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Konrad Hummler : Les sagesses acérées d’un Banquier remuant

 Konrad Hummler : Les sagesses acérées d’un Banquier remuant

«Nous n’avons plus de système capitaliste pour les banques»

« Entre l’Etat et le système financier, notamment en raison de la question du «trop grand pour faire faillite» un cartel s’est développé dans le cadre duquel une garantie implicite est octroyée par l’Etat au système financier qui l’amène à accepter davantage de risques qu’il ne peut en supporter. Ce cartel est dirigé contre l’intérêt général. » 

  Le commentaire d’investissement centenaire de la banque privée Wegelin & Co. fait partie des lectures occasionnelles incontournables. Depuis vingt ans, les pensées souvent politiquement incorrectes, mais jamais banales de Konrad Hummler, l’un des banquiers les plus profilés de Suisse , sont distribuées à plus de 100.000 exemplaires dans quatre langues. Un recueil qui vient d’ètre  publié tente mème d’en tirer la moelle substantifique.

 Entretien et Impressions. 

PLUS DE HUMMLER EN SUIVANT :

Konrad Hummler. Associé-gérant de la banque Wegelin, le Saint-Gallois est un banquier atypique. (Keystone)

Propos recueillis par Emmanuel Garessus

Konrad Hummler, associé gérant de Wegelin & Co, propose, dans une interview au «Temps», une réduction des objectifs de la BNS. Selon lui, la solution fiscale proposée à l’UE pourrait rendre définitive la non-adhésion

Konrad Hummler, associé gérant de Wegelin & Co, publie un ouvrage (Versuch, Irrtm, Deutung, Edition Orell Füssli, 372 pages) qui regroupe les commentaires qu’il écrit depuis 20 ans à ses clients. L’originalité, la profondeur et l’actualité des thèmes traités lui permettent d’atteindre aujourd’hui un tirage de 100 000 exemplaires. Une édition française du livre est prévue. L’auteur, qui voulait être pasteur mais est devenu banquier et deviendra président du conseil d’administration du groupe NZZ, répond aux questions du Temps.

Le Temps: Vos commentaires sont réalisés à travers une grille de lecture éloignée de l’opinion majoritaire. Vous dites vous appuyer sur un grand penseur, Friedrich Hayek. Pourquoi lui?

Konrad Hummler: J’ai eu la chance d’étudier à l’Université de Rochester, à l’invitation de Karl Brunner, au cœur du débat économique avec Alan Melltzer et James Buchanan. De Friedrich Hayek, je retiens notamment l’idée d’informations si abondantes, multiples et complexes qu’aucun homme ne peut les comprendre dans leur totalité, ni bien sûr les maîtriser et les gérer. Sa vision du monde est une leçon d’humilité. Le savoir est très limité, éparpillé, évolutif. D’où mon scepticisme par rapport à tous ceux qui veulent transformer et réorganiser la société en vue d’objectifs précis.

Hayek avait une sainte horreur des effets secondaires des décisions de politique économique, des effets encore plus dangereux que le problème initial. Il en résulte un sain recul par rapport aux actions et aux lois destinées à changer la société.

Dans vos commentaires du début des années 1990, vous écriviez: «le système politique est devenu insignifiant». Est-ce que la tendance s’est inversée avec la crise financière?

Mon analyse s’est développée par la suite. Entre l’Etat et le système financier, notamment en raison de la question du «trop grand pour faire faillite» un cartel s’est développé dans le cadre duquel une garantie implicite est octroyée par l’Etat au système financier qui l’amène à accepter davantage de risques qu’il ne peut en supporter. Ce cartel est dirigé contre l’intérêt général.

Ma thèse est sans doute audacieuse, mais je pense qu’elle est vraie. Le système financier a été largement transféré dans les mains de l’Etat, en partie sur le plan de l’actionnariat et en partie sur celui des réglementations. Nous n’avons plus de système capitaliste pour les banques. L’évolution future reste incertaine, mais nous subissons peut-être une réaction à la situation d’après la Guerre froide. Les Etats ont progressivement perdu de leur nécessité territoriale. Une tendance renforcée par la globalisation.

Après l’époque de suprématie américaine, le monde est devenu multilatéral. Il sera peut-être placé sous la domination chinoise. Quelle est votre thèse sur le déclin de l’Occident?

