Art de la guerre monétaire et économique

Les Clefs pour Comprendre du Mardi 25 Novembre 2014: La donnée majeure pour l’avenir Par Bruno Bertez

Les Clefs pour Comprendre du Mardi 25 Novembre 2014:  La donnée majeure pour l’avenir Par  Bruno Bertez

Les difficultés de la Chine sont au centre de l’actualité. En particulier pour l’incidence que cela peut avoir sur les matières premières et la déflation. 

Les préoccupations conjoncturelles éclipsent la dimension historique des problèmes de la Chine. Plus exactement, il apparaît nécessaire de remplacer le mot «problèmes» par le mot «défi». La Chine est lancée dans un défi. A la fois par choix, mais aussi par nécessité. 

Le présent essai replace la situation présente de la Chine dans la ligne de son passé, mais également dans la perspective de son avenir. Notre thèse est que la Chine est non pas en difficulté, mais dans une phase de transition pilotée. Les changements en cours en Chine sont gérés.

La Chine a une stratégie pour passer de l’ordre ancien de la première phase de mondialisation à la nouvelle phase où elle prend appui sur sa mondialisation pour développer un modèle économique plus équilibré et plus durable. Le nouveau modèle chinois tient compte de la situation mondiale présente, évidemment, mais surtout de ses limites. Il tient compte aussi des progrès de la technologie, des gains de productivité et de l’ère qui s’ouvre par la généralisation de la robotisation. D’ores et déjà, les avantages comparatifs dont a bénéficié le système chinois pendant la première phase, à savoir des coûts salariaux bas, une main d’œuvre abondante et relativement bien formée, orientée vers le travail, ces avantages comparatifs sont érodés. Le modèle prospectif chinois est fondé sur une moindre dépendance à l’égard de l’exportation, à l’égard des firmes occidentales qui utilisent la Chine comme base industrielle, et beaucoup plus sur les atouts intérieurs. Les atouts intérieurs de la Chine sont: sa population de mieux en mieux formée, son progrès technologique et un marché domestique considérable. 

Ce que les occidentaux ne comprennent pas, ou mal, et singulièrement les dirigeants européens, c’est que le flottement que l’on observe actuellement en Chine est une sorte de symptôme des réaménagements nécessaires pour préparer l’avenir. Attention, nous ne soutenons nullement que ce sera une réussite. Nous ne soutenons nullement que ce sera facile. Nous soutenons simplement qu’il ne faut pas se tromper de diagnostic: ce n’est pas la fin du miracle chinois, mais sa mutation, ou plus exactement son dépassement. Dépassement est tout à fait adapté puisque nous sommes en terrain dialectique et que l’esprit chinois, encore très imprégné au niveau de ses dirigeants, du maoïsme, cet esprit chinois fonctionne de cette façon. Pour les Chinois, le matérialisme historique n’est pas renié, il est dépassé en quelque chose d’autre qui s’appuie sur l’ancien pour faire advenir quelque chose de neuf. 

Ceci est important car le monde est un Système et ce qui se passe en Chine, et en Asie en général, va revenir modifier considérablement ce qui se passe et qui va se passer dans les vieux pays occidentaux. Lorsqu’on considère le monde comme un système, alors on admet que le jeu d’un des éléments, dès lors qu’il est significatif, provoque des mutations partout ailleurs. On peut déplorer la pensée bornée des gouvernements européens et singulièrement celle de la France. Nous sommes en train de nous adapter à la situation issue de l’après-guerre et nous imitons le modèle allemand alors que ce modèle sera totalement obsolète à l’avenir. La France est en train de s’adapter à un sous-ensemble économique européen qu’elle voit à travers le rétroviseur alors qu’elle devrait regarder devant elle, avec une longue vue. 

