Risque Systémique /Banques : De la perversité des ratios
L’exigence accrue en fonds propres bancaires annoncée la semaine dernière en Suisse peut augmenter le risque de crédit.(NDLR Les Banques renouant alors avec le hors bilan et le transfert du risque vers le particulier via la titrisation, et ceci concerne au plus haut point les Banques Européennes qui ont des leviers d’endettement beaucoup plus conséquent que les Banques US, voici une illustration parfaite en tous les cas du “qui veut faire l’ange fait la bète” )
Les mesures annoncées, en réponse à la crise de 2008, tant par le Conseil Fédéral suisse que par les normes de Bâle III vont toutes dans le même sens. Celle de l’augmentation des fonds propres des banques. Le texte adopté par le Conseil fédéral a été transmis au Parlement qui pourrait adopter une loi entrant en vigueur début 2012. La Suisse opte pour un ratio de 10% plus élevé que celui de Bâle III (7%). L’objectif est d’éloigner les banques systémiques de la faillite.
Ces mesures ne soigneraient-elles pas les symptômes plutôt que le mal?
PLUS DE RISQUE SYSTEMIQUE EN SUIVANT :
Pour mémoire, c’est à la suite de la crise du crédit en Amérique du Sud en 1982 que les banques américaines furent contraintes de provisionner substantiellement les prêts, à devenir plus sélectives dans les procédures de crédit et à améliorer le niveau de la couverture en capital. Car les prêts menacés représentaient 147% du capital et des réserves des huit plus grandes banques états-uniennes.
De fait, les exigences de fonds propres des banques américaines sont beaucoup plus élevées que celles des banques européennes et, par conséquent, leur levier bien inférieur, en moyenne de 19,4 fois contre plus de trente fois pour les banques européennes . Suite aux mesures prises en 1982, le nombre d’émission en euro-obligations (obligations émises en eurodollars), s’était multiplié par plus de 6000 en 1986. Cette tendance n’a fait que se confirmer par la suite et le montant des émissions obligataires rapportées par les banques à la BRI montre un quasi-doublement de ces émissions entre fin 1995 et fin 1998. Or, c’est bien des Etats-Unis que nous est arrivée la dernière crise, celle des subprimes.
La conséquence de l’augmentation des fonds propres est simple et directe. Elle augmente les coûts du crédit, diminue les marges bancaires et encourage les banques à transférer le risque vers le public.Sous forme de titrisation.
Si l’on en juge par l’histoire, les augmentations d’exigence en fonds propres mènent à la désintermédiation des banques et à une augmentation de la titrisation de la dette. Les banques utilisent la titrisation pour réduire leurs charges en capital réglementaire. La titrisation des prêts sert d’instrument de financement aux banques dont le bilan présente un risque trop élevé pour des liquidités insuffisantes. Elle est également utilisée par les banques commerciales pour accéder indirectement à des activités de banque d’investissement et aux gains qui y sont associés. Ou encore, comme on l’a vu aux Etats-Unis, les opérations de crédit se déplacent vers les banques d’investissement qui ont la possibilité de choisir leur régulateur et de se soustraire aux ratios de fonds propres en tant qu’indicateur de solvabilité.
Or l’expérience, validée par les études récentes, mène à conclure que la titrisation nuit à la qualité de l’évaluation du risque par les intermédiaires financiers. En d’autres termes, les banques font moins attention à la qualité du risque quand elles peuvent se débarrasser de la créance que lorsqu’elles doivent la garder sur leurs livres. En 2006, le Center for Responsible Lending (CRL) concluait, sur la base de l’étude de 6 millions de prêts, qu’un cinquième des prêts hypothécaires subprime accordés depuis 2004 ne serait pas remboursé. Ils étaient tout de même consentis puisque les opérateurs savaient qu’ils transféreraient le risque aux investisseurs sous forme de MBS (mortgage-backed securities). Des 1020 milliards de dollars de MBS émis au cours de la première moitié de 2006, plus de 40% étaient liés à des subprimes.
Les études de l’OCDE et de la BRI concluent que l’augmentation des exigences de fonds propres requises par Bâle conduira à une hausse des spreads de l’ordre de 15 points de base.
Les nouvelles exigences risquent, encore une fois, de favoriser la titrisation au détriment de l’intermédiation. Les banques européennes de proximité seront désavantagées. Le financement de l’économie aussi. Sans garantie de protection d’une crise supplémentaire.
Le suivi d’un indicateur plus général comme le rapport entre crédit au sens large et PIB (Credit/GDP ratio) serait peut-être plus judicieux. Sa déviation par rapport aux tendances à long terme est un bon indicateur des périodes suspectes d’excès de crédit.
Nicolette de Joncaire/ Agefi avril11
EN COMPLEMENT : Aux Etats-Unis, une banque est considérée comme bien capitalisée lorsque le levier financier (unités d’actifs par unité de fonds propres) est inférieur à 25. «Si les banques américaines n’avaient pas été aussi bien dotées en capitaux propres, la crise financière aurait été encore plus grave», affirme Frederic Mishkin, professeur d’économie bancaire à la Graduate School of Business de Columbia University à New York.
De fait, le leverage ratio des banques américaines est en moyenne de 19,4 fois contre plus de 30 fois pour les banques européennes, y compris les établissements suisses. En 2010, le ratio de levier de Credit Suisse est de 29,14 contre 31,54 et 33,52 en 2009 et 2008, respectivement. Côté UBS ce rapport a atteint plus de 45 fois en 2009 pour se stabiliser à environ 30,26 actuellement. En Allemagne, Deutsche Bank affiche un ratio de 39,84 actuellement contre 54,98 l’an dernier. En France, BNP Paribas affiche un levier financier de près de 32 fois contre 39 fois en 2009 et 42 fois en 2008. A comparer avec le ratio de Bank of America/Merrill Lynch, à seulement 11,07 fois en 2010 contre 12,14 fois un an plus tôt. Idem pour JP Morgan, dont le levier financier s’élève à 12,75 fois contre 14 fois au cours des deux années précédentes. En revanche, les banques cantonales affichent des leviers en ligne avec ceux des établissements américains: 15,87 fois pour la BCGE et 14,10 pour la BCV, au titre de l’exercice 2010.
Pourquoi cette différence?
Elle est essentiellement due au fait que les autorités de surveillance américaines rapportent les fonds propres au total des actifs bruts, tandis qu’en Europe, où la réglementation prudentielle repose sur les ratios de solvabilité du Comité de Bâle, les fonds propres sont rapportés au total des actifs pondérés par les risques (ratio Cooke). D’où la faiblesse de ne pas forcément estimer les risques réels, qui peuvent s’avérer plus importants que ceux perçus par le régulateur. En 2008, seules les banques d’investissement américaines étaient sous-capitalisées. En revanche, si UBS, Deutsche Bank ou encore le Crédit Agricole étaient basées aux Etats-Unis, elles auraient inéluctablement été fermées, avec des ratios compris alors entre 50 et 70 fois. Le défaut du système américain résidait dans la possibilité pour les banques d’investissement de choisir leur régulateur consolidé depuis un arrangement de 2004. En l’occurrence la Securities & Exchange Commision (SEC), qui ne s’intéresse justement pas à ce ratio en tant qu’indicateur de solvabilité.
source agefi avril11