Je ne suis pas pessimiste à l’égard de l’Occident. Le principal élément de différenciation est le suivant:: nous avons des valeurs et des institutions juridiques solidement ancrées, la séparation des pouvoirs, une forte différence dans l’étendue de la corruption, et des banques centrales qui fonctionnent. Nous avons une forme de société très efficiente. J’ai peur que ces institutions soient en danger si les principes du droit des peuples, du droit privé et du droit constitutionnel ne sont plus respectés. Pourtant c’est notre principal actif.

Une institution suisse est remise en question, la BNS. Quelle est votre interprétation de ses difficultés politiques. S’est-elle engagée excessivement en dehors de ses frontières?

En réponse à la crise financière et à celle de l’UBS, la BNS a été poussée dans la situation difficile qui est la sienne aujourd’hui. C’était une institution axée sur deux objectifs, la stabilité des prix et la politique des changes. On a poussé la BNS à être une institution courant cinq lièvres à la fois. D’autres objectifs supplémentaires lui sont imposés, de la stabilité du système financier à la conjoncture en passant par la mise en place de fonds destinés à être redistribués aux entités publiques. Ce changement de mandat me paraît difficile à maîtriser.

Je considère les critiques contre la BNS comme infondées. Mais la BNS ne devrait se limiter qu’à seul objectif, la stabilité des prix. Le reste est hautement problématique. Par ailleurs, la critique contre l’indépendance de la direction générale est totalement déplacée. Dans tous les pays où l’indépendance a été attaquée, il en a résulté une poussée d’inflation.

Observez-vous une tendance à la politisation des banques centrales dans le monde?

Elle résulte des nouvelles fonctions confiées aux banques centrales. Celles-ci sont d’ordre politique, à l’image de la supervision macroprudentielle. A mille lieues de la stabilité monétaire, il s’agit de la maîtrise du marché, et de l’hypothèse que le marché ne peut se réguler lui-même.

La nouvelle réglementation sur les banques trop grandes pour faire faillite et sur la fiscalité vous amène-elle à être plus positif qu’avant sur l’avenir de la place financière?

Les défis sont considérables, allant de l’arbitrage du droit au défi des banques trop grandes pour faire faillite. Je soutiens les propositions de la BNS en faveur d’une recapitalisation ordonnée d’une banque avec les «Cocos». Un aspect majeur me déplaît: nous ne sommes pas allés jusqu’à la mise en place d’un processus entièrement automatique. Le détail du projet est déficient. J’observe des défaillances dans les procédés devant intervenir en cas d’insolvabilité. C’est dangereux. Tant que cet exercice n’est pas accompli, la place financière suisse ne retrouvera pas sa santé et sa force d’avant la crise. En l’absence de ces mécanismes détaillés, les mesures de prévention sont démesurées. Chacun conviendra que le «swiss finish» coûte cher. Si la faillite était mieux ordonnée, nous n’aurions nul besoin de «swiss finish». Telle est ma réflexion.

C’est un peu comme si l’on accrochait un deuxième parachute puis un troisième: le problème du parachutiste ne sera pas résolu si les trois ne s’ouvrent pas. On travaille beaucoup sur une coûteuse prévention, alors que le problème est dans le «fail» de l’expression «too big to fail». Sa résolution permettrait d’alléger une grande partie de la prévention et pour les sociétés beaucoup de points se régleraient d’eux-mêmes.

Cette réglementation est cruciale pour l’Etat suisse. Paradoxalement, cela montre que l’Etat territorial est encore important dans la concurrence des conditions cadres. Malgré la globalisation, l’Etat ne disparaît donc pas. Qu’en pensez-vous?

C’est l’aspect le plus triste du problème. Avec la garantie implicite des banques, l’Etat ne disparaît pas. Cela signifie que l’Etat crée un cartel. L’Etat a un intérêt à jouer un rôle majeur dans le système et c’est pourquoi il soutient le système de garantie implicite. Ma vision est sans doute différente de l’opinion générale.

Une autre tendance forte est celle du populisme. Comment l’analysez-vous?

C’est un «mégatrend» issu d’un excès d’informations considérées comme d’égale valeur. Le populisme est un problème de médias. Je suis très optimiste pour ceux qui apporteront analyse, distance et profondeur. Face à l’infinité d’informations, le consommateur est à la recherche d’une sélection de qualité.