La préparation chinoise à un autre avenir implique des modifications dans différents domaines. Chacun de ces domaines a une vie propre, mais l’enjeu, c’est la cohérence de l’ensemble au service du projet:

-La Chine doit réorienter son économie et son appareil de production. Elle doit réduire l’importance relative des travaux d’infrastructure, de l’industrie lourde, de l’industrie exportatrice et surtout celle de l’immobilier. Tous ces domaines représentent une part considérable du produit national actuel. Dans la perspective du futur, la Chine doit réorienter son appareil de production et, en particulier, tenir compte à la fois des mutations technologiques et des mutations dans la demande. La demande intérieure et la demande de consommation de biens et de services doivent être favorisées et progressivement devenir prioritaires. Nous laissons de côté l’aspect militaire qui est déjà important et qui sera renforcé à l’avenir. 

-La Chine doit réorienter sa politique financière. Elle doit progressivement abandonner la répression financière qu’elle impose aux ménages par le biais de la spoliation de l’épargne, par sa politique de taux d’intérêt et sa politique de changes. 

-La Chine doit réorienter sa politique de changes comme complément à la mutation de sa politique financière. Pour ce faire, elle doit passer d’un change gouverné par l’accès aux marchés extérieurs et à la compétitivité. Bref, elle doit se détourner du mercantilisme et considérer qu’un change réévalué va dans le sens de l’amélioration du pouvoir d’achat de ses consommateurs. 

-La Chine doit gérer la situation bancaire héritée du passé. Ce ne sera pas une mince affaire. En effet, le modèle de développement passé a conduit à une sous-optimisation des investissements, à un stock de dettes plus ou moins recouvrables, voire plus ou moins irrécouvrables, et ces dettes se trouvent dans des bilans plus ou moins opaques. Il faut assainir la situation sans accident, il faut fixer de nouveaux critères, bref, il faut favoriser une allocation des capitaux conforme aux nouvelles priorités définies. 

-La Chine doit, et c’est peut-être encore le plus difficile, maintenir l’unité sociale et politique alors qu’elle doit détruire les intérêts qui sont enracinés dans des classes sociales plus ou moins souples. Elle doit heurter les intérêts politiques, industriels, financiers, militaires qui sont représentatifs de la première phase de sa mondialisation. Comment le faire sans perdre le pouvoir et sans dislocation sociale? 

C’est ce dernier problème qui est en quelque sorte la synthèse de tous les autres. Les choses matérielles ou financières se gèrent avec plus ou moins de facilité, mais elles sont moins conflictuelles que la destruction des intérêts acquis. La fuite considérable des capitaux que l’on observe à partir de la Chine depuis trois ans, des centaines de milliards, n’a pas d’autre origine: elle constitue une anticipation par les couches sociales qui se sont enrichies au cours des dernières décennies, une anticipation de ce qu’ils pressentent devoir les attendre. 

Le mouvement chinois n’en est qu’à ses débuts et ce sera tout sauf un grand bond en avant. Ce sera progressif, beaucoup de choses seront souterraines et se feront par petites touches. Quelquefois, les événements pourront prendre un tour chaotique. On ne peut y échapper. 

Plus prosaïquement, ce mouvement implique un ralentissement prolongé du taux de croissance chinois. Cela ne sera pas sans conséquence au plan international. Il y aura aussi des conséquences sur le plan intérieur car la croissance, même de mauvaise qualité, permet un relatif calme social. Le plus probable est qu’il y aura une forme de gestion en «stop and go». Lorsque la croissance ralentira trop, il faudra lâcher du lest. Ceci pourra être interprété faussement comme un retour en arrière alors qu’il s’agira en réalité d’assurer une marche en avant.

Surprenante baisse des taux 

La banque centrale chinoise a annoncé vendredi dernier une baisse de ses taux d’intérêt, une mesure inédite depuis 2012 qui doit permettre de revigorer la deuxième économie mondiale et qui a galvanisé les marchés mondiaux. Cette baisse des taux de référence sur les dépôts et les emprunts à un an, respectivement de 0,25 et 0,40 point de pourcentage, sera effective à compter de ce samedi, a précisé la Banque populaire de Chine (PBOC, banque centrale). 

