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La mondialisation en déclin…

 Une étude UBS montre que le commerce a reculé plus vite que l’économie mondiale. Le retour d’un protectionnisme larvé?

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 C’est aujourd’hui une crainte partagée par de nombreux économistes: 2007 pourrait rester dans les mémoires comme l’année où la mondialisation du commerce, qui avait caractérisé la fin du XXe siècle, a atteint son pic, pour connaître ensuite un reflux inexorable. L’Histoire se répétera-t-elle?

 On l’oublie parfois, mais la globalisation n’a rien d’irréversible.

La phase précédente de libéralisation des échanges avait été stoppée nette, dans les années 1930, par la montée du protectionnisme. En 1932, dans la foulée d’une autre crise financière, les Etats-Unis votaient le Smoot-Hawley Tariff Act, augmentant les taxes douanières sur des milliers de produits importés. Les économistes s’accordent à dire que cette mesure n’a fait que rallonger la Grande Dépression. Les Etats succomberont-ils à nouveau à la tentation protectionniste?

Dans une récente étude publiée par UBS, l’économiste Paul Donovan collecte une série de données qui peuvent le laisser penser.

 Observés sur une période longue, les tarifs douaniers n’ont cessé de reculer depuis une quarantaine d’années. A tel point qu’ils ont peut-être touché un niveau plancher, en-dessous duquel il sera difficile d’aller. Le multilatéralisme devrait normalement garantir le statut quo, puisque les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont sensées empêcher une hausse brutale des barrières douanières. Plus sournoises, les mesures anti dumping semblent toutefois se multiplier.

Alors que le G20 se fend de déclarations libre-échangistes, Barack Obama n’a pas hésité à imposer une taxe de 35% sur les importations de pneus chinois. «Et ce sont bien sûr les consommateurs américains qui devront payer leurs pneus plus chers», dénonce Paul Donovan.

 L’Union européenne n’est pas en reste: les aciéristes demandent une taxation des produits chinois, tandis que les chaussures et les panneaux solaires sont déjà pénalisés.

De fait, la Chine se trouve aujourd’hui au centre de tous les argumentaires protectionnistes. A force de jouer le yuan à la baisse, Pékin a fini par excéder son partenaire américain. L’administration Obama vient de reporter la publication d’un rapport potentiellement explosif sur le marché des devises étrangères . A Washington, nombreux sont ceux qui dénoncent la politique du yuan faible et la manipulation des taux de change.

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 Interrogés par L’Agefi, plusieurs économistes d’organisations internationales ont refusé de s’exprimer sur la question, jugée trop polémique. La bisbille sino-américaine risque d’entraver les négociations du cycle de Doha, déjà au point mort. «Elles n’ont plus aucune chance d’aboutir en 2010, estime Jean-Pierre Lehmann, économiste à l’IMD. Les négociations pourraient même rester bloquées ces trois prochaines années, faute d’un leadership clair. Obama n’est pas un libre-échangiste convaincu; il ne risquera pas son capital politique pour relancer Doha.»

Les chiffres rassurants de l’OMC laissent pourtant espérer une reprise du commerce. Celui-ci devrait progresser de 9,5% en 2010, après un plongeon de 12% l’année dernière. L’OMC reconnaît toutefois qu’il faudra attendre 2011 pour que les échanges retrouvent leur niveau d’avant Lehman Brothers. C’est bien simple: jamais contraction du commerce n’avait été aussi marquée qu’en 2009 ces cinquante dernières années.

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 Plus inquiétant encore, la part des échanges en pourcents du PIB mondial a stagné. En clair, le commerce a reculé plus vite que l’économie, attisant la peur d’un pic de la mondialisation. La nature financière de la crise a contribué à l’ampleur du reflux subi par le commerce, souligne UBS. Les sources de financement du négoce et du transport se sont taries d’un seul coup. Cette raréfaction du crédit a surtout pénalisé les petites entreprises exportatrices, particulièrement actives sur les marchés mondiaux.

