Art de la guerre monétaire et économique

Les Français vont crier… eh bien, et après ? » par Pierre-Antoine Delhommais

Les Français vont crier… eh bien, et après ? » par Pierre-Antoine Delhommais

Pierre-Antoine Delhommais

 Comme l’Histoire, la petite histoire monétaire a ses grands hommes. Et il se trouve que ce sont parfois les mêmes. Deux jours avant que Nicolas Sarkozy se rende à Colombey-les-deux-Eglises pour célébrer le 40e anniversaire de la disparition du général de Gaulle, le président de la Banque mondiale avait lui aussi honoré à sa manière la mémoire de l’homme du 18-Juin.

PLUS DE DELHOMMAIS  DE GOLD ET DE GAVE  EN SUIVANT :

 Dans une tribune publiée dans le Financial Times, Robert Zoellick a expliqué qu’un nouveau système monétaire « devrait envisager d’employer l’or comme un point de référence international ».

Refonte du système monétaire international, retour à l’étalon-or : on avait déjà entendu cette chanson, il y a un peu plus de quarante-cinq ans, le 4 février 1965 pour être très précis, lors d’une conférence de presse, restée célèbre, de De Gaulle. On se permettra d’en citer un long extrait. Pas seulement pour souligner la modernité troublante de la pensée du Général mais aussi pour prendre la mesure de son talent d’orateur et goûter aussi la beauté de la langue.

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« La France préconise que le système soit changé (…). Etant donné la secousse universelle qu’une crise survenant dans ce domaine entraînerait probablement, nous avons en effet toutes raisons de souhaiter que soient pris, à temps, les moyens de l’éviter. Nous tenons donc pour nécessaire que les échanges internationaux s’établissent, comme c’était le cas avant les grands malheurs du monde, sur une base monétaire indiscutable et qui ne porte la marque d’aucun pays en particulier. »

Quelle base ? En vérité, on ne voit pas qu’à cet égard il puisse y avoir de critère, d’étalon, autres que le l’or. Eh ! oui, l’or qui ne change pas de nature, qui se met, indifféremment, en barres, en lingots ou en pièces, qui n’a pas de nationalité, qui est tenu, éternellement et universellement, comme la valeur inaltérable et fiduciaire par excellence. »

Derrière ce discours, un homme : Jacques Rueff, « l’homme de l’étalon-or », dont l’essayiste Philippe Simonnot affirme, dans Le Jour où la France sortira de l’euro (éditions Michalon, 190 p., 17 euros), qu’il a été le plus grand économiste français du XXe siècle. Rueff a d’autant plus facilement modelé la vision monétaire de De Gaulle que celui-ci était tout disposé à défendre un projet qui contestait l’hyperpuissance américaine et « le privilège exorbitant » des Etats-Unis de pouvoir financer « leurs déficits sans pleurs ». Rueff – et de Gaulle – jugeait que l’étalon-or, considéré comme « une relique barbare » par Keynes, était au contraire le meilleur et le seul moyen d’éviter les manipulations politiques de la monnaie et d’empêcher les Etats de céder « aux délices trompeurs de la création monétaire », à la Greenspan ou à la Bernanke.

Rueff était – et pas seulement en matière d’organisation monétaire – un anti-keynésien résolu. Dans une longue tribune publiée dans Le Monde en février 1976 et titrée « La fin de l’ère keynésienne », il explique que « la pharmacopée keynésienne (…) est en train de détruire sous nos yeux ce qui subsiste de la civilisation de l’Occident ».

Rueff est un libéral convaincu – « Je me déclare simplement libéral, c’est-à-dire je pense que c’est au mécanisme des prix qu’il faut demander le maintien de l’équilibre économique » – mais un libéral tourmenté. « A vous tous, je viens avouer mon péché, qui est d’être resté libéral dans un monde qui cessait de l’être. » Un libéral à la française qui, contrairement à ses homologues anglo-saxons Hayek ou von Mises, considère que l’intervention de l’Etat est parfois nécessaire pour corriger les équilibres instables et imparfaits du marché. Un libéral un peu perdu au milieu des « planistes » et à qui de Gaulle, va confier, en 1958, lorsqu’il revient au pouvoir, le soin d’élaborer un vaste plan économique pour « remettre la République en place ». Objectif : corriger les déséquilibres budgétaires (le pays est en déficit depuis 1931 !) et des comptes extérieurs, consolider la monnaie et préparer la France à l’ouverture commerciale en restaurant sa compétitivité.

