Art de la guerre monétaire et économique

Grèce : Privatisations à marché forcé/ Vente à la découpe ou massacre à la tronçonneuse ?

Grèce : Privatisations à marché forcé/ Vente à la découpe ou massacre à la tronçonneuse ?

 L’ancien banquier d’affaires Costas Mitropoulos dirige à Athènes le processus de privatisation de nombreuses infrastructures, dans le cadre du plan européen d’aide à la Grèce. Il plaide pour un calendrier aménagé, afin de maximiser les revenus de ces cessions publiques

 

Ironie géographique: les bureaux du Fonds hellénique de développement des actifs («Hellenic Republic Asset Development Fund») jouxtent, à Athènes, un musée consacré à l’histoire de la capitale grecque. Un symbole, tant le processus de privatisations mené par une vingtaine d’experts, sous la direction de l’ancien banquier Costas Mitropoulos, doit changer à terme le visage de la Grèce.

Dans les couloirs du fonds chargé de privatiser l’économie grecque, les histoires personnelles racontent la crise

Un conseil aux investisseurs: rencontrez Christos Konstas, le porte-parole du «Hellenic Republic Asset Development Fund». A lui seul, cet ancien chroniqueur financier à Alter TV , une chaîne de télévision naufragée par la crise, résume les espoirs et les doutes autour de ce processus clé pour la remise sur les rails de l’économie grecque, qui devrait reculer de 4,5% en 2012.

Christos, comme beaucoup d’autres de ses confrères, a travaillé un an sans salaire avant d’être appelé à ses côtés par Costas Mitropoulos. Sa rémunération, à la tête des relations publiques du fonds, représente moins d’un tiers de celle qu’il percevait avant la crise de la fin 2009. «Je m’étonnais moi-même de recevoir autant», reconnaît-il, en rappelant ces chiffres improbables: le pays de 12 millions d’habitants comptait alors 144 stations de TV et 950 journaux ou magazines. Le tout, nourri par un consumérisme insolent et la publicité qui va avec…

Conséquence: l’austérité est aujourd’hui le mot d’ordre dans les locaux du fonds, dont les premières opérations ont été, fin 2011, la revente des trois opérateurs grecs de téléphonie mobile pour 850 millions d’euros. Agés pour la plupart de moins de 40 ans, ses employés quittent rarement leurs écrans, affairés à réunir les informations et à faire le lien entre les consultants internationaux. «Jusqu’à 30% de notre PIB était constitué par l’économie «noire», non déclarée», explique Christos Konstas, qui met volontiers son carnet d’adresses bien rempli à la disposition des visiteurs. Mieux que les statistiques énumérées sur le site du fonds? Un détour par son bureau aux fenêtres aveugles, donnant sur un mur voisin, où les lampes s’éteignent vers 23 heures chaque soir.

C’est à ce fonds, constitué à la demande de l’Union européenne (UE), que l’Etat grec transfère au fur et à mesure les propriétés, les concessions et les participations qui doivent trouver acquéreur. Avec pour objectif, selon les plans initiaux de l’UE, d’engranger au moins 50 milliards d’euros de recettes d’ici à la fin 2017. Un pari financier tenable, selon Costas Mitropoulos, si un redémarrage de l’économie hellénique parvient enfin à se dessiner. Et si le calendrier initial est réaménagé.

Propos recueillis par Richard Werly Athènes/le temps

PLUS DE DECOUPE EN SUIVANT :

Le Temps: Comment fonctionne le programme de privatisations que le gouvernement grec vous a chargé de conduire?

Costas Mitropoulos: Notre fonds a été créé suite aux consultations entre le gouvernement grec et la troïka composée d’experts de la Commission européenne, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE), chargée depuis deux ans de préconiser les réformes économiques puis de superviser leur mise en œuvre par les autorités helléniques. Aucun d’entre nous ne vient de l’administration. Nous étions tous dans le secteur privé. Je dirigeais pour ma part, avant d’accepter ce poste, la banque d’investissement Eurobank EFG Equities, propriété du groupe Latsis basé à Genève. J’ai accepté cette tâche comme s’il s’agissait d’un second service militaire. Notre mission consiste à recevoir de l’Etat les titres de propriété ou les actions des biens à négocier. Nous préparons les dossiers, réglons les problèmes juridiques, rendons tout cela «vendable».

