Bruno Colmant : Les Etats vont capturer la création de monnaie
Depuis les premiers jours de la crise, son issue était prévisible: les besoins de liquidités bancaires seraient monétisés et financés par les Etats. Pourtant, il n’était pas anticipé que les gouvernements interviennent au titre d’actionnaires des banques, ni qu’une crise économique suive les déroutes financières. Les dettes publiques en deviennent stratosphériques, au fur et à mesure que les déficits s’envolent. D’aucuns imaginent un rapide retour à la normale. Dans certains pays, ce ne sera probablement pas le cas, car la déroute bancaire a magnifié des problèmes préexistants d’endettement public.
La sortie de crise sera donc inattendue, hétérogène et désordonnée. Il sera d’ailleurs difficile de la discipliner sans mettre en question les systèmes sociaux qui alimentent les déficits budgétaires structurels. Pour cette raison, de nombreux économistes postulent que l’aboutissement de la crise sera, pour partie, inflatoire. A moyen terme, l’inflation paraît l’issue inévitable pour s’extraire du cul-de-sac dans lequel les choix budgétaires ont mis les gouvernements européens.
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Tutelle des Etats
Le secteur bancaire restera sous la stricte tutelle des Etats. Cette surveillance s’exercera pour des raisons prudentielles.
Mais pas seulement: les États devront s’assurer que les banques souscrivent aux obligations d’État destinées à financer les déficits. Les États vont devoir capturer l’épargne privée au travers des banques qui devront leur faire crédit.
En d’autres termes, l’actionnaire (l’État) des banques sera, plus lourdement qu’avant, leur emprunteur. Cette situation ambiguë sera confortée par une logique implacable. Pour éviter de devoir à nouveau intervenir dans leur sauvetage, les Etats exigeront des banques qu’elles prennent moins de risques dans l’octroi de crédit. Or les obligations d’État sont justement des crédits de la meilleure qualité puisqu’ils sont garantis par la capacité des Etats à lever des impôts.
Contrairement aux crédits ordinaires, les banques ne doivent d’ailleurs pas disposer de capitaux propres en proportion de ces obligations d’Etat. L’actionnaire (l’Etat) peut donc promouvoir le placement de ses propres dettes.
Au-delà des garde-fous réglementaires, cela devient une situation circulaire puisque les banques ont dilué leurs déséquilibres dans ceux des États. Ou, inversement, les États ont trouvé dans leurs participations bancaires des créanciers fidèles. Les États et les banques vont entremêler leur solvabilité dans une relation impure qui confond les rôles d’actionnaire, de débiteur et de créancier.
Les banques l’ont parfaitement compris: à peine aidées et recapitalisées, elles se dépêchent de rembourser les aides publiques et de se défaire des garanties étatiques. Elles ont raison, car le pire serait de développer une doctrine d’actionnariat d’État. Les autorités n’ont ni vocation, ni compétence à demeurer actionnaires des banques. Les banques ne doivent pour autant se faire aucune illusion: elles seront interpellées par les Etats, qui ne pourront pas se passer de leurs capacités de financement. Les Etats pourront, quant à eux, légitimement opposer aux banques qu’ils ont dû sauver le système bancaire et doivent le contrôler. Au reste, quand bien même les banques voudraient retourner dans la sphère privée, ce sera difficile pour certaines d’entre elles, qui resteront nationalisées.
La meilleure façon de prévenir la déroute d’une banque est, en effet, d’exiger que ses capitaux propres soient suffisamment élevés. Lorsque les Etats se dégageront du capital des banques – à une échéance probable de quelques années -, ils céderont leurs participations à des actionnaires de référence. Ces nouveaux actionnaires devront non seulement racheter les participations des Etats, mais aussi apporter simultanément des capitaux propres frais. Or les capitaux seront rares, car les marchés financiers seront asséchés par les besoins de financement des Etats. Il n’est donc pas sûr que le scénario de privatisation des banques soit facile à mettre en œuvre car les actionnaires privés seront difficiles à identifier.
Contrat rompu
En outre, la tutelle des banques se modifiera de manière invisible mais irréversible. Un contrat implicite a été rompu entre la sphère bancaire et l’Etat. Cet accord tacite consistait à accepter que les institutions financières réalisent des bénéfices en tirant avantage de rentes de situations quasi monopolistiques. Mais cette liberté de profit avait une contrepartie: les banques devaient se gérer de manière suffisamment prudente afin de ne jamais devoir faire appel à l’aide de l’Etat. Les pouvoirs publics ont donc acquitté une sorte de prime d’assurance aux banques en contrepartie de l’élimination du risque de sauvetage. Si ce contrat n’est pas respecté, cela suscite un problème d’aléa moral (ou moral hasard), incite une banque à augmenter les risques (et les bénéfices qu’elles en tirent) qu’elle prend puisque l’Etat intervient en cas de problème. C’est ce contrat implicite qui a conduit à élaborer la théorie, désormais fragilisée, du “too big to fail” qui consiste à imaginer que certaines institutions financières sont trop importantes pour s’écrouler. Cela explique que le fond de protection des dépôts belges n’avait, à juste titre, accumulé que quelques centaines de millions d’euro, c’est-à-dire un montant dérisoire en cas de déconfiture d’une banque importante.
Cette équation bancaire est modifiée: désormais, les Etats garantissent de manière explicite les dépôts, pour un montant réévalué (100.000 EUR en Belgique). Mais ils exigeront une contrepartie implicite: le contrôle des crédits et l’achat d’obligations d’Etat, qui constituent justement une excellente contrepartie de la garantie des dépôts.
Seconde mort de Bretton Woods
Un cycle de quarante ans s’achève. En 1971, la fin des accords de Bretton Woods avait signé l’abandon de l’étalon-or.
La création de monnaie avait alors été transférée progressivement aux banques privées. Leurs excès, conjugués à la fin d’un modèle de croissance, les replacent sous tutelle publique. Sur la pointe des pieds. Non seulement par la capture de leurs capitaux propres, mais aussi par les deux côtés du bilan, à savoir la protection des dépôts (au passif) et des crédits (à l’actif).
En conclusion, la configuration des banques et leur supervision publique se modifieront lourdement au cours des prochaines années. Les États devront financer leurs déficits vertigineux et s’appuieront sur les banques. Les dépôts seront protégés, mais au prix de la supervision des crédits et d’investissements bancaires en obligations d’Etat émis pour financer les gigantesques endettements étatiques.
La création monétaire va donc réintégrer la sphère étatique, puisque les banques vont monétiser les emprunts d’Etat. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’argent va être à nouveau nationalisé alors que la fin des Accords de Bretton Woods l’avait privatisé. Cette situation sera génératrice d’inflation, qui contribuera justement à alléger le poids des dettes publiques.
Bruno Colmant, Docteur en Sciences de Gestion Professeur à la Luxembourg School of Finance mai10
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