Les médias défendent par exemple la thèse des autorités européennes sur la stabilité politique de l’eurozone et non celle des marchés. Quelle est votre position?

J’ai rarement rencontré un pareil fossé entre la vision des politiques et celle des marchés. C’est d’autant plus intéressant qu’il existe depuis le printemps 2010. Les CDS sont souscrits avec des primes de risques qui anticipent l’échec du sauvetage. Les vendeurs d’obligations acceptent des pertes de 40% sur leur investissement initial. Ce n’est pas banal.

Quel est votre camp?

J’essaie de décortiquer la stratégie européenne, d’évaluer la taille optimale d’un sauvetage et la contradiction de vouloir d’un côté un sauvetage, et de l’autre d’exiger des primes de risque adéquates. Les marchés peuvent se tromper, mais l’avantage des marchés tient à l’existence à la fois de l’acheteur et du vendeur. Comme les deux font tout pour éviter de perdre, la probabilité que les marchés aient raison est supérieure à la thèse des politiques.

Sur la discussion fiscale avec l’Europe, est-ce que la Suisse peut offrir une vraie alternative à l’échange automatique d’informations?

A nous de proposer un système qui fonctionne et de montrer que l’échange automatique ne fonctionne pas. Notre chance est bien réelle que la place suisse parvienne à redéfinir son rôle en Europe. Cette solution fiscale aurait poureffet considérable que la non-adhésion de la Suisse à l’UE deviendrait définitive. Nous serions contractuellement différents sur le plan fiscal. Indirectement, cela éviterait à l’Europe de se plaindre régulièrement de la Suisse.

L’un de vos employés a été emprisonné à Miami. Est-ce que Wegelin & Co met vraiment en pratique ses décisions stratégiques à l’égard des Etats-Unis?

Cet employé n’était pas aux Etats-Unis pour son travail. Son arrestation était donc totalement indépendante de la stratégie de la banque. En 2009 nous avions décidé de réduire pratiquement à zéro les investissements des clients privés sur le marché américain des capitaux. Cet objectif a été largement mis en œuvre. Nous ne savons pas encore aujourd’hui si à l’avenir nous ferons encore des affaires avec des clients américains. Entre autres pour cette raison, nous sommes en train d’analyser nos activités américaines et d’évaluer la situation juridique.

Quelle est votre interprétation de la retenue des autres banques suisses à suivre votre stratégie par rapport aux Etats-Unis?

A propos de notre décision concernant le marché américain des titres, nous avions deux ans d’avance. Le report du risque fiscal (héritage) sur les clients ne me paraît pas très élégant. Nous avons pris une autre décision. En ce qui concerne les affaires avec les clients américains, cela dépendra de la future FATCA et du document publié à ce propos l’été prochain. Un problème demeurera cependant: l’absence de la définition d’une personne américaine au regard du droit américain. La menace demeurera parce que les Etats-Unis ont une vision extraterritoriale du sujet fiscal. L’insécurité juridique est immense. Elle ne concerne d’ailleurs pas seulement la Suisse mais aussi Londres et Singapour. Les Etats-Unis doivent mieux définir ce concept.

Comment voyez-vous le débat sur l’avenir du nucléaire?

Il s’agit presque d’un risque implicite. Un citoyen ne peut évaluer la sécurité d’une centrale. Son opinion dépend des experts, mais sa vie peut éventuellement en dépendre. Dans le secteur nucléaire, il existe trop de «cygnes noirs». Le risque est d’autant plus important que sur la question de l’énergie, on nous a menti.

EN COMPLEMENT : KONRAD HUMMLER. Un recueil de commentaires rassemble vingt années d’analyse de l’actualité.



Le déclin qualitatif de la politique.