Il s’agit de la première baisse des taux d’intérêt en Chine depuis juin 2012. Décidée en réaction au ralentissement de la croissance et aux risques déflationnistes, la mesure verra le taux de dépôt à un an ramené à 2,75% et celui de la rémunération de l’épargne à 5,6%. La mesure a électrisé les Bourses mondiales, qui étaient déjà bien disposées après que la BCE eut annoncé être prête à étendre son soutien à l’économie si cela s’avérait nécessaire.

 It appears that while Draghi’s comments impacted European stocks (DAX surged)…

 it had negligible impact on US stocks… they were driven by AUDJPY after the PBOC cut

 Charts:Bloomberg

 BRUNO BERTEZ Le Mardi 25 Novembre 2014 

illustrations et mise en page by THE WOLF

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6 réponses »

  1. « La Chine doit »…

    C’est déjà en marche, avec des avancées spectaculaires sur les sujets cités dans cet article ! Très très loin de notre sclérose EU…

    Juste deux constats, la puissance de calcul informatique et la puissance milliaire.

    Ces deux domaines ne doivent pas être sous-estimé, car structurants le proche avenir.

    Une probable alliance US-Chine est aussi un élément a ne pas prendre à la légère… pour la suite des événements, en particulier monétaires. Vu ses avoirs en US dollars et ses exportations, la Chine n’a aucun intérêt que les US s’effondrent…

    La seule grosse divergence actuelle entre ces deux empires, c’est une armée sous l’emprise du privé aux US, et une armée d’État en Chine. Important, car, une monnaie sans puissance militaire, c’est un peu comme une prison sans gardiens…

    La monnaie toujours la monnaie, sujet central du moment, et pour cause…

    Ce qui explique la multiplication des mouvements sur l’Or noir et jaune actuellement, sans jeu de mots.

    Si j’ai bien suivi, la Chine est favorable à une sorte de bankor incluant un panier de matières premières et les US, c’est la virtualisation totale actuelle que vous décrivez si bien.

    Et la dette dans tout cela ? Tout dépend du perdant…

    À suivre.

  2. Le but de cet article est en quelque sorte de compléter l’analyse de Charles Gave en insistant sur le fait que la Chine n’est pas en crise, mais en transition.

    http://leblogalupus.com/2014/11/17/strategie-chinoise-par-charles-gave/

    C’est le premier point.

    Le second est que ce qui se passe en Chine va modifier toute la donne dans le système global. Le monde est un système et ce qui se passe en Chine ou aux USA constitue pour nous européens une donnée majeure.

    Le troisième point est que j’introduis le facteur temps, faudra longtemps pour mener cette transition.

    Le quatrième point est qu’il y aura des avancées et des reculades, des essais et des erreurs, l’évolution ne va pas être linéaire.

    Le cinquième point qui n’est pas développé, mais suggéré est que nous sommes non dans la prévision et l’unilatéralisme , mais en théorie des jeux. Qu’est ce que les uns doivent faire sachant que les autres vont faire cela et qu’ils savent que nous allons réagir …

  3. la chine baisse ses tx en réaction au yen,
    lui même baissé à mon avis dans le cadre d’une stratégie « non coopérative », vis à vis des us
    (la metaphore de LTCM copié par ses brokers ou cela ne sert a rien de dévaluer si l’autre fait ou symétriquement , comme dans les années 30, cela ne sert à rien de réévaluer si les autres suivent

    Ou est le problème:
    l’Allemagne a bénéficié a plein aprés 2009 de la politique transition chinoise
    via machine outil…aujourd’hui c’est fini
    via débouclage du yen carry trade o’u elle a taillé des croupières au Japon

    le doll yen peut aller à 200
    dans 6 mois amha l’Allemagne va payer cher son hubris et ne se rend pas compte que son succès n’est pas tenable, & encore moins sa position vis à vis de la Russie:
    elle s’est trompé de camp. (par ailleurs les russes sont payés en yuan dans leur mega swap…)