Du plan Rueff, la mémoire collective a surtout retenu la création du nouveau franc. Mais il est surtout composé d’une importante dévaluation, de libération des prix, de suppression des indexations, de réduction des subventions à l’exportation et des taxes à l’importation, de disparition de nombreuses niches fiscales. Autant dire qu’il suscite l’hostilité quasi générale. De l’ensemble des partis politiques, de nombreux hauts fonctionnaires et ministres – dont Antoine Pinay, aux finances -, du gouverneur de la Banque de France, Wilfrid Baumgartner, du patronat, des syndicats ouvriers et paysans, des militaires. De la presse (Le Monde compris), à l’exception notable de Raymond Aron dans Le Figaro. Au conseiller Roger Goetze, qui évoque le risque d’impopularité des mesures, de Gaulle rétorque : « Les Français vont crier… eh bien, monsieur Goetze, et après ? »

aPB260003.jpg Médaillon Charles de Gaulle image by Michat101

De Gaulle passe donc outre, séduit par la personnalité de Rueff, « théoricien consommé, praticien éprouvé » et par ce qu’il y a « de cohérent et d’ardent, en même temps que d’audacieux et d’ambitieux » dans son plan.

Qui connaîtra rapidement un succès inespéré : retour aux excédents pour le budget et la balance courante, baisse de l’inflation, bond du pouvoir d’achat, hausse des exportations, réduction de la dette publique, forte augmentation des réserves monétaires, etc.

Le dimanche 28 décembre 1958, à 20 heures, de Gaulle avait, à la radio et à la télévision, présenté ainsi aux Français le plan Rueff : « J’ai décidé de remettre nos affaires en ordre réellement et profondément. Notre pays va se trouver à l’épreuve, mais le rétablissement visé est tel qu’il peut nous payer de tout. Sans cet effort et ces sacrifices, nous resterions un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la médiocrité. » C’était il y a plus de cinquante ans, cela pourrait – devrait ? – être aujourd’hui.

 Courriel : delhommais@lemonde.fr

Pierre-Antoine Delhommais le monde nov10

EN COMPLEMENT : La piste de l’or relancée

L’or, qui a perdu son rôle d’étalon dans les échanges internationaux il y a quarante ans, a un rôle à jouer dans le nouvel ordre mondial dont vont débattre les chefs d’Etat des grands pays émergents et développés du G20, affirme le président de la Banque mondiale Robert Zoellick.

Dans une tribune , M. Zoellick affirme que le monde a besoin d’un nouveau système pour succéder à ce qu’il appelle «Bretton Woods II», le régime de changes flottants en vigueur depuis la fin, en 1971, de la convertibilité du dollar en or.

Selon le patron de la Banque mondiale, ce nouveau cadre «devrait inclure le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling et le renminbi (yuan chinois)». 

Mais «le système devrait aussi envisager d’employer l’or comme un point de référence international lié aux prévisions du marché pour l’inflation, la déflation et la valeur future des monnaies», lance-t-il dans le Financial Times , sans trop s’avancer sur les modalités pratiques d’une telle mesure.  «L’idée avancée est d’utiliser l’or comme un nouvel indicateur d’inflation», décrypte Cédric Tille, professeur d’économie à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève.

L’idée de «réintroduire de l’or dans le système» n’est, en soi, pas mauvaise, estime Jean Pisani-Ferry, directeur du think tank européen Bruegel

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Les principales pistes de réforme des changes évoquées

Nombre de pistes sont évoquées pour mettre un terme aux déséquilibres monétaires susceptibles de déboucher sur une «guerre des monnaies» aux conséquences néfastes.

L’actuel système de taux de change flottant a pour valeur de référence le dollar, ce qui rend l’ensemble des pays vulnérables aux fluctuations de l’économie américaine et crée une distorsion en faveur des Etats-Unis. Mais comment y remédier? Voici certaines des pistes avancées:

1 L’or comme point de référence.

L’idée, relancée lle président de la Banque mondiale Robert Zoellick, est de réintroduire l’or dans le système monétaire comme point de référence des anticipations des marchés au point de vue de l’inflation, de la déflation et des taux de change futurs.

Dans leur surveillance du taux d’inflation, les banques centrales pourraient ainsi réagir en fonction des variations des prix de l’or.

Seul hic, ce scénario rappelle le système de Bretton Woods, institué au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Dans le système de Bretton Woods, dont l’explosion en 1971 a laissé place au régime de change flottant en vigueur aujourd’hui, toute émission de dollars se faisait en stockant la quantité d’or correspondant, et toutes les monnaies étaient alors définies par rapport au dollar.