 La globalisation a également fonctionné avec un effet de levier. Comme les économies sont davantage interconnectées, la baisse de la demande dans un pays s’en est ressentie d’autant plus fortement dans les autres. La nature même de la production capitaliste explique ce phénomène. Les produits issus d’entreprises globalisées ne sortent plus d’une seule usine: ils passent par des chaînes de montage transnationales. Quand une entreprise peine à exporter, c’est toute une série d’intermédiaires qui s’en trouvent pénalisés. Ce qui finit par peser sur les chiffres mondiaux du commerce et de la croissance. A l’inverse, une forte reprise de l’économie mondiale pourrait recréer cet effet de levier inversé, faisant repartir les statistiques à la hausse. C’est du moins la thèse défendue par Patrick Low, économiste en chef de l’OMC: «Le commerce a toujours reculé plus vite que l’économie dans les phases de récession, mais avec la reprise, il rebondira plus rapidement que le PIB. Je ne crois pas qu’il y ait la moindre preuve qu’un pic de la mondialisation soit atteint.»

 Plusieurs tendances lourdes laissent pourtant craindre l’installation durable d’un protectionnisme larvé.

 A commencer par l’intervention des Etats dans l’économie, par le biais des plans de relance keynésiens. Alors que les stimuli contiennent souvent une hausse (nécessaire) des investissements publics, la tentation est grande de privilégier les entreprises nationales dans l’attribution des contrats. Avec la crise financière, les vertus du libre-échange semblent à nouveau passer au second plan, masquées par les craintes (légitimes) liées au chômage et à la récession.

A cela s’ajoute une phase de réglementation tous azimuts. Dans le domaine alimentaire, par exemple, les Etats-Unis reprochent à l’Europe d’interdire l’importation de volailles traitées avec certains produits chimiques. La mise en place de ce type d’entraves se justifie souvent par des intentions louables, mais elle aboutit sur la défense de quelques intérêts particuliers, au détriment des consommateurs et des pays exportateurs. Selon UBS, le nombre de barrières techniques au commerce a plus que doublé sur la dernière décennie – elles ont augmenté de 17% en 2009.

Avec la montée des enjeux environnementaux, les partisans du protectionnisme disposent désormais d’une nouvelle caisse de résonnance. L’idée de taxer les importations de biens polluants fait florès. A l’IMD, Jean-Pierre Lehmann s’en émeut: «Quand Joseph Stiglitz défend ce principe, on en reste au projet théorique. Mais quand Nicolas Sarkozy le reprend, on passe au populisme!»

Même à l’OMC, Patrick Low le reconnaît: «Une tension existe toujours entre politiques publiques et libre-échange. En période de basse conjoncture, les gouvernements peuvent céder à l’envie d’utiliser leur action à des fins protectionnistes.»

Cependant, pondère l’économiste, les dirigeants sont aussi conscients des risques liés à un recul du libre-échange. L’interconnexion des économies rend aujourd’hui illusoire un retour aux barrières douanières des années 1930. Tous le savent: la reprise du commerce mondial passera inévitablement par la Chine, devenue le premier exportateur mondial devant l’Allemagne. La place prééminente de la Chine est d’ailleurs trompeuse.

 Comme le souligne l’économiste Patrick Artus, de Natixis, 55% des exportations chinoises proviennent en fait d’entreprises en mains étrangères. C’est assez logique, puisque les groupes occidentaux ont délocalisé en Asie pour produire à moindre coûts des biens revendus ensuite sur leurs marchés domestiques. Les solutions généralement envisagées pour lutter contre l’excédent commercial de la Chine sont par conséquent absurdes. Les groupes occidentaux ne relocaliseront pas leurs industries en Europe. Et une réévaluation à la hausse du yuan ne ferait rien pour encourager un hypothétique mouvement de retour. «Si le yuan fort vient éroder les marges des entreprises, elles seront simplement redélocalisées dans des pays à coûts salariaux encore plus faibles: Vietnam, Indonésie, Bangladesh, Inde», relève Patrick Artus. A défaut de rapatrier les entreprises, les mesures protectionnistes augmentent surtout les prix pour les consommateurs finaux. Elles pénalisent les pays en voie de développement qui n’ont pas encore bénéficié d’un décollage économique lié aux exportations. Enfin, elles pèsent sur des PME extraverties qui, contrairement aux multinationales, n’ont pas forcément les moyens de s’adapter à un environnement mouvant sur le plan du droit international.

De manière assez paradoxale, le protectionnisme trouve pourtant un important soutien auprès des opinions publiques. Pour le moment, les gouvernements ne cèdent pas encore massivement aux sirènes populistes. Les leçons de la Grande Dépression semblent encore gravées dans la mémoire collective. Jusqu’à quand? (GK)

 Gaspard Kühn agefi avril10

Mondialisation : Retour sur le rapport publié par Ernst & Young en collaboration et l’Economist Intelligence Unit (EIU) (cliquez sur le lien)

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