Aristote contre Platon

Varoufakis: « il n’y a jamais eu de négociations. Nous avons été promenés. Dictature allemande par l’eurogroup. »

Varoufakis: « il n’y a jamais eu de négociations. Nous avons été promenés. Dictature allemande par l’eurogroup. »

18988319123_f379fa4d5d_bPermalien de l'image intégrée

Vous pouvez lire ci-dessous une interview de Varoufakis publiée le 13 Juillet dans The New Statesman.

Nous prêtons une grande attention aux discours des gens qui ont quitté les affaires, c’est dans ces circonstances qu’on apprend vraiment comment cela se passe. On est en dehors de la Com.

Nous avons sorti quelques phrases ou idées qui nous paraissaient mériter un intérêt tout particulier

  • Ce qui a frappé Varoufakis, c’est le manque complet de scrupules démocratiques et le cynisme.  Le fait d’avoir raison et de parler juste n’a aucune importance.
  • Ils n’ont jamais écouté les arguments et les analyses économiques, cela ne les interessait pas
  • Schauble a déclaré , nous ne pouvons laisser une élection changer le cours des choses, il y a des élections tout le temps. Si nous tenions compte des élections, alors les contrats ne signifieraient plus rien. Varoufakis a répondu , je suggère que l’on supprime les élections dans les pays endettés.
  • Merkel a joué le rôle du gentil flic, flattant et rassurant Tsipras
  • Il n’y a pas jamais eu de négociations, ils nous ont promené , passant d’un sujet à l’autre . Quand nous avons fini par épuiser nos liquidités, ils ont fait leurs propositions, lesquelles étaient le genre de propositions que l’on fait quand on veut être sûr que l’autre partie les refuse.
  •  Les autres pays surendettés comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie se sont dès le début montré nos ennemis les plus décidés. Leur cauchemar était que nous puissions réussir, car cela les aurait mis hors jeu dans leur pays.
  • Les anglais nous ont soutenus, mais sans incidence réelle. Pour eux le Parlement c’est important, mais dans le cas Grec le Parlement est considéré comme de la merde (rubbish)
  • L’Eurogroup, qui a tous les pouvoirs et les pleins pouvoirs n’existe pas légalement, donc il fait ce qu’il veut. Aucun traité ne prévoit son existence. Il est en dehors des lois.
  • L’Eurogroup qui régit la vie des citoyens n’existe pas, il n’est responsable devant personne, n’a pas de comptes à rendre, il n’y a aucune minute des réunions qui soit tenue. Donc les citoyens ne peuvent savoir ce qui s’y dit. Il a le pouvoir de vie et de mort sans avoir à en répondre.
  • Cet Eurogroup est controlé par l’Allemagne, tout le monde joue sous la direction du chef d’orchestre, le ministre des Finances Schauble.
  • Le Ministre francais Sapin, a essayé de faire entendre sa voix, il a été rembarré et il est rentré dans le rang. De toutes facons à la fin, il finit toujours par plier et accepter.
  • Une sortie d’un pays du Sud de l’Europe conduirait à une fragmentation qui produirait une terrible recession dans les pays qui ont un surplus et une stagflation dans les pays en déficit. Qui sait qui profiterait de la dislocation , la gauche progressiste ou bien l’extreme droite neo-fasciste ?
  • Nous avons réflechi à la sortie de l’euro, mais nous ne l’avons pas préparée concrètement.
  • Quand l’Eurogroup aurait fermé ou fait tomber nos banques, j’ai pensé qu’il faudrait mettre en route le processus pour se préparer à Grexit.
  • Si ils avaient fermé nos banques complètement, nous aurions du émettre nos propres reconnaissances de dettes (IOUs) ou annoncer que nous allions le faire. Nous aurions pris le controle de la Banque Nationale de Grèce, nous aurions annoncé un haircut sur les bonds grecs détenus par la BCE. Quand cela est arrivé, mes collègues ne m’ont pas suivi, ils ont voté contre ma proposition. J’ai été mis en minorité. Nous avons alors fermé les banques en accord avec la BCE et la Banque Nationale de Grèce au lieu de les fermer contre elles.
  • Le premier ministre pensait que le succès au référendum conduirait à des concessions majeures de l’autre partie et il refusait d’envisager de prendre des mesures de rétorsion. Il s’est trompé . Ce qui signifie dans ce cas que tout est joué, vous pliez. 
  • Il n’y a rien a espérer des nouveaux accords, ce ne peut qu’être pire, il n’y aura pas de restructuration de dettes. Ce serait un miracle. 
  • Nous n’avons aucun levier, aucun moyen de pression.