Un tel système nécessiterait, entre autres, une production d’or qui puisse croître aussi rapidement que les échanges mondiaux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

2 Faire des droits de tirage spéciaux (DTS).

Instrument monétaire créé par le FMI en 1969 et reposant sur un panier de devises, une monnaie de réserve de change supranationale.

Cette piste avait été avancée par Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la Banque populaire de Chine en 2009 pour, expliquait-il alors, une plus grande stabilité du système monétaire international.

La Russie et la France plaident aussi pour cette piste.

Pour le président français Nicolas Sarkozy, les DTS pourraient faire office d’»actif de réserve international qui ne soit pas émis par un seul pays».

Le but est de limiter le creusement du déficit de la balance des paiements des Etats.

Elle a aussi l’avantage d’être «supra-souveraine», et donc de ne pas donner un avantage au pays dont la monnaie est utilisée comme référence.

En revanche, le principal inconvénient des DTS c’est qu’ils ne servent ni de monnaie de facturation ni de monnaie de transaction.

En outre, si le dollar, l’euro, la livre sterling, et le yen japonais sont utilisés pour calculer la valeur des DTS, ce n’est pas le cas du yuan, la monnaie chinoise, qui fonctionne sur un régime de change administré, avec un taux fixé par le gouvernement.

3 La création d’une autorité internationale de contrôle et d’arbitrage.

Cette structure coordonnerait les émissions monétaires des grandes puissances et forcerait au besoin les pays à revoir leur régime de change, et plus généralement leur politique monétaire.

Les pays du G20 pourraient par exemple se réunir dans le cadre du FMI pour décider de dévaluer ou de réévaluer certaines monnaies en fixant une marge de fluctuation. Les banques centrales s’engageraient à respecter ces décisions.

Seul hic, cette piste implique des transferts de souveraineté difficilement acceptables.

Une autre piste consiste à fixer un objectif chiffré de limitation des déséquilibres des comptes courants des Etats. Avancée par Washington qui évoquait le chiffre de 4% du PIB, cette idée a été mise entre parenthèses face à l’opposition de la Chine et de l’Allemagne.

4 Mise en place d’une concertation des politiques monétaires.

Cette idée, la moins ambitieuse mais plus réaliste, est défendue par la ministre française de l’Economie Christine Lagarde. Elle vise à pallier l’absence ou la difficulté de mettre en place un système institutionnalisé en accentuant des efforts pour davantage de coordination.

LA REPONSE TRES PERTINENTE DE CHARLES GAVE : l’or et la monnaie

Je reçois beaucoup de questions depuis le début de ce blog sur la monnaie en général et aussi sur l’or.Le plus simple est que je vous réponde non pas sur les aspects techniques mais sur les aspects philosophiques de vos questions.

Personne n’a jamais pu expliquer pourquoi la monnaie avait de la valeur, qu’elle soit basée sur l’or, les coquillages, l’argent  ou encore sur le papier.

Grand mystère. La chose qui sert à mesurer la valeur, personne ne sait pourquoi elle a de la valeur. Il  y a toujours en deux réponses  à cette question.

  • Celle de Platon: la monnaie est une convention entre les parties.
  • Celle d’Aristote: la monnaie à une valeur intrinsèque fondée sur son coût de production, ce qui est une idiotie économique puisque cela fait référence à la valeur travail, dont nous savons (depuis les Autrichiens) que ce concept est faux et améne dans des impasses économiques sanglantes dont la pire fut bien entendu le Marxisme.

On ne peut être Autrichien et favorable à l’étalon or; à mon avis.Beaucoup l’ont été par hostilité.

Pour moi, la monnaie est donc une convention sociale. Le Christ dans les Evangiles nous dit de surcroit que la monnaie ressort de l’Etat (voir un Liberal nomme Jésus).En cas de litige entre les parties, l’Etat qui dispose du monopole de la violence, par ses tribunaux et ses gendarmes fait régner le Droit.

La monnaie est donc un bien commun (un peu comme un jardin public) dont l’Etat assure la gestion DE FACON DECENTRALISEE et indépendante du pouvoir politique mais qu’en aucun cas il ne possède. Ce qui nous amène au mode de l’organisation de l’Etat.

L’or est une protection contre la spoliation étatique non fondée sur le Droit ou la Loi.

Dans cet esprit , et toujours d’après Platon, le meilleur des régimes est une démocratie des ‘vertueux » et le pire sans aucun doute la démagogie

Si nous avons une tyrannie ou une démagogie au pouvoir, s’exprimant par exemple au travers d’un contrôle des changes, alors l’or est l’une  des solutions. Si nous avons une démocratie, alors nul n’a besoin de l’or

Les Suisses n’ont guère besoin de l’or.

