Ode à la machine à extrusion Par Beat Kappeler
Les banques centrales impriment de la monnaie pour colmater les trous béants des finances publiques des Etats au bord de la faillite. Mais l’argent n’est que facilitateur et la vraie source matérielle de notre bien-être s’incarne dans la production, qui part de l’innovation et intègre de multiples savoir-faire
Oublions la valse des milliards de la monnaie-papier, des dettes, des paquets de sauvetage qui donnent la nausée. Considérons par contre une des sources de notre bien-être matériel, la machine à extrusion. Vos céréales de ce matin ont passé par là, les pâtes du repas de midi, les tuyaux en plastique, toutes les autres matières de plastique, le PET, des profils en métal, la nourriture des animaux.
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La machine à extrusion est simple, en principe. Une vis d’Archimède longue de un à trois mètres tourne dans un tube correspondant, d’un espace très serré. La vis tourne rapidement, on ajoute la matière, et tout le secret consiste dans l’orifice à la fin du tuyau qui est étroit. Alors la matière est fortement comprimée, mâchée, et même chauffée à plus de 100 degrés par cette pression. Elle sort toute transformée, mélangée, chaude, et comme un jet d’eau. Si c’est du plastique on obtient un tuyau, et si l’on applique à l’orifice de la fin une filière ayant la section de la pièce à obtenir, des profils variés en résultent. Et miracle, si l’on pose une hélice à l’orifice qui tourne frénétiquement en coupant, voilà que des pièces de pâtes, de céréales s’accumulent en de véritables montagnes. Ou bien des éléments à base de polymères, coupés, giclent en masse et ils sont introduits dans d’autres machines pour faire des bouteilles, par exemple.
Les céréales obéissent au principe du «pop-corn», les grains explosent par la chaleur. Et la machine à extrusion ne traite pas seulement des grains, du plastique, des métaux, mais elle les combine avec des adjonctions. On n’a qu’à faire entrer, au cours du processus, au milieu du tube, du chocolat, des couleurs, des arômes, des éléments d’alliage, et hop, c’est fait.
Après cette description on voit aisément combien ce procédé est fondamental pour une part énorme de notre environnement matériel. Il est peu connu. Des civilisations portées à la magie, à la vénération de l’incompréhensible, auraient fait un culte autour de cette machine relativement petite, simple, mais qui est la nourricière de notre civilisation moderne!
Cependant, une civilisation ancienne n’aurait pas su faire grand-chose avec la machine, et un pays mal organisé, non développé non plus. Car, afin de jouir pleinement de son efficacité, il faut de l’énergie en livraison constante, il faut des techniciens de maintenance, des techniciens des matériaux. Ensuite, toute la logistique d’apport des matières et celle de l’écoulement, par camion, par train, par bateau, doivent fonctionner. Car les quantités produites sont énormes, et la brave machine à extrusion tourne au milieu de toute la chaîne de valeur ajoutée globale. Et la production même de telles machines peut faire gagner de l’argent – c’est le cas de la firme Bühler en Suisse, qui dessert le monde entier en machines à extrusion. Pour finir, un tel système ne fonctionne que s’il peut être financé, assuré, s’il est protégé par des brevets, s’il existe des juristes pour faire valoir les contrats, et n’oublions pas les équipes de nettoyage, les ouvriers de l’eau, de l’électricité, de la construction.
Trois conclusions s’imposent. La richesse de nos sociétés se base sur de telles machines automatisées. Mais le travail ne disparaît pas pour autant, car toute une panoplie d’occupations est nécessaire pour les faire tourner. La société doit elle aussi fonctionner impeccablement – avec les contrats respectés, avec des relations du travail assurant la coopération de tous et rémunérant tous. Et de trois, il faut trouver l’argent nécessaire pour constituer ce capital réel, pour l’amortir, il faut l’assurer aussi.
On voit que l’argent revient dans notre préoccupation, mais avec sa fonction de serviteur, de facilitateur. Espérons que les milliards imprimés par les banques centrales depuis deux ans pourront, un jour, être reconduits dans la lampe d’Aladin,d’où ils sortent en trop grand nombre. Faisons plutôt le culte de la machine à extrusion, de la vraie source matérielle de notre bien-être!
source le temps nov11