« Notre combat pour sauver la Grèce », interview de Yanis Varoufakis au New Statesman

13 JUILLET 2015 |  PAR JULIEN BALLAIRE / Mediapart

Interview téléphonique de Yanis Varoufakis par Harry Lambert, the New Statesman, réalisée avant la conclusion de l’accord de lundi matin.

Texte original ici : http://www.newstatesman.com/world-affairs/2015/07/yanis-varoufakis-full-transcript-our-battle-save-greece

Permalien de l'image intégrée19477618918_42c5a4e70b_b

Harry Lambert : Alors, comment vous sentez-vous ?

Yanis Varoufakis :  Je me sens sur le toit du monde. Je n’ai plus à vivre selon cet emploi du temps fou, qui était absolument inhumain, complètement incroyable. J’ai dormi 2 heures par nuit, tous les jours, pendant 5 mois… Je suis aussi soulagé de ne plus avoir à supporter l’incroyable pression d’avoir à négocier pour défendre une position que je trouve difficile à défendre, même si je réussissais à faire acquiescer la partie adverse.

Comment était-ce ? Vous n’en avez aimé aucun aspect ?

Oh si, de nombreux aspects. Mais l’information que vous avez quand vous êtes à l’intérieur… voir vos pires peurs se confirmer… Avoir « le vrai pouvoir » qui vous parle directement, et qu’il vous dise ce que vous craignez – la situation est pire que ce que vous imaginiez ! Donc c’était amusant d’être au premier rang.

A quoi faites-vous référence ?

A l’absence complète de scrupules démocratiques de la part des soi-disant défenseurs de la démocratie européenne. La compréhension claire que nous sommes sur la même longueur d’onde analytique – bien sûr ils ne le diront jamais publiquement. Et pourtant, des personnes très puissantes vous regardent dans les yeux et vous disent « Vous avez raison, mais nous allons vous écraser quand même. »

Vous avez dit que les créanciers s’opposaient à vous car « J’essaie de parler d’économie à l’Eurogroupe, ce que personne ne fait. » Que se passait-il quand vous le faisiez ?

Ce n’est pas que cela se passait mal, c’est qu’il y avait un refus catégorique de débattre d’arguments économiques. Refus catégorique. Vous mettez en avant un argument que vous avez vraiment travaillé – pour être sûr qu’il soit cohérent, logique – et vous n’avez en face de vous que des regards vides. C’est comme si vous n’aviez pas parlé. Ce que vous dites est indépendant de ce qu’ils disent. Vous auriez aussi bien pu chanter l’hymne national suédois, vous auriez eu la même réponse. Et c’est déconcertant, pour quelqu’un habitué au débat universitaire… l’autre camp réplique toujours. Et bien là, il n’y avait pas réplique du tout. Ce n’était même pas de la gêne, c’était comme si personne n’avait parlé.

Quand vous êtes arrivé pour la première fois, début février, ce n’était pas la position unitaire ?

Et bien, les gens étaient compatissants sur un plan personnel – enfin, vous savez, derrière des portes fermées, sur des bases informelles. Surtout le FMI.

Au plus haut niveau ?