Dans le mémorandum de la troïka, le montant attendu des privatisations grecques s’élève à 50 milliards d’euros d’ici à la fin 2017. Or, fin 2011, les cessions plafonnaient à 1,8 milliard. La méthode choisie est-elle la bonne?

– Le chiffre de 50 milliards était très politique. Il ne tenait pas compte de la réalité de la demande, qui reste très faible. La réussite des privatisations est intrinsèquement liée au niveau de confiance dans nos réformes, et à notre maintien au sein de la zone euro. Tant que le risque souverain demeurera en Grèce, les investisseurs stratégiques que nous recherchons garderont leurs distances. Cela dit, nous sommes entrés dans une bonne phase. Le processus de restructuration de la dette grecque aux mains des créanciers privés sera achevé le 18 avril. Le second plan d’aide européen a été débloqué. Le gouvernement d’union nationale, en place depuis novembre dernier, a beaucoup et bien travaillé. Le déficit public a été réduit de 8% en un an, un record! Des élections législatives sont attendues en mai. Si l’on part du principe que les futurs élus feront preuve de responsabilité et porteront au pouvoir un gouvernement solide, l’horizon va se dégager.

Les privatisations, en somme, ne font que démarrer?

Une nouvelle tranche de cessions est déjà dans le tuyau. Nous sommes prêts à mettre six biens sur le marché: l’ancien aéroport d’Hellinikon, à Athènes; une licence pour la loterie nationale; un centre commercial de première classe, d’importants terrains, des golfs et des casinos sur les îles de Rhodes et Corfou; la compagnie nationale du gaz et 35% de la plus importante raffinerie pétrolière du pays. Nous préparons aussi la mise en vente de 29% de la Société grecque des jeux, de 49% de la société nationale des chemins de fer, de 39% de la poste hellénique… Le reste de la liste est, croyez-moi, impressionnant et devrait générer un grand intérêt. Dans plein de domaines clés, la participation de l’Etat sera plafonnée à 34%. Nous allons vendre des concessions autoroutières, la compagnie des eaux de Thessalonique (la seconde ville du pays), des aéroports, une douzaine de ports commerciaux, capables d’accueillir des ferries; 850 ports régionaux; une quinzaine de marinas, Larco Nickel, la plus importante mine de nickel d’Europe, avec un port adjacent; des opérateurs de croisières maritimes, des compagnies de traitement des déchets. Je m’attends à une forte demande pour ces actifs.

Le choix a été fait, pour pas mal d’infrastructures, de vendre des concessions. N’est-ce pas un obstacle vu la mauvaise réputation de l’Etat grec?

C’est un choix stratégique que nous assumons. Au final, notre portefeuille devrait inclure 55% de terrains, 35% d’infrastructures en concessions et 15% de participations dans des compagnies publiques. Cette répartition est-elle judicieuse? L’avantage des concessions est qu’elles limitent l’investissement pour les acquéreurs. Ils ne devront payer que le droit de gérer les infrastructures, dans le cadre de contrats à long terme qui garantiront la rentabilité. Je suis convaincu que, dans ce cadre, le montant de 50 milliards d’euros de revenus est aisément atteignable. A condition d’adapter le calendrier.

– L’objectif des 50 milliards d’euros fin 2017 est donc déjà abandonné?

L’objectif du gouvernement est d’atteindre 7 milliards d’euros de recettes d’ici à 2013. Le nôtre est d’obtenir au moins 19 milliards d’ici à la fin 2015, et 50 milliards en 2020. Cette révision est en train d’être entérinée. Il ne faut pas oublier que la liste des privatisations a été fixée voici un an et demi. Résultat: ce processus s’est retrouvé pris dans l’engrenage des difficultés politiques grecques. Cette page, heureusement, est tournée. Le transfert des propriétés à notre fonds, par l’Etat grec, s’est accéléré. Toute une série de cessions auront lieu de septembre à novembre 2012. C’est alors que nous pourrons juger de l’état de la demande et de la qualité des actifs cédés. Je prends un seul exemple: la participation que nous allons vendre dans la Société grecque des jeux constituera l’une des plus importantes opérations au monde dans ce secteur. Deux autres illustrations: l’ancien aéroport d’Hellenikon, au cœur de la ville d’Athènes, en bordure de la mer Egée, représente le plus grand ensemble foncier en vente dans une capitale européenne. Quant à la loterie nationale, qui était une division du Ministère des finances depuis 1865, deux compagnies, l’une italienne et l’autre américaine, nous ont déjà approchés.

