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Ressources humaines: comment les «big data» façonnent l’employé modèle

Ressources humaines: comment les «big data» façonnent l’employé modèle

 E-mails, appels téléphoniques, nombre de clics de souris… des milliards d’informations sont enregistrées dans des bases de données. La puissance analytique et prédictive des données se mettent au service des ressources humaines. Un management scientifique révolutionnaire qui intéresse les ressources humaines pour améliorer le recrutement et la gestion du personnel. Mais qui a ses limites…..

Jade Dominguez est un as de la programmation autodidacte. A 26 ans, cet Américain a acquis son savoir-faire à la maison, sans jamais suivre d’études. Pourtant, le jeune homme sans diplôme est sorti en tête de la fouille de ­données menée par Gild sur l’ensemble du Web. La start-up ­californienne, en mal de programmateurs, s’est empressée de le recruter.

Jade Dominguez a été repéré par un algorithme qui explore la Toile selon des critères précis. Dans un processus classique, il serait passé entre les mailles du filet des recruteurs. Pour Vivienne Ming, directrice scientifique chez Gild, cela souligne l’inefficacité des critères d’embauche courant. «Le genre, le nom, l’origine géographique ou ethnique, l’expérience passée ou les résultats scolaires sont trop souvent pris en considération par les employeurs, et ce, sans raison», expliquait-elle récemment dans le New York Times.

L’algorithme développé par Gild élimine le biais humain par quelque 300 facteurs plus raisonnés. Par exemple: les sites utilisés par les candidats, les types de langages informatiques qu’ils maîtrisent, la manière dont ils parlent des technologies, les projets sur lesquels ils ont travaillé. Le cursus scolaire des candidats n’est pas mesuré par des critères subjectifs, mais selon le classement des écoles américaines établi chaque année.

Bienvenue à l’âge du management scientifique par l’exploitation des données. Le Big Data. Ce mot-valise correspond à toutes les traces numériques que nous laissons, sans cesse, lorsque nous faisons des achats, surfons sur Internet et utilisons notre téléphone portable. Le croisement de ces bases de données avec d’autres critères permet de dresser par exemple le profil précis d’une entreprise, d’un marché ou d’un individu. Et de leur évolution future.

Un nombre croissant de sociétés, séduites par ces promesses, se mettent à l’analyse des données pour améliorer leur gestion interne. E-mails, entretiens annuels, appels téléphoniques, nombre de clics de souris… Le comportement des employés est compilé puis analysé, dans le but d’accroître leur productivité.

Certaines bases de données scannent le comportement de milliers, voire de dizaines de milliers d’individus. A l’instar de ­Kenexa, cette société acquise par IBM, en 2012, pour 1,3 milliard de dollars. Active dans 30 pays, ­Kenexa propose à ses quelque 8900 clients des logiciels de gestion RH. Elle stocke des données sur plus de 40 millions de demandeurs d’emplois et d’employés.

Au sein d’IBM, Kenexa fournit des modèles prédictifs sur la marche des affaires du groupe et développe des grilles d’évaluation des employés selon des critères propres à chaque travailleur. «L’analyse des données internes aide une entreprise à décrypter plus précisément quels sont ses points forts, ses lacunes, qui sont ses employés et les besoins de ses équipes», explique Kieran Colville, responsable du leadership chez Kenexa. «L’entreprise prend ainsi de meilleures décisions stratégiques.»

L’acquisition de Kenexa par IBM intervient quelques mois seulement après le rachat, par Oracle, du spécialiste en ressources humaines Taleo. SAP, quant à lui, a acquis SuccessFactors en décembre 2011. Le spécialiste allemand du marché des logiciels de gestion d’entreprise développe une offre Big Data pour ses entreprises clientes sur le marché suisse.

Hanspeter Groth, responsable de la stratégie au sein de SAP Suisse: «L’analyse de données permet de déterminer les besoins des entreprises en termes de personnel, mais aussi le profil type du candidat en fonction de leurs ­objectifs stratégiques.» Ces informations peuvent ensuite être recoupées avec les CV et les données publiques des candidats sur LinkedIn, Facebook, Twitter ou Google.