    Ce mois-ci on assiste un très gros tournant:
    poutine qui pour défendre son rouble n’achète pas de l’usd mais 150t d’or

    et ceci , qui est magistral, que j’aurais préféré voir avant, mais qui sortant maintenant après Poutine-il s’agit je l’espère d’une campagne coordonnée- signifie surement que la population d’un pays d’europe s’apprête à voter indirectement poutine à au moins à 40% (score lepen en F)

    http://leblogalupus.com/2014/11/26/lettre-ouverte-de-marine-le-pen-au-gouverneur-de-la-banque-de-france%e2%80%8f/

  4. J’ai apprécié , le stop and go et les difficultés à venir . A un moment j’ai eu peur qu’on soit dans le ‘fine tunning’ .
    L’amour pour les ombres chinoises c’est du au coté esthétique , on ne voit que les contours . Comme pour l’Allemagne il est convenu de s’extasier devant tant de réussite : une accumulation record avec une bonne gouvernance des salaires au plus bas . Le Top .
    Et maintenant qu’on a bien travaillé , on va souffler redistribuer et on pourra voir l’autre coté de la rue malgré un reste de pollution .
    M’est avis comme vous le laisser entrevoir qu’il y a un bug quelque part , parce que pourquoi cette baisse des taux ? Au fond .

  5. Bonsoir,
    La transition entre le monde ancien et le monde nouveau prendra du temps c’est certain, mais stratégiquement les Chinois sont aussi très aguerris et très pragmatiques.

    Je pense qu’ils sont conscients de ce qui se passe, du basculement qui s’opère entre les puissances.
    De cette fracture naissante entre l’ouest occidental et l’est de Moscou.

    Ils sont comme ils sont partout, discrets, calment observateurs et écoutent….

    Ils ont aussi je pense pris toute la mesure de la place qu’ils occupent dans la mondialisation, quels acteurs ils sont, originel, et ils seront, ultérieur, vis à vis des US, de l’occident, mais aussi de la Russie.
    Ils n’ont aucun intérêt à étouffer les US et l’occident, car contrairement aux occidentaux qui ne se soucient que du profit à court terme, eux sont et s’appuient, sur du long terme.
    Par nécessité, mais aussi de par leur culture.
    Il suffit de voir en Europe, en 60 ans nous avons réussi à nous essouffler économiquement.

    Ce long terme aura pour avantage de les maintenir dans l’économie mondiale tout en stabilisant grâce à leur capacités démographique leur économie des vagues scélérates monétaires qui secoueront certainement l’Europe.

    Ils seront par conséquences spectateurs. mais aussi opportunistes de la stratégie qu’ils mènent.
    Ils suffit de voir comment ils ont occupé sans douleur l’Afrique pour tirer profit des matières premières avec le miroir aux alouettes du développement sans les faire bosser.

    Opportunistes aussi en Europe, cette Europe « fatiguée » , qui freine leur tentative de s’imposer (construction de l’autoroute en Pologne) mais qui fait les yeux doux à leurs OPA, (Port d’Athènes) et actuellement en France qui vend ses bijoux de famille.
    Je prendrai l’exemple de l’Aéroport de Toulouse, qui intéresse les Chinois, non pour faire une liaison directe Toulouse/Pekin (quoi que ?) mais parce qu’il est situé juste en face d’Airbus et EADS.
    Faut pas les prendre pour des truffes.
    Du coup Moullande 1er a sans doute du recevoir un coup de fil de Bruxelles qui avait du recevoir un coup de fils des US qui l’ont obligé à appeler le Qatar à la rescousse pour refroidir les Chinois. C’est pas encore fini !?

    Bref, la Chine à une vertu elle est patiente, et nous un gros défaut, plus de tune….. qui mangera qui ?
    De là à penser que nous pourrions d’ici une vingtaine d’année travailler pour des multinationales Chinoises, je crains fort qu’il n’y ait pas un grand pas à faire.

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