Cette révision des objectifs est-elle compatible avec les engagements européens de la Grèce?

Le conseil d’administration de notre fonds, composé de cinq membres de plein droit et de deux observateurs, se réunit une fois toutes les deux semaines. Un représentant de la Commission européenne et un autre de la zone euro participent aux débats, sans droit de vote. Or toutes les décisions que nous avons prises jusque-là ont été approuvées, soit à l’unanimité, soit par quatre voix contre une. Bruxelles veille aussi au grain pour que nos privatisations ne débouchent pas sur des monopoles privés. Mais le principal gage de crédibilité se trouve dans nos actifs, et dans les garanties données par nos consultants extérieurs, dont UBS et Credit Suisse.

– Quel est le rôle exact de ces consultants?

UBS s’occupe entre autres de la cession de la compagnie grecque du gaz. Credit Suisse est en charge de la compagnie d’électricité. Leur premier rôle est d’évaluer ces actifs, puis de s’assurer que tout est transparent sur le plan légal. Ils ont aussi leur mot à dire sur la stratégie suivie. Nous avons ainsi eu un débat sur les infrastructures touristiques, en particulier les golfs et les complexes hôteliers sur les îles de Rhodes et Corfou. Faut-il permettre d’autres types d’activités sur ces terrains? Doit-on mettre sur le marché des concessions hôtelières? Le rôle des banques qui nous conseillent est de mettre ces actifs aux normes internationales, afin de dissiper au maximum les inquiétudes liées à l’état de la Grèce et à sa mauvaise réputation actuelle. Mais nous sommes aussi réalistes: le risque souverain influe sur le prix, sur l’intérêt des acquéreurs, sur notre capacité à négocier. Notre premier message à faire passer est: nous ne sommes pas l’Etat grec. Nous sommes un fonds indépendant chargé des privatisations, désormais propriétaire de 3% du territoire grec. Nous avons un mandat de trois ans. Nous sommes protégés contre les interférences politiques.

– L’êtes-vous vraiment? Les privatisations, partout dans le monde, sont toujours très «politiques» et l’Etat grec, qui demeurera présent au capital de nombreuses sociétés, a très mauvaise réputation…

J’ai, comme banquier d’affaires, présidé aux destinées de l’une des plus importantes fusions-acquisitions en Grèce: le rachat, par le groupe international Watson, du groupe pharmaceutique hellénique Specifa pour près de 400 millions d’euros. Je connais les règles: un investisseur, pour être aujour­d’hui intéressé par une privatisation grecque, doit pouvoir espérer tripler ou quadrupler sa mise. Un euro investi doit en rapporter trois ou quatre. Nous avons déjà des contacts en Chine, en Inde, en Russie, en Turquie où je me trouvais voici quelques jours et je redis partout ces chiffres: 85% des Grecs sont favorables aux privatisations car ils sont dégoûtés du fonctionnement de leur Etat; 83,5% en attendent des créations d’emplois. Tout le monde, ou presque, est convaincu qu’il faut en passer par là. C’est notre meilleure garantie d’indépendance. Et notre plus forte obligation de  résultats.

EN COMPLEMENT : Les eurocrates chez Socrate

Les eurocrates de la dette surveillent la Grèce Les créanciers privés de la Grèce ont jusqu’à minuit ce mercredi pour accepter la décote de la dette prévue par le second plan de l’UE. Chargés de le faire appliquer, les fonctionnaires européens se retrouvent, à Athènes, coincés entre l’Etat grec et la population

D’un côté, une fenêtre ouvre sur les ruines de l’Acropole et les échafaudages de l’équipe archéologique chargée de veiller sur ce creuset de la civilisation européenne. De l’autre, l’un des deux écrans sur lesquels Yannis Siatras scrute les cours de la bourse affiche, entre deux cotations, la une devenue le symbole des diktats et du mépris communautaires: celle du magazine allemand Focus montrant, à la fin de février 2010, la Vénus de Milo faisant un doigt d’honneur. Sous le titre: «Des escrocs dans la famille de l’UE». «Allez expliquer après cela que l’Union est à nos côtés», peste Yannis, ex-éditeur financier tenté de se présenter aux prochaines législatives, attendues au début du mois de mai.