Le logiciel élabore un premier tri. Mais «nous n’évacuons pas l’aspect humain du recrutement, souligne Hanspeter Groth. Les candidats sélectionnés par l’algorithme seront tous reçus en entretien et évalué par la subjectivité du directeur des ressources humaines.» Pour autant que les informations collectées soient interprétées de manière adéquate.

Au sein d’Accenture Suisse, Christoph Weber développe et analyse l’architecture des bases de données pour le compte d’entreprises clientes. L’expert avoue que «99,9% des informations amassées sont inexploitables. Notre défi consiste à trouver du sens au 0,1% restant.» Comment les employés contribuent-ils au succès de l’entreprise? Combien j’investis dans la formation et l’évolution de chaque employé? Cela a-t-il un ­impact sur les résultats? Des méthodes analytiques avancées permettent de trouver des réponses à ces questions.

Mais le Big Data a ses limites. A commencer par le respect de la sphère privée des candidats. Car la collecte et l’exploitation restent très nébuleuses, comme le démontre LinkedIn. Le réseau social professionnel utilise un algorithme pour proposer aux recruteurs des profils qu’ils «devraient embaucher». Ce service baptisé «Recruiter» n’est accessible qu’aux entreprises ayant souscrit un compte Premium payant.

Que permet Recruiter? L’espionnage des centaines de millions de profils inscrits sur le réseau social, leur ajout à des listes de candidats potentiels et la mise en relation avec les anciens employeurs, qui s’attardent sur le profil d’un candidat. Tout cela, à l’insu des utilisateurs. Le succès de LinkedIn se base donc sur un système asymétrique dans lequel employeurs et candidats ne sont pas traités sur un pied d’égalité.

Quid du stockage des informations personnelles? En Suisse, la loi autorise les entreprises a conservé les données des candidats pendant six mois. «De quoi restreindre le champ d’analyse», réagit Saàd Bendadi. Le responsable romand de la division Sciences de la vie d’Adecco est en charge du recrutement de cadres dans l’industrie pharmaceutique et biotechnologie. «L’analyse des données remet en question le modèle de recrutement standard, confirme-t-il. CV, rapports d’entreprises, références, profils d’entreprises, les agences comme Adecco doivent composer avec des centaines de milliers de données à traiter. La technologie Big Data permettrait alors d’affiner et d’optimiser le travail de recrutement.» Pour l’heure, Adecco n’a pas encore fait le pas.

Une certitude: la surveillance des travailleurs dans les entreprises ne cesse de progresser. Plusieurs sociétés américaines utilisent déjà le système Sonos, qui détermine si telle ou telle musique diffusée influence la rentabilité. Mais aussi Happiily, qui mesure l’humeur des employés. Ainsi, un travailleur qui entame une relation amoureuse est plus productif qu’un célibataire, affirme cette entreprise.

Le britannique Tesco, leader de la grande distribution, équipe quant à lui ses employés de brassards électroniques pour mesurer leur productivité, en donnant une durée pour accomplir certaines tâches et en établissant un score pour chacun des travailleurs.

Outre-Atlantique, Bank of America dote ses collaborateurs de badges développés par Sociometrics Solutions, dont le but est d’étudier les mouvements et les interactions entre employés. Après analyse, il apparaît que les travailleurs les plus productifs appartiennent à des équipes soudées qui parlent souvent entre elles. La banque américaine a donc favorisé les pauses en groupes. Résultat? La productivité a augmenté de 10%.

D’autres entreprises invitent les collaborateurs à mesurer leurs activités personnelles: composition des repas, sommeil, activités sportives et sociales. La finalité est toujours la même: vérifier si le mode de vie des employés est nuisible à la productivité de l’entreprise.

PAR MEHDI ATMANI/ Le Jeudi 12 Septembre 2013  

 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/a60005d6-1bb4-11e3-b890-cd09ad28e84a/Comment_les_big_data_fa%C3%A7onnent_lemploy%C3%A9_mod%C3%A8le

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