Au plus haut niveau. Au plus haut niveau. Mais une fois dans les réunions de l’Eurogroupe, quelques mots aimables, et c’est tout, retour derrière le parapet de la version officielle.

Mais Schaüble était cohérent tout du long. Sa ligne, c’était « Je ne discute pas du programme, il a été accepté par le précédent gouvernement et on ne peut pas permettre qu’une élection y change quoi que ce soit. Parce que nous avons des élections à longueur de temps, nous sommes 19, si à chaque fois qu’il y a une élection quelque chose change, les contrats entre nous ne voudraient rien dire. ».

Donc à un moment je me suis levé et j’ai dit « Dans ce cas peut-être qu’on devrait simplement ne plus faire d’élections dans les pays endettés », et il n’y a pas eu de réponse. La seule interprétation que je peux en faire c’est qu’ils pensaient « Oui, ce serait une bonne idée, mais ça serait compliqué à faire. Donc soit vous signez là où on vous dit, soit vous sortez. »

Et Merkel ?

Vous devez comprendre que je n’ai jamais eu quoi que ce soit à faire avec Merkel. Les ministres des finances parlent aux ministres des finances, les premiers ministres aux chancelières. De ce que je comprends, elle était très différente. Elle a essayé d’apaiser le premier ministre, elle a dit « On va trouver une solution, ne vous en faites pas, je ne laisserai rien d’horrible se passer, faites vos « devoirs à la maison », travaillez avec la Troïka, il ne peut pas y avoir de cul-de-sac dans ce cas ».

Ce n’est pas ce que j’entendais de mon homologue, tant à la tête de l’Eurogroupe que Schaüble, ils étaient très clairs. A un moment, ils m’ont dit sans équivoque : « Voilà un cheval, soit vous le montez soit il meurt. » (* »This is a horse and either you get on it or it is dead. » Expression qui veut visiblement dire : c’est ça ou rien).

D’accord. C’était quand ?

Dès le début. Dès le tout début.

Alors, pourquoi s’accrocher jusqu’à l’été ?

Et bien, il n’y avait pas d’alternative. Notre gouvernement avait été élu avec le mandat de négocier. Donc notre premier mandat était de créer un espace et du temps pour avoir une négociation et obtenir un nouvel accord. C’était notre mandat – notre mandat était de négocier, ce n’était pas de venir et d’envoyer balader les créanciers…

Les négociations ont pris des siècles, parce que l’autre camp refusait de négocier. Ils insistaient qu’ils voulaient un « accord global », ce qui voulait dire qu’ils voulaient discuter de tout. Mon interprétation est que quand vous voulez parler de tout, vous ne voulez parler de rien. Mais nous avons fait avec.

Et il n’y avait absolument rien que nous ne pouvions proposer sur rien avec eux. Laissez-moi vous donner un exemple. Ils disaient « nous voulons toutes vos données sur la trajectoire fiscale sur laquelle est la Grèce, nous voulons toutes les données sur vos entreprises publiques. » Alors nous passions beaucoup de temps à leur fournir les données et à répondre à leurs questionnaires et à avoir un nombre incalculable de réunions pour le leur fournir.

Donc voilà la première phase. La seconde phase, c’est qu’ils nous demandaient ce que nous voulions faire sur la TVA. Ils rejetaient ensuite notre proposition mais ne faisaient pas de proposition alternative. Et ensuite, sans qu’on ait eu le temps de se mettre d’accord sur la TVA, ils changeaient de sujet, comme les privatisations. Ils nous demandaient ce que nous voulions faire sur les privatisations, on proposait quelque chose, ils le rejetaient. Ensuite ils passaient à un autre sujet, comme les retraites, puis aux marchés de produits, puis aux relations sociales, et des relations sociales à toutes sortes de choses, n’est-ce pas ? C’était comme un chat chassant sa propre queue.