«Gare aux clichés: ils pourrissent l’atmosphère», nous avait prévenu, à Bruxelles, Kostas Pappas, porte-parole de la représentation permanente de la Grèce. Confirmation aux abords de la délégation de la Commission européenne à Athènes, juste derrière le siège du parlement. De l’autre côté de la rue, des evzones, ces militaires en uniforme traditionnel de partisans aux collants blancs et chaussures cloutées coiffées d’un pompon rouge, procèdent à la relève de la garde devant de rares touristes. L’un d’entre eux, américano-grec, raille le drapeau bleu étoilé de l’UE. «Ils n’ont pas leur place au pays de Socrate, raille-t-il. Ils servent les banques, sans morale.»

Ce type d’accusations n’ébranle plus Panos Carvounis. Distingué, rompu aux critiques, ce quinquagénaire est l’ambassadeur européen en Grèce. «Je vis chez moi. Je vais au cinéma normalement alors que tant de politiciens grecs, décriés, n’osent plus sortir de chez eux. Je suis souvent interpellé, mais jamais vilipendé», raconte-t-il. Son pedigree explique l’habileté rhétorique. Il dirigeait, à Bruxelles, la communication de la Commission. Il en était l’un des spin doctors. Une formation idoine pour ce francophone abonné aux plateaux de TV ou de radio.

A l’inverse, le reste du contingent d’eurocrates installés à Athènes depuis le début de la crise, au printemps 2010, a fait du silence sa ligne de défense. Une quinzaine d’experts sont aujourd’hui basés dans la capitale grecque au sein de la task force constituée par la Commission pour aider le pays à absorber les fonds communautaires. Une trentaine d’autres travaillent à la délégation de l’UE, et servent de secrétariat à la troïka, l’instance tripartite (Commission, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) chargée de la mise en œuvre du mémorandum finalement accepté par les dirigeants grecs à la mi-mars 2012. A ces derniers de superviser le second plan d’aide européen de 130 milliards d’euros pour permettre à Athènes de se financer jusqu’à la fin de 2014. En sus des 110 milliards prêtés par les Vingt-Sept en mai 2010, et des 107 milliards de dettes que les créanciers privés ont accepté d’effacer dans le cadre d’un échange d’obligations qui s’achève le 18 avril.

Ceux de la task force, dont le nombre sera bientôt doublé, sont là pour assister et débourser. Donc plutôt populaires. Ceux de la troïka surveillent, vérifient, auditent. Des cibles idéales pour tout ce que l’Europe compte d’ennemis: vagues de fonctionnaires licenciés, entrepreneurs asphyxiés par des banques à la dérive, politiciens populistes habiles à exploiter le ressentiment anti-allemand, nationalistes d’extrême droite et anticapitalistes de la gauche radicale… Leurs modes de vie sont par conséquent aux antipodes. Les premiers parlent à la société civile, rencontrent les partenaires sociaux et s’éparpillent entre appartements privés ou chambres d’hôtels du centre-ville louées au mois. Les seconds font des allers-retours, négocient avec les ministères et occupent, sous protection policière, des suites au Hilton d’Athènes.

Les médias grecs résument ce dispositif à trois noms: ceux de Matthias Mors, Horst Reichenbach et Georgette Lalis, respectivement représentant de la Commission au sein de la troïka, patron de la task force et responsable de celle-ci à Athènes. Problème: la nationalité allemande des deux premiers nourrit les caricatures, genre «Bismarck chez Socrate». «Si les Grecs pouvaient imprimer un jeu de cartes avec les têtes des «Most Wanted Eurocrats» (les eurocrates les plus recherchés), comme le firent les Américains en Irak, les plus grosses primes iraient aux compatriotes d’Angela Merkel!» ironise lourdement un député hellénique, assis dans un café de l’avenue Syngrou aux murs ornés de dessins et d’affiches hostiles à la chancelière allemande. Preuve de ce malaise: la gêne suscitée par le fait que l’expert fiscal envoyé par la Commission soit… un Allemand hellénophone. «Ne le dites pas trop», suggèrent ses collègues, en se félicitant d’avoir, en 2011, déjà récupéré 500 millions d’euros d’impôts impayés.

