pourraient être pénalisés par les marchés. A l’avenir, nous anticipons donc une différenciation accrue entre les émetteurs souverains, qui se traduira par un écartement des spreads et donc par des opportunités de gains pour les investisseurs. Mais le thème de la dette ne sera pas encore d’actualité en 2010, sauf pour des pays qui rencontrent déjà des problèmes de crédit, comme la Grèce.
Quel impact durable la crise aura-t-elle eu sur le paysage macroéconomique mondial?
La Chine sort grande gagnante de la crise. Elle a bénéficié d’une soudaine accélération de son processus de rattrapage, en comblant sa baisse de production en six mois, alors que les économies industrialisées ne devraient pas retrouver leur niveau d’activité de 2008 avant 2014 ou 2015! A long terme, l’Asie émergente présente donc les perspectives d’investissement les plus profitables. Toutefois, ces stratégies ne sont pas exemptes de risques car la spéculation et les risques de bulles resteront importants sur les marchés asiatiques. A très long terme, c’est-à-dire dans les 7 à 10 ans à venir, je pense que le yuan chinois deviendra convertible, et s’appréciera fortement en devenant la troisième monnaie de réserve internationale après le dollar et l’euro.
Les réflexions en matière de régulation financière, notamment dans le cadre du G20, vous semblent-elles pertinentes?
Je reste relativement prudent quant aux mesures proposées : une mise en oeuvre trop rapide de la régulation prudentielle pourrait produire un effet contre-productif. Les nouveaux ratios de capital (entre actifs et fonds propres) sont susceptibles de restreindre la capacité d’octroi de crédit des banques, au moment même de la reprise de la demande privée. En ce qui concerne la régulation macro-prudentielle – c’est-à-dire la régulation de l’offre de crédit au niveau mondial -, la création du conseil de stabilité financière en 2009 constitue une première étape positive. Néanmoins l’économie mondiale souffre encore d’un grave dysfonctionnement en raison de l’absence de coordination des politiques monétaires des grandes banques centrales. Dès 2005, les signes de surchauffe de l’économie mondiale apparaissaient à travers l’envolée des prix des matières premières et des prix immobiliers. La réaction tardive des banques centrales a ainsi contribué à amplifier la crise. A ce jour, aucune banque centrale ne semble prête à accepter la perte d’indépendance monétaire que supposerait une meilleure coordination à l’échelle internationale, nécessaire de mon point de vue pour prévenir de nouvelles crises.
Propos recueillis par Angèle Pellicier
EN COMPLEMENT :
Pour un droit d’ingérence monétaire Eric Chaney
06 Janvier 2010 telos
Le président de la Réserve Fédérale vient de livrer à un plaidoyer pro domo à l’occasion du meeting annuel de l’Association économique américaine. En un mot, il réfute l’accusation selon laquelle une politique monétaire américaine trop laxiste au début de la décennie précédente serait responsable de la bulle immobilière aux Etats-Unis et, ipso facto, de la crise mondiale de 2008-2009. Une mauvaise réglementation financière serait à l’origine de tous nos maux. On ne s’aventure pas aisément à critiquer un économiste de la stature de Ben Bernanke, ni le président d’une institution qui, avec d’autres comme la BCE, a su prendre des décisions courageuses au pire de la crise et, ce faisant, nous a probablement évité le pire. Mais là, il faut s’arrêter un instant et prendre du recul. Ramener l’origine de la crise à un problème de réglementation et de mauvais modèle financier pourrait se révéler extrêmement dangereux, si cette thèse, qui fait fi des caractéristiques essentielles du cycle économique mondial initié en 1998, devenait dominante.
La mondialisation moderne est la conséquence directe de la chute du mur de Berlin et du knock-out des gestions autoritaires des économies socialistes européennes et asiatiques. La grave récession dont nous commençons à sortir marque la fin de la première phase de cette mondialisation. La suivante sera différente. Elle pourrait devenir dangereusement chaotique, si nous n’évitons pas ce qui, dans la phase précédente, a déclenché la crise de 2008-2009 : l’absence de réaction adaptée des politiques économiques face à l’emballement de la croissance et du crédit mondiaux.