Considéré par certains comme une opposition extraparlementaire, Konrad Hummler estime que l’excès d’étatisme social va conduire à des problèmes importants dans tous les pays occidentaux. «Le danger d’une perte de liberté économique et d’efficience concurrentielle ne doit pas être sous-estimée.» La démocratie du lobbysme et de la redistribution fiscale souffre de la faiblesse immanente qu’elle n’est pas vraiment sociale, qu’elle ne cherche pas à soulager la détresse des plus faibles, mais à prodiguer de l’argent dans tous les sens. Les incitations déclenchées sont à tous les égards négatifs, à l’exemple du système de santé: «Celui qui a payé l’impôt de la prime d’assurance maladie reçoit le système de santé sur un plateau comme free lunch.» Les concepts qui se basent sur des interventions et des socialismes de tous genres devraient pourtant avoir été abandonnés depuis longtemps sur la base des preuves empiriques, constate Konrad Hummler.

Le rôle des marchés dans l’émancipation de l’individu.

Le progrès technologique, la découverte scientifique, font partie des thèmes favoris chez ce financier pour qui la recherche occupe une place centrale. «La capacité d’adaptation de l’homme se démontre par son usage du téléphone mobile. Téléphoner était autrefois une affaire collective. Il fallait une cabine téléphonique, de nombreuses dames diligentes dans une centrale, une infrastructure compliquée de câbles, d’interrupteurs, de tuyaux et de relais, une administration qui gérait le tout et encaissait les redevances pour l’Etat. Téléphoner était un privilège. Longtemps il n’était pas possible d’acheter un appareil, il appartenait aux PTT. Aujourd’hui c’est presque un miracle si le nombre de téléphones ne dépasse pas le nombre de têtes dans une famille.» Ce trend de l’émancipation décentralisée, Konrad Hummler l’observe dans de nombreux domaines, y compris dans la finance, où «chaque citoyen est devenu une petite banque». Il critique dès lors la proximité de certains acteurs avec les structures étatiques, les banques «too big to fail», qui se sont créé un «cartel auto-justificateur» pour cimenter leurs avantages concurrentiels.

Les illusions de la gouvernance d’entreprise.

Le banquier, raillé pour avoir rejoint un «kiosque» lorsqu’il a quitté l’ancienne UBS pour Wegelin & Co., estime que la responsabilité n’est rarement divisible. Les codes de bonne conduite et la législation qui les accompagne risquent de rendre plus difficile et de renchérir la conduite d’une entreprise et finalement de se répercuter négativement sur la croissance. Finalement, l’actionnaire ne peut pas se dérober de la prise en compte de ses intérêts. «Si des qualités comme la décence, l’honnêteté et la mesure servent mieux une entreprise sur la durée, elles devraient aussi se révéler profitables sur le plan financier.»

L’évitement fiscal comme moyen d’autodéfense.

Face à un modèle étatiste surendetté et à l’expérience historique, de nombreux citoyens recourent à des dépôts diversifiés pour préserver leur épargne. C’est un moyen légitime de se protéger. Les élites politiques de l’Union européenne tentent de maintenir leurs structures obsolètes en forçant le reste de l’Europe à une harmonisation financière. «Alors que le mur de Berlin est tombé pour la mobilité physique, le législateur allemand, et avec lui le législateur européen, dressent de nouvelles barrières pour le mouvement des capitaux», observe Konrad Hummler.

* «Versuch, Irrtum, Deutung. Anlagekommentare 1990 bis 2010», Orell Füssli, 2011.

Pierre Bessard/Agefi Mars11

EN LIEN LE DERNIER COMMENTAIRE D’INVESTISSEMENT NO 275 DU 21 MARS 2011 « DANGERS REELS ET DANGERS PRESUMES « 

 

3 réponses »

  1. Lundi 28 mars 2011 :

    Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité du Portugal à rembourser ses dettes.

    Conséquence concrète : les taux des obligations de l’Etat portugais explosent. Les taux atteignent des niveaux ahurissants.

    Portugal : taux des obligations à 2 ans : 7,429 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT2YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 5 ans : 8,693 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT5YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 7,929 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

  2. Mardi 29 mars 2011 :
    Standard and Poor’s abaisse la note de la Grèce et du Portugal.

    L’agence de notations Standard and Poor’s a annoncé mardi avoir abaissé de deux crans la note de la Grèce à BB-, et d’un cran celle du Portugal à BBB-.

    Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité du Portugal à rembourser ses dettes.

    Les obligations de l’Etat portugais sont en train d’exploser.

    Regardez ces trois graphiques :

    Portugal : taux des obligations à 2 ans : 7,686 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT2YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 5 ans : 8,882 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT5YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 7,972 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

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