Georgette Lalis, haut fonctionnaire grecque dépêchée par Bruxelles pour diriger l’équipe de la task force à Athènes, est dès lors le maillon crucial. Amie du chef de la mission suisse auprès de l’UE, Jacques de Watteville, cette quinquagénaire affable et directe a ses quartiers au septième étage d’une tour triste du quartier résidentiel de Panormou. Son patron, Horst Reichenbach, se déplace avec un garde du corps. Elle non. Lui manie la langue de bois. Elle non.

«Georgette connaît toutes les faiblesses et les roueries du système hellénique, juge un de ses collaborateurs. C’est sa force. Elle est notre démineuse en chef.» Son parcours en dit long. Détachée (déjà) par l’UE de 2001 à 2004 à Athènes, elle y dirigea le cadastre grec, labyrinthe de magouilles et cause d’évasion fiscale massive, dont la dantesque remise sur pied est aujourd’hui confiée aux Néerlandais: «L’Europe bute, en Grèce, sur les problèmes entre l’Etat grec et ses citoyens», explique-t-elle. Un de ses adjoints renchérit: «Personne n’a jamais dit au peuple qu’il devrait payer son brusque enrichissement des années 1990-2000 pendant trois générations. Or nous sommes ceux qui présentons la facture.»

L’autre difficulté, pour les eurocrates chargés de faire le ménage financier, est qu’ils héritent d’un lourd passif. Le refus de la Commission européenne d’affronter les Etats membres pour leur demander de «discipliner» la Grèce à partir du déraillement de ses dépenses publiques après les Jeux olympiques de 2004 fait tâche. L’aveuglement d’Eurostat, l’agence statistique de l’UE, face aux tricheries éhontées des Grecs, alimente les théories du complot. Le mutisme du président grec de la Cour européenne de justice à Luxembourg, Vassilios Skouris – un temps pressenti pour prendre la tête de l’actuel gouvernement de coalition à la place de Lucas Papadémos, l’ancien vice-président de la BCE finalement adoubé par l’UE et les grands partis grecs –, accrédite l’idée d’une passivité complice.

Vrai? Achilleas Mitsos slalome. Dans son bel appartement de Kolonaki, le traditionnel quartier chic d’Athènes avant que les nouveaux riches grecs n’émigrent vers les plages, cet ancien directeur général de la Commission à la retraite illustre les non-dits qui ont accompagné la Grèce depuis son entrée dans l’UE en 1981, puis son adoption encore plus controversée de l’euro. «Tout cela est très compliqué, zigzague notre hôte, dans un français châtié. Il m’arrivait souvent de dire en réunion à Bruxelles qu’il fallait davantage surveiller le pays mais… dans d’autres domaines, la Grèce faisait des progrès incontestables.» Omerta communautaire. Les révélations, ces jours-ci, de la presse sur une île grecque qui empochait les subventions nationales et européennes pour des centaines de faux aveugles, sans que personne ait rien vérifié, rappellent combien le mal était profond.

Grâce à l’argent reçu de Bruxelles ou emprunté à faibles taux sur les marchés, la «bulle» grecque enrichissait les uns, faisait la carrière des autres. «Nos eurocrates grecs ont été les pires, raille Andreas, un importateur de chaussures. Ils savaient, mais n’ont pas osé. Pire: beaucoup étaient fiers de voir la petite Grèce tourner l’Europe en ridicule. Ils se sont comportés comme des politiciens. Tandis que nos hommes politiques agissaient, eux, comme des escrocs.»