On a senti, le gouvernement a senti qu’on ne pouvait pas arrêter le processus. Ma suggestion depuis le début, c’était celle-ci : « ce pays s’effondre, il s’effondre depuis longtemps… Bien sûr nous avons besoin de le réformer. Nous sommes d’accord là dessus. » Parce que le temps presse, et parce que pendant les négociations, la BCE réduisait les liquidités pour nous mettre la pression, ma proposition constante à la Troïka était très simple : mettons nous d’accord sur 3, 4 réformes importantes, comme le système fiscal, comme la TVA, et appliquons-les immédiatement. Et relâchez les restrictions sur les liquidités de la BCE. Vous voulez un accord global, travaillons-y, et en attendant, laissez-moi présenter ces réformes au parlement comme un accord entre vous et nous.

Et ils répondaient « non non non, il doit y avoir un accord global. Rien ne sera mis en œuvre si vous osez faire des propositions de lois. Ce sera considéré comme une action unilatérale hostile au processus d’élaboration d’un accord ». Et bien sûr, quelques mois plus tard, ils font fuiter aux médias que nous n’avons pas réformé le pays et que nous perdions du temps ! Et donc… (ricanements), on s’était fait piéger, dans un sens, sur un sujet très important.

Donc, au moment où les liquidités se sont presque complètement asséchées, que nous étions en situation de défaut, ou de quasi-défaut, envers le FMI, ils ont amené leurs propositions, qui étaient totalement impossibles, totalement invivables et toxiques. Donc ils ont joué la montre, et ils sont venus avec le genre de propositions que vous présentez au camp d’en face quand vous ne voulez pas d’accord.

Avez-vous essayé de travailler avec les autres gouvernements des autres pays endettés ?

La réponse est non, pour une raison très simple : dès le début, ces pays en particulier ont rendu abondamment clair qu’ils étaient les ennemis les plus énergiques de notre gouvernement, dès le tout début. Et la raison, bien sûr, était que notre succès est leur pire cauchemar : si nous réussissions à négocier un meilleur accord pour la Grèce, cela les écraserait politiquement, ils auraient à répondre à leurs propres peuples sur pourquoi ils n’avaient pas négocié comme nous l’avions fait.

Et vous associer avec des partis plus à l’écoute, comme Podemos ? 

Pas vraiment. Je veux dire, nous avons toujours eu une bonne relation avec eux, mais il ne pouvaient rien faire, leur voix ne se faisait pas entendre à l’Eurogroupe. Et de fait, plus ils s’affichaient en notre faveur, ce qu’ils ont fait, plus le ministre des finances représentant leur pays devenait inamical à notre égard.

Et George Osborne ? Quelles étaient vous relations avec lui ?

Oh, très bonnes, très plaisantes, excellentes. Mais il est hors de la boucle, il ne fait pas partie de l’Eurogroupe. Quand j’ai discuté avec lui à plusieurs occasions, j’ai bien vu qu’il était très compréhensif. Et de fait, si vous lisez The Telegraph, les meilleurs défenseurs de notre cause ont été les Tories ! Parce que leur euroscepticisme, hum… ce n’est pas juste de l’euroscepticisme, c’est une vision Burkienne de la souveraineté du parlement – dans notre cas, il était très clair que notre parlement était traité comme des ordures.

Quel était le plus grand problème avec le fonctionnement général de l’Eurogroupe ?

Pour illustrer, il y a eu un moment où le président de l’Eurogroupe a décidé de s’en prendre à nous et de fermer concrètement nos banques, et a fait savoir que a Grèce était intrinsèquement sur le chemin de la sortie de l’Eurozone. Il y a une convention qui veut que les communiqués de l’Eurogroupe doivent être unanimes, et que le président ne peut pas juste convoquer une réunion et en exclure un pays membre. Et il dit « Oh, je suis sûr que je peux faire ça. » Donc j’ai demandé un avis légal. Et ça a créé un petit kerkuffle (*c’est intraduisible. En gros, c’est un bazar paniqué). Pendant 5-10 minutes la réunion s’est arrêté, les juristes, les officiels parlaient entre eux, regardaient sur leurs téléphones, et finalement, un officiel, un expert légal est venu me voir et m’a dit les mots suivants : « Et bien, l’Eurogroupe n’existe pas dans la loi, il n’y a pas de traité qui le constitue. »

