Asie hors émergents

Une crise immobilière et 20 ans de perdu au Japon

Une crise immobilière et 20 ans de perdu au Japon

Une tragédie qui illustre les dégâts que peut provoquer une dérégulation bancaire.

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Après la Grande Dépression des années 30, les autorités américaines vont mettre en place une forte réglementation du secteur bancaire. Le “Glass-Steagall Act” de 1933 va imposer une séparation stricte de l’activité de banque dépositaire (Citibank, Bank of America) et de banque d’investissement (Merrill Lynch, JP Morgan) aux Etats-Unis. De manière relativement ironique, le Glass-Steagall act fut abrogé par l’administration Clinton en 1999. Après la Seconde Guerre Mondiale, il y eut occasionnellement des reculs boursiers significatifs dans certains pays, notamment après la crise pétrolière de 1970. Les marchés européens perdirent ainsi en moyenne 45 % de leur valeur entre septembre 1972 et décembre 1974. Mais ces reculs n’ayant pas pour origine un problème d’excès de liquidité ou de bulle boursière, leur impact sur l’économie resta modéré.

À la fin des années 80, le Japon est la deuxième puissance économique mondiale et dispose d’une économie stable, de travailleurs éduqués et d’un solde créditeur grâce à un taux d’épargne très élevé. L’économie est en forte croissance avec un chômage négligeable. Les fondamentaux du pays sont tous au beau fixe, si ce n’est que sa population est vieillissante.

Dérégulation…

Traditionnellement, les grandes banques japonaises faisaient partie d’un “keiretsu”, un conglomérat industriel dans lequel leur rôle était strictement défini: fournir du crédit bancaire permettant le développement des industriels, sur base de directives économiques venant souvent du monde politique. Les entreprises composant le keiretsu étaient, en outre, souvent reprises dans un système de participations croisées qui renforçait l’interdépendance des différents acteurs.

À partir du milieu des années 80, le secteur financier va être progressivement dérégulé (comme dans de nombreux autres pays), afin que les banques puissent orienter leurs capitaux vers des segments plus rentables de l’activité économique.

Les banquiers vont, notamment, pouvoir offrir une rémunération aux dépôts, ce qui va les pousser non seulement à offrir des taux d’intérêt attrayants aux comptes d’épargne, mais aussi à rechercher des sources de rentabilité supérieure afin de rémunérer ces dépôts. Or qui dit return plus élevé dit aussi prise de risque. Et les banques de l’Archipel nippon vont apprendre à leurs dépens que cet adage n’est pas un vain mot. Ayant évolue de nombreuses années au sein d’un keiretsu, elles n’ont pas pris tout de suite conscience du niveau de risque qu’elles prenaient.

… Dégonflement…

Les banques vont donc prêter à tout va, et participer au financement de tous les types de projets immobiliers. Elles vont également octroyer de plus en plus de prêts à la population en prenant les biens immobiliers comme garanties. Certaines études estiment qu’au début des années 90, 80 % des prêts avaient un bien immobilier comme “collateral”, et que les réserves des banques japonaises représentaient moins de 1 % de leur portefeuille de crédits. Certains mécanismes fiscaux ont fortement contribué à ce phénomène. La revente d’un bien immobilier était très fortement taxée, ce qui gonflait les prix immobiliers afin de compenser l’imposition à la sortie. L’inflation immobilière va se révéler galopante, et le Nikkei va suivre le mouvement. L’indice de la Bourse de Tokyo atteindra un plus haut de 38.957 points le 29 décembre 1989, soit un quadruplement de sa valeur en six ans. Au début de l’année 1990, la valeur immobilière de l’Archipel dépasse la valeur immobilière de l’ensemble du reste de la planète, et sa capitalisation boursière est supérieure à celle de la Bourse de New York, alors que le PNB et la population des Etats-Unis sont le double de ceux en vigueur au Japon. Le top 10 des banques mondiales, sur base des actifs, est trusté par toutes les grandes banques japonaises.

À partir de 1990, la Banque du Japon décide de remonter ses taux pour faire face à un retour de l’inflation et pour faire dégonfler la bulle immobilière. Pendant un moment, les prix de l’immobilier se maintiennent, mais à partir du début 1991, la baisse devient de plus en plus rapide. L’indice Nikkei commence à corriger plus tôt. Il clôture à 23.849 points en 1990, à 22.984 en 1991, pour plonger ensuite vers les 14.000 points en août 1992.

… et Impuissance

Contrairement à la crise des années 30, l’économie japonaise ne s’effondrera pas, essentiellement parce que les entreprises japonaises continuent d’exporter fortement vers l’extérieur. Toutefois, les capacités de production des groupes japonais resteront sous-utilisées pendant plus de 10 ans, parce que la demande intérieure ne se redressera pas. Après avoir été pendant 30 ans l’économie jouissant de la croissance la plus rapide au monde, le Japon va devenir un paria économique. Les banques japonaises, lestées par des dettes immobilières irrécupérables, bloqueront la croissance du crédit pendant l’essentiel des années 90.

La réponse des pouvoirs publics japonais va en effet se heurter à un facteur qui n’avait pas été anticipé. Entre 1990 et 1998, les autorités japonaises vont lancer plan de relance sur plan de relance, avec des taux d’intérêts qui sont descendus jusque 0 %. Mais les liquidités publiques injectées vont être pratiquement automatiquement thésaurisées par une population vieillissante, et l’économie nippone entrera dans une phase de déflation prolongée. L’économie est tombée dans une trappe à liquidité, et les politiques de relance traditionnelles démontreront leur inefficacité.

En octobre 2008, soit près de 20 ans après son plus haut des années 80, l’indice Nikkei plongea sous les 7.000 points, soit 82 % en dessous de son record. Un bien immobilier résidentiel ne valait alors plus que 10 % de sa valeur de 1990. Aujourd’hui encore le benchmark nippon traîne la patte: il pointe à 9.278 points, soit 4,2 fois mois que son niveau historique.

source Echo juil10

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