En faisant le choix de l’économie de marché pour sortir la Chine de sa terrible pauvreté, Deng Xiaoping a changé notre monde. Car il introduisait dans le marché mondial une économie potentiellement cinq fois plus large que celle des Etats-Unis. Par des choix similaires, les pays d’Europe centrale et orientale ainsi que l’Inde ont amplifié le processus de mondialisation. Après les difficultés des premières années –on ne sèvre pas une économie de la tutelle des planificateurs du jour au lendemain— la mondialisation prit véritablement son essor après la crise asiatique de 1998. Les historiens qualifieront peut-être un jour la décennie qui s’ensuivit de mondialisation heureuse. Qu’on en juge : un rythme annuel de 4% pour la croissance économique mondiale, supérieur de près d’un point à celle de la période 1975-1997, sans chocs économiques majeurs, malgré l’éclatement de la bulle technologique et les attentats du 11 septembre 2001, et pratiquement sans inflation. Les économies qui jouèrent le jeu du commerce mondial et de l’économie de marché ont ainsi pu, en quelques années, relever spectaculairement le niveau de vie moyen de leurs populations, sans que celui-ci ne baisse dans les pays à haut revenu.
Avec le recul, deux failles menaçaient ce qui semblait être un modèle gagnant-gagnant. D’un côté, une économie véritablement mondialisée où le commerce mondial croissait deux fois plus rapidement que la production; de l’autre des banques centrales hétéroclites et peu enclines à coordonner leurs actions pour ralentir la croissance, alors même que l’envolée des prix des matières premières et de l’immobilier indiquaient dès 2005 que l’économie mondiale entrait en surchauffe. D’un côté, une mondialisation financière portée par des institutions transnationales alimentant une progression incontrôlée du crédit ; de l’autre des régulateurs et superviseurs également hétéroclites, parfois tentés de s’aligner sur le système le plus laxiste pour ne pas désavantager leur industrie financière. En témoigne l’autorisation donnée par la SEC en 2004 aux banques d’investissement américaines de relever leur levier au niveau de celui des banques européennes, pourtant déjà dangereusement élevé.
Année après année les rapports de la Banque des Règlements Internationaux avaient attiré l’attention sur ces dangers, sans entraîner pour autant l’émergence d’une coordination internationale de facto, sinon de jure, au contraire. L’arrangement historique entre la Chine et les Etats-Unis, parfois étiqueté Bretton-Woods II, qu’on peut expliquer par l’absence d’alternative aux bons du Trésor américains pour recycler les réserves de change chinoises, transforma le laxisme monétaire d’Alan Greenspan du début du siècle en machine à surchauffe planétaire.
Ironiquement, l’analyse post-mortem faite par son successeur au meeting de l’AEA confirme bien ce laxisme monétaire américain : c’est en utilisant des prévisions d’inflation dans une « règle de Taylor », où l’on juge de l’adéquation d’un politique monétaire vis-à-vis des deux objectifs de stabilité des prix et de plein emploi, que Ben Bernanke tente de blanchir la politique de son prédécesseur, qu’il avait d’ailleurs soutenu. Mais, comme il l’indique très scrupuleusement, le même exercice conduit avec la véritable inflation indique que la politique monétaire était trop laxiste. Le facteur manquant qui biaisait les prévisions d’inflation domestiques était justement sa dimension internationale.
Via les carry trades, le dopage aux amphétamines monétaires se propagea à toutes les économies dotées d’un système financier moderne.
En ciblant des boucs émissaires symboliques comme les bonus des traders ou les hedge funds, les dirigeants du G20 ont échoué à définir un cadre institutionnel pragmatique et efficace pour coordonner les politiques monétaires et de régulation de l’offre de crédit au niveau mondial. Et, malheureusement, Ben Bernanke vient d’apporter son blanc-seing à cette politique de l’autruche du G20. Lorsque le prochain cycle économique prendra vraiment son essor, cette année ou l’an prochain, il sera indispensable que les autorités monétaires des grandes zones économiques, Etats-Unis, zone euro, Chine et Japon, prennent en compte la dimension mondiale de l’inflation. Le retour de cette dernière annoncerait la prochaine crise, probablement plus dévastatrice que la précédente, car elle convaincrait les opinions publiques que la mondialisation est un échec.
Tout espoir n’est cependant pas perdu : le G20 a permis la création du Conseil de stabilité financière. S’il acquiert de l’autorité, le Conseil pourra en effet contribuer à réguler l’offre globale de crédit. Mais il reste à convenir d’un cadre de coopération permanente pour prévenir les risques de surchauffe mondiale, un directoire monétaire du G4, en quelque sorte. Cela supposerait la mise en place d’une ébauche de droit d’ingérence en matière de politique monétaire. Mais c’est le prix à consentir pour que la mondialisation économique, qui reste la meilleure arme anti-pauvreté connue à ce jour, trouve un meilleur équilibre et ne dégénère pas en chaos politique.
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