Les contre indications de l’or sont par contre gigantesques du point de vue macroéconomique. 

Le XIX et le XX jusqu’a la grande dépression ont été l’objet d’énormes dépressions récurrentes et la volatilité du PNB a été infiniment plus forte pendant l’étalon or qu’après. Les pays ayant des excédents des comptes courants et donc accumulant de l’or n’ont pour ainsi dire jamais laisser monter leurs masses monétaires. La France a été l’une des grandes responsables de la dépression des années 30

La France responsable de la crise de 1929 ?

L’étalon or amène automatiquement tout un chacun à devenir mercantiliste, puisque le succès se mesure au nombre de tonnes d’or que vous avez dans vos caves à la banque centrale Un homme comme Rueff, bon fonctionnaire s’il en fut et qui n’a jamais souffert des dépressions que sa politique engendrait  a foutu en l’air l’économie française en 1934 comme peu de gens l’avaient fait avant lui depuis Colbert, ce qui nous a amené le front populaire en 1936, lequel nous a laisse sans défense devant l’Allemagne en 1940.

Brillant résultat.

L’or est une brute aveugle, qui peut forcer des tyrans ou des démagogues à changer leur politique, je vous l’accorde, et encore. mais c’est une brute aveugle et sourde.

Une variation du taux de change est l’une des façons les plus efficaces d’absorber un choc externe sans trop de dégâts, tandis que l’histoire des taux de change fixe est une véritable litanie de désastres, comme l’Euro est en train de nous le démontrer a nouveau.

La réalité, c’est qu’une politique monétaire menée selon des principes sages et démocratiques permet à l’économie de se développer beaucoup plus harmonieusement que n’importe quel autre système et que toute l’histoire économique des cent dernières années le prouve.  Que les banquiers centraux et les monnaies soient en concurrence est ce qui assure la discipline bien mieux que n’importe quoi d’autre ou qu’un Deus ex machina gérant un monstre ingérable comme l’euro, ou si nous sommes soumis à une discipline irrationnelle comme celle de l’étalon or.

Le problème arrive lorsqu’une démocratie importante (les USA) passe de Démocrate à Démagogie, ce qui s’est produit avec Bush et encore plus avec Obama. Là, nous avons un problème, mais qui est facile à régler. L’électorat s’en occupe en général comme nous l’avons vu en Suède, au Canada, aux USA sous Reagan et en GB.

Il suffit pour que le coté » bien commun » soit respecté, que l’indépendance de la banque centrale soit inscrite dans la Constitution et que l’on fasse passer d’autres  amendements à cette Constitution pour empêcher l’état et les politiques de présenter des budgets en déficits. C’est ce qui s’est déjà produit en Suède, au Canada, en Allemagne, en Suisse.C’est ce que les tea party veulent faire passer aux USA.

AudittheFed.jpg AUDIT THE FED! image by Minister_Casius 

En conclusion, il me semble plus simple de virer les démagogues et de les remplacer par des démocrates que de confier mon sort à une brute invisible et aveugle

J’ai toujours préféré la démocratie à la tyrannie, même en matière monétaire. Mais bien sur c’est un choix personnel.

Et pour ceux qui voudraient approfondir, je vous renvois à l’excellente conférence  de Nicolas Baverez ici:

http://www.euro92.com/acrob/baverez.pdf

Charles Gave  nov10

http://lafaillitedeletat.com/2010/11/09/lor-et-la-monnaie/

LE SITE DE CHARLES GAVE : http://lafaillitedeletat.com/

charlesgave@gmail.com

 

2 réponses »

  1. Vous avez dit : « …le front populaire en 1936, lequel nous a laisse sans défense devant l’Allemagne en 1940. »
    C’est faut !!! c’est à partir du gouvernement de Léon BLUM que les crédits pour réarmer la France ont augmenté afin de rattraper le retard provoqué par la politique de réduction des dépenses publiques (aussi en matière militaire) réalisée par ses prédécesseurs. Pour ce faire, le gouvernement du Front populaire nationalisera les industries d’armement françaises.
    L’armée française sera considérée comme la plus puissante jusqu’à sa débâcle en 1940 qui est due principalement à l’incompétence des hauts gradés et à la volonté de certains d’entre eux, de pouvoir après la signature de l’armistice de faire tomber la République et la démocratie.
    A titre de rappel, la marine française était tellement moderne et puissante, que les britaniques n’ont pas eu d’autre choix que de couler bon nombre de ses navires stationnés à Mers-Hel- Kébir. Churchill été convaincu que si la flotte française tombait aux mains des Nazi, la guerre était perdue…

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