L’équation financière de la crise n’est en plus pas la seule à empoisonner, à Athènes, le quotidien des eurocrates. Au bar très chic de l’Hotel Grande-Bretagne, sur la place Syntagma, deux d’entre eux acceptent de partager leurs expériences, sous le sceau de l’anonymat. L’un, marié à une fonctionnaire grecque, a vu son nom lâché dans la presse après l’acquisition d’une villa de luxe dans les Cyclades par sa belle-famille. L’autre a dû rassurer son fils de 13 ans, inquiet de décliner la profession paternelle. Les employés recrutés par la Commission évitent d’en parler, par peur des pressions. L’histoire d’un cadre débarqué de Bruxelles, séduit par une jolie secrétaire à la solde d’un entrepreneur habitué aux juteux contrats étatiques circule. «On les sent parfois perdus. Deux amis eurocrates, propriétaires de terrain sur l’île de Naxos ont préféré ne pas faire construire», raconte un architecte.

S’y ajoutent d’autres griefs. Le cauchemar de l’immigration clandestine en provenance de la Turquie voisine, les interminables négociations menées par la Grèce pour obtenir des renforts de Frontex, l’agence européenne de protection des frontières extérieures, le budget hellénique de la Défense montré du doigt alors que les équipements payés à prix d’or sont presque tous made in France ou made in Germany…

Résultat: l’euroscepticisme gangrène la population la plus aidée du continent. Même si, conscients de leurs faiblesses économiques et plombés par leurs importations massives, les Grecs ne sont, d’après les sondages, que 25% à vouloir abandonner l’euro pour retourner à la drachme. «En leur for intérieur, beaucoup sont prêts à accepter l’idée d’une tutelle, risque Yannis Meimaroglou, homme d’affaires installé entre Athènes et Genève. A condition que les européens aient un plan pour la Grèce, qu’ils nous disent à quoi doit ressembler ce pays dans dix ans.»

Plamen Tonchev, universitaire d’origine bulgare, complète: «L’UE devrait plutôt envoyer ici des psychanalystes dit-il. Au fond, les Grecs n’arrivent toujours pas à se croire européens.» Dur. Mais pas démenti par Gregory Devakoulas, le porte-parole de Stavros Dimas, l’ancien commissaire européen devenu ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement sortant de Lucas Papadémos: «L’erreur de l’Europe est de ne pas avoir compris que les Grecs se regardent dans le miroir des autres. Nous avons cru aux clichés des années 2000 sur le miracle hellénique que personne ne démentait à Bruxelles.»

Et maintenant? «On rêverait d’un Jacques Delors qui dirait courageusement aux Grecs: «Vos frontières sont celles de l’Europe. Vous êtes l’Europe dont beaucoup de vos dirigeants élus sont indignes», s’énerve un responsable de l’UE. Mais la page Delors est tournée. Et José Manuel Barroso, l’actuel président de la Commission européenne, n’a pas mis les pieds dans la capitale grecque depuis le début de la crise.

Par Richard Werly envoyé spécial à Athènes /le temps avril12

1 réponse »

  1. “Je connais les règles: un investisseur, pour être aujour­d’hui intéressé par une privatisation grecque, doit pouvoir espérer tripler ou quadrupler sa mise. ”

    Des gens biens ces gens là ? C’est à des gens comme ça qu’ils vont vendre les biens du peuple. Réveillez vous !!!

    «Nos eurocrates grecs ont été les pires, raille Andreas, un importateur de chaussures. Ils savaient, mais n’ont pas osé. Pire: beaucoup étaient fiers de voir la petite Grèce tourner l’Europe en ridicule. Ils se sont comportés comme des politiciens. Tandis que nos hommes politiques agissaient, eux, comme des escrocs.»

    Vive l’euro, 10 ans et un peu plus. En matière de constantes géopolitiques, c’est 500 ans pour changer les civilisations. Y à encore du pain sur la planche pour ces idiots inutiles de Troika, Politiques, Banquiers, Etats, Médias, et des tas de biffetons à recevoir pour d’autres idiots inutiles. Plus vite fait, plus vite vous pourrez faire la pause…La Voie avec un grand V c’est Marine. C’est simple tout est simple.

    “Et José Manuel Barroso, l’actuel président de la Commission européenne, n’a pas mis les pieds dans la capitale grecque depuis le début de la crise.”

    Manuel mais si vous connaissez, y dit rien, y l’entend rien et y voit rien.

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