Donc nous avons un groupe non-existant qui a le plus grand pouvoir pour déterminer la vie des Européens. Il n’est responsable devant personne, étant donné qu’il n’existe pas dans la loi ; pas de minutes des réunions, et c’est confidentiel. Aucun citoyen ne saura jamais ce qui s’y dit… Ce sont des décisions pour ainsi dire de vie et de mort, et aucun membre n’a à en répondre devant qui que ce soit.

Et c’est ce groupe qui est contrôlé par les attitudes allemandes ?

Oh, pleinement et complètement. Pas par les attitudes, par le ministre des finances de l’Allemagne. C’est comme un orchestre très bien rodé, et il est le chef d’orchestre. Tout est au diapason. Il y a des moments où l’orchestre sort du tempo, mais il s’active, et tout revient dans l’harmonie.

Il n’y a pas de pouvoir alternatif dans le groupe ? Le Français ne peut pas contrer ce pouvoir ?

Il n’y a que le ministre français qui a émis des bruits différents de la ligne allemande, et ces bruits étaient très subtils. Vous pouviez voir qu’il devait choisir des mots très judicieux, pour ne pas être vu comme en opposition. Et au final, quand Doc Schaüble répondait, et déterminait effectivement la ligne officielle, le ministre des finances français pliait toujours et se taisait.

Parlons de votre background théorique, et de votre travail sur Marx en 2013, quand vous dites : « Une sortie de la Grèce, ou du Portugal, ou de l’Italie de la zone euro mènerait bientôt à la fragmentation du capitalisme européen, créant une zone de surplus récessif sérieux à l’est du Rhin et au nord des Alpes, quand le reste de l’Europe serait pris dans le cercle vicieux de la stagflation. Qui pensez-vous bénéficierait de cette situation ? Une gauche progressiste, qui s’élèverait tel le Phénix des cendres des institutions publiques européennes ? Ou les nazis d’Aube Dorée, et leur cortège de néofascistes, xénophobes et truands. Je n’ai absolument aucun doute sur lesquels des deux se sortiraient le mieux d’une désintégration de l’eurozone. »… donc un Grexit aiderait inévitablement Aube Dorée, vous pensez toujours cela ?

Ecoutez, je ne crois pas à une vision déterministe de l’histoire. Aujourd’hui, Syriza est une force dominante. Si nous arrivons à sortir de cette situation unis, et que nous gérons proprement un Grexit… ce serait possible qu’il y ait une alternative. Mais je ne suis pas sûr qu’on le réussirait, parce que réussir l’effondrement d’une union monétaire demande beaucoup d’expertise, et je ne suis pas sûr que nous l’ayons en Grèce sans l’aide de l’étranger.

Vous avez bien du penser au Grexit dès le premier jour…

Oui, absolument.

Vous vous y êtes préparés ?

La réponse est oui et non. On avait un petit groupe, un « cabinet de guerre » au sein du gouvernement, d’environ 5 personnes, et nous faisions ceci : nous y avons travaillé en théorie, sur le papier, tout ce qui devait être fait. Mas c’est une chose de le faire avec 4 ou 5 personnes, c’en est une autre d’y préparer le pays. Pour préparer le pays, une décision exécutive devait être prise, et elle n’a jamais été prise.

Et la semaine dernière, était-ce une décision dont vous sentiez que vous vous rapprochiez ?

De mon point de vue, nous devions être précautionneux pour ne pas l’activer. Je ne voulais pas que cela devienne une prophétie auto-réalisatrice. Je ne voulais pas être comme le