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La grande différence entre l’Espagne et le Royaume-Uni par Henri Schwamm

La grande différence entre l’Espagne et le Royaume-Uni par Henri Schwamm

L’autonomie monétaire britannique préserve le pays d’une crise de liquidités.

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Pourquoi le gouvernement espagnol paie-t-il significativement plus pour emprunter que le gouvernement britannique, alors que son déficit est moins important et sa dette totale moins lourde?

Pour Paul De Grauwe, professeur d’économie à l’Université catholique de Leuven, la raison se trouve de toute évidence dans la fragilité de la zone euro. Ses membres, explique-t-il dans une récente lettre d’information VOX du Centre for Economic Policy Research (CEPR), Londres, perdent leur capacité à contracter une dette dans une monnaie que par ailleurs ils contrôlent complètement.

Cette séparation des décisions – émission de dettes et contrôle monétaire – crée une dangereuse vulnérabilité au sein de la zone euro. Une perte de confiance du marché peut provoquer une spirale d’autoaccomplissement qui à son tour conduit le pays à la faillite. La logique économique d’un tel enchaînement est imparable.

Supposons que les investisseurs commencent à craindre une défaillance de l’Espagne. C’est ce que l’économiste belge nous invite à faire pour comprendre le paradoxe en question. Dans ce cas, les investisseurs vendent des obligations d’Etat, ce qui entraîne une augmentation des taux d’intérêt. Conséquence: le gouvernement espagnol va sans doute devoir affronter une crise de liquidité, autrement dit, il ne peut pas obtenir les fonds lui permettant de reconduire sa dette à des taux d’intérêt raisonnables. Le gouvernement espagnol est donc dans l’incapacité de forcer la Banque d’Espagne à acheter de la dette publique et, alors que la Banque centrale européenne (BCE) pourrait pourvoir à toute la liquidité du monde, il ne contrôle pas cette institution européenne. Si les investisseurs estiment que le gouvernement espagnol pourrait en venir à ne plus être en mesure d’honorer ses engagements, ils vendront les obligations d’Etat espagnoles d’une manière qui transforme leurs craintes en réalité.

Les choses se passeraient tout autrement pour le Royaume-Uni qui serait capable d’emprunter dans sa propre monnaie. Si les investisseurs se mettaient à craindre une défaillance du gouvernement britannique, ils vendraient leurs obligations d’Etat britanniques, ce qui aurait pour effet une augmentation des taux d’intérêt. Après avoir vendu ces obligations, les investisseurs disposeraient de livres sterling dont ils voudraient très probablement se débarrasser en les vendant sur le marché des devises. Le prix de la livre baisserait jusqu’au moment où quelqu’un d’autre serait d’accord d’acheter ces livres. Conséquence: les livres sterling seraient disponibles sur le marché monétaire britannique, prêtes à être investies dans des actifs britanniques.

En d’autres termes, le stock monétaire britannique resterait inchangé. Une partie de ce stock serait probablement réinvestie dans des titres publics britanniques. Mais même si tel n’était pas le cas et si le gouvernement britannique n’était pas capable de trouver les fonds lui permettant de reconduire sa dette à des taux d’intérêt raisonnables, il finirait certainement par obliger la Banque d’Angleterre à racheter les titres publics. Le gouvernement serait ainsi assuré de disposer de la liquidité nécessaire à la consolidation de sa dette. Ce qui signifie que les investisseurs ne pourraient pas précipiter le Royaume-Uni dans une crise de liquidité entraînant la faillite du pays.

Cette différence de mécanisme entre l’Espagne et le Royaume-Uni explique pourquoi le gouvernement espagnol paie 200 points de base de plus sur ses obligations à dix ans que le gouvernement britannique et ce bien que sa dette et son déficit soient nettement moins lourds que les valeurs britanniques correspondantes.

Henri SCHWAMM Université de Genève mai11

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