Art de la guerre monétaire et économique

Les bourses ont-elles la mémoire courte? Par François Gilliéron

Les bourses ont-elles la mémoire courte? Par François Gilliéron

Vue à travers le prisme des marchés financiers, la récente crise, ouverte entre les puissances Occidentales et la Russie, éclaire d’une lumière nouvelle notre propre situation. 

A la suite des premières sanctions décrétées contre Moscou, tant le rouble que la bourse et les obligations russes se traitaient en nette baisse. Selon le site financier Bloomberg, toujours pressé d’affirmer la supériorité du système américain, il ne s’agissait là que d’un début. Mais au lieu d’étayer ses affirmations, il a poursuivi en établissant une liste des milliardaires dont les titres avaient encore progressé sur les grands marchés occidentaux. Une sorte de démonstration par l’absurde qui voulait ignorer que la Russie, charnière de l’Eurasie et pivot du Moyen-Orient, demeurait plus qu’une puissance régionale. On notera aussi, en passant, que les valeurs russes ont repris une partie de leurs pertes ces derniers jours. 

A l’évidence, des valeurs essentielles séparent les deux camps. Pour s’en persuader, il suffit de se rendre à 70 kilomètres de Moscou, au monastère fortifié de Serguiev Possad. Erigé dès le XIIIe siècle au milieu de l’immensité de la steppe, ce dernier rappelle que la survie face à un monde hostile fait partie des gènes russes. On est loin de la culture de Wall Street, qui pense consommation immédiate et sans limite. Traduisez aussi: des sanctions économiques contre la Russie risquent fort de ne pas produire les résultats escomptés. 

Mais la crise russe met aussi en lumière nos paralysies institutionnelles. Jusqu’en 2008, en effet, toute crise permettait au politique de reprendre la main. Mais depuis cette date, les banquiers, au nom du principe du «too big to fail» – devenu en passant «too big to jail» – sont parvenus à ligoter ces mêmes politiques et à imposer, unilatéralement, leurs intérêts. Tant et si bien que le citoyen lambda a été conditionné à penser que sa future sécurité matérielle était désormais tributaire d’une hausse permanente des bourses. Par sûr, dans ces conditions, que ce dernier acceptera de se serrer la ceinture afin de renflouer l’Ukraine, pays pillé d’abord par ses propres dirigeants. 

En bref, affranchis de toute tutelle politique, les marchés financiers n’ont plus à craindre qu’eux-mêmes. Mais les mécanismes boursiers relèvent encore et toujours de la psychologie des masses. A l’instar d’une cargaison mal arrimée dans un navire en pleine tempête, un indice peut basculer sans raison apparente. 

Les bourses ne représentent pas un baromètre précis de l’état politique du monde. Preuve en est qu’en 1917, au lendemain de la prise du palais d’Hiver par les Bolcheviks, la cote de Petrograd avait ouvert en baisse, certes, mais sans comprendre qu’elle allait devoir bientôt fermer pour trois générations.

Par François Gilliéron Consultant indépendant/ Le Temps 31/3/2014

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f0f011ee-b835-11e3-bf63-22d343f86127%7C1

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