Entre le nadir et le zénith par Bruno Bertez
Le S&P500 valait 1121 points hier (jeudi) à l’ouverture. L’indice a ainsi effacé la moitié de ses pertes depuis son plus bas de mars 2009.
A l’heure précise où est rédigée cette chronique, l’indice S&P500, que l’on peut considérer comme l’indice phare du marché mondial des actions, est à 1121.
En octobre 2007, il était au zénith à 1576; en mars 2009, il était au nadir à 666. Faites le calcul; par rapport au plus bas de mars 2009, les marchés ont refait exactement la moitié du chemin. Ils ont retracé la moitié des pertes.
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Pourquoi cet intérêt pour 1121? Parce que c’est tout un symbole, un résumé de ce qui a été fait depuis 2008, depuis la crise financière: nous sommes à mi-chemin.
L’ennui est que l’effet des mesures prises pour lutter contre la crise est en train de s’estomper. On arrive à la fin, on a fait 100% des programmes fiscaux et monétaires et ces 100% n’ont donné que la moitié des résultats que l’on aurait pu espérer.
La reprise économique en «V» n’est pas venue. Les green shoots de mars 2009 annoncés par Bernanke n’ont pas pris racine. Le maximum de la croissance du PIB a été dépassé au premier trimestre, nous sommes déjà sur la pente du ralentissement. Et tout est à l’avenant.
Un retracement de 50% pour le S&P500, on ne peut trouver meilleure illustration de l’incertitude. On peut basculer d’un côté comme de l’autre.
Il y a d’autres symboles qui renforcent la valeur du constat sur le S&P. Le dollar, la monnaie-phare mondiale, est lui aussi à mi-chemin entre ses plus bas à 72 au Dollar Index en 2008 et ses plus hauts à 89 en 2009: on est exactement à 80,50. Notez en passant que c’est aussi le niveau de la moyenne mobile des 200 jours.
L’emprunt à 10 ans, qui donne le «la» de toutes les valeurs gouvernementales du monde et de tous les taux privés qui en découlent est aussi à mi-chemin. On est à 2,90% entre les extrêmes de 2% (début 2009) et de 4% (en avril 2010).
Que s’est-il passé? La relance de la demande keynésienne n’a pas eu d’effet multiplicateur. Les entreprises ont donné la priorité à la productivité et à la sécurité; les ménages ont refusé d’accroitre leur endettement; ils donnent la priorité à la restauration de leur situation financière. Les profits des entreprises sont record; le taux moyen d’épargne des Américains est remonté au niveau de la moyenne historique à 6,4%.
Les paris des conseillers d’Obama, les paris du Trésor, les paris de la Fed ont échoué: la relance du crédit ne s’est pas enclenchée.
Vous noterez que nous restons à l’intérieur du cadre analytique tracé par les responsables de la conduite des affaires. Nous ne cherchons pas une énième fois à expliquer en quoi ils se sont trompés d’analyse et en quoi ils se sont fourvoyés dans leur action.
Vous connaissez notre avis; on ne résout pas une crise de surendettement en creusant les déficits et en empilant une nouvelle couche de dettes sur un système. On résout une crise de la dette soit par destruction de la partie la plus inefficace de cette dette, soit par hausse des cash-flows, c’est à dire des revenus qui servent à honorer les dettes.
Nous sommes donc à mi-chemin. A mi-chemin vers quoi?
Ecoutons Bullard, patron de la Fed de Saint-Louis. Ce n’est pas un «politique», son cursus est celui d’un chercheur: «les Etats-Unis sont plus proches d’une situation de déflation à la japonaise qu’à tout autre moment de leur histoire». La tendance de l’inflation menace de passer sous les 1%, la croissance réelle du PIB, du vrai, c’est à dire celui de la demande finale, est de 1,2% en rythme annuel. Si ce n’est pas de la déflation, on s’en rapproche en effet.
US/FED/Bullard : à deux doigts d’une déflation à la japonaise ? (cliquez sur le lien)
Bullard a lancé le débat. Comme le moment était opportun, il s’amplifie. La mayonnaise prend, les arguments s’affrontent, les médias s’en font l’écho.
Les marchés eux s’en régalent. Ils menaçaient de chuter, ils rebondissent. Ils vendent la peau de l’ours, ils connaissent les «biais» des dirigeants et font comme si la question était déjà tranchée. Selon le Wall Street Journal, dès le FOMC du 10 août, il y aura des annonces dans le sens d’une nouvelle stimulation monétaire. Le taux des Treasuries à 2 ans, maturité clé pour la manipulation de la courbe, est au plus bas historique à 0,51%. Les actions repassent au-dessus des moyennes mobiles 200. Le pétrole refranchit le seuil fatidique des 80. Tout le grand complexe risque/reflation trade est à l’unisson.
Que retient-on de Bullard?
D’abord, que l’économie est au point mort dans un équilibre de type déflationniste à la japonaise. Ensuite, que la ZIRP, politique de taux zéro, a épuisé ses effets. Enfin, que le seul moyen d’aller plus loin est de mettre en place un nouveau programme de QE, Quantitative Easing, par le biais d’achat de valeurs du Trésor US.
En clair, Bullard préconiserait de faire ce que Bernanke disait déjà en 2002 et 2003: «stimuler la dépense en abaissant les taux tout au long de la structure par le biais d’achat de valeurs du gouvernement de maturité longue». L’idée était de mettre un plafond à 2-2,5% pour les taux longs en achetant toute quantité, sans limite, de Bonds de maturité moyenne et en espérant n’avoir qu’à intervenir marginalement sur les maturités longues. Le marché par ses ré-allocations de portefeuilles devant, lui, faire l’essentiel de la baisse des taux longs. La manœuvre est évidemment une monétisation de la dette, il s’agit de faire fonctionner la planche à billets à l’état pur.
WSJ/ La Fed pourrait décider de nouveaux rachats d’obligations (cliquez sur le lien)
Nous n’irons pas plus loin dans l’analyse des mécanismes de monétisation de la dette du gouvernement US, monétisation appelée pudiquement QE, car ce n’est pas le plus important. Nous pensons que les marchés et les commentateurs passent totalement à côté de ce que propose le patron de la Fed de Saint-Louis.
Bullard dit, premièrement, la ZIRP a touché ses limites, deuxièmement, il faut aller très loin dans le QE. C’est vrai, mais ce n’est pas l’essentiel, au contraire. Il ajoute, premièrement, la ZIRP est contre-productive, elle favorise et entretient la déflation; deuxièmement, l’enjeu, ce n’est ni le monétaire, ni l’économique, l’enjeu, c’est le comportement des agents économiques.
Là est son innovation. Son trait de génie et bien sûr son audace.
Au lieu de croire au miracle, comme Bernanke, au lieu de croire que les taux bas stimulent la dépense en vertu de l’opération du Saint Esprit, il a compris qu’il fallait revenir sur terre, cesser de marcher sur la tête des idées, bref, qu’il fallait hic et nunc, modifier les comportements. Ce sont les hommes, les communautés humaines, qui consomment, investissent et dépensent. Et c’est à ce niveau que se joue l’action.
La ZIRP est contre-productive parce qu’elle va à l’envers. On dit: on maintient les taux bas parce que l’inflation est faible; cela sous-entend qu’on les montera quand l’inflation réapparaîtra. En prétendant que l’on maintiendra la ZIRP, longtemps, très longtemps, on accrédite l’idée qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas d’inflation. Donc maintenir les taux bas, dire qu’ils vont le rester, c’est avouer qu’il n’y a pas d’inflation et ipso facto entretenir des anticipations et des comportements déflationnistes.
A la limite, si l’on en croit Bullard, il faut monter les taux courts pour cesser d’entretenir les anticipations négatives et, bien sûr, il faut faire une monétisation massive. Un QE choc.
La communication doit viser, à la faveur de ce choc, à faire comprendre que l’on recherche l’inflation. Que l’on fera tout ce qu’il faut pour la faire monter. Il faut donner «le signal de mise en branle des anticipations et des comportements désirés».
Bref, la politique monétaire dans le cadre analytique de Bullard ne produit pas de miracle en elle-même; elle ne sert qu’à renverser l’humeur sociale, le moral du pays, à dégeler les comportements.
La proposition, la vraie, de Bullard, va au fond des choses. Elle touche enfin aux racines de la déflation, prise en tant que phénomène de société et non pas dans ses manifestations monétaires, financières et économiques étriquées.
La déflation, c’est quand les gens sont frileux, quand ils ont peur, quand ils sont tristes, culpabilisés, écolos, malthusiens. Bref, quand ils cherchent non pas à produire, à s’enrichir, mais à conserver. La déflation, c’est la rétention.
L’inflation, c’est la fin du Père Fouettard, la transgression des limites, la fête, le gaspillage, à la fois parce que l’on sait que l’argent que l’on possède va se dévaloriser, mais aussi parce que l’on a la conviction que la machine tourne, que le mouvement est là, que l’avenir est à nouveau ouvert. Bullard propose un changement de l’humeur sociale, un retour de la dépense, de l’exubérance et de la fête. La politique monétaire n’est qu’un signal. Sa fonction est de créer un choc. Pour le reste, avec il faut bien le dire, la fuite devant la monnaie, la mécanique va s’enclencher. Elle va prendre de la vitesse. Ce faisant, elle produira des richesses nouvelles et, par la hausse des prix, détruira le capital mort, le capital ancien, l’obstacle au progrès. Cet obstacle au progrès que l’on s’épuise par la déflation à maintenir en vie.
Autant dire que cela ne peut pas plaire aux Chinois, grands accumulateurs de capital ancien, aux classes fortunées qui se sont enrichies pendant la grande débauche de l’ère financière.
A notre avis, Bullard mérite d’être rapidement le prochain patron de la Fed. Il a compris les limites de l’économisme, du financiarisme, du monétarisme et de tous ces «ismes» qui passent à côté de l’essentiel: les hommes. Il mérite de s’inscrire dans la grande lignée de ceux qui pensent que le but ultime de l’économie, ce n’est pas l’accumulation, la conservation, l’épargne, mais la production, la destruction, le potlatch. Bernanke est un pur produit de l’économisme. Il a prétendu relancer en appuyant en même temps sur l’accélérateur et sur le frein. Bullard propose non seulement de cesser de freiner, mais de débrider la voiture. Bullard a raison.
Inutile de vous dire que même si tout cela ne fait que balbutier, cela fera son chemin. Nous sommes acheteurs de quasi-tout, obligations à 10 ans, actions, commodities, or, et même immobilier. Tout sauf le cash. Pour les férus d’histoire, et pour montrer que cela est possible, nous rappelons que Reagan a échoué sur tout, mais qu’il a réussi à changer complètement l’humeur de l’Amérique. Obama a déjà commencé le même chemin, il a fait déjà la première partie, pourquoi ne pourrait-il pas aller jusqu’au bout?
Bruno Bertez agefi aout10
BILLET PRECEDENT : Le politique contre les marchés par Bruno Bertez (cliquez sur le lien)
Cet article est ebouissant. Je l’ai sauvegarde en pdf car contrairement a beaucoup de papiers, il n’explique pas seulement le passe mais surtout il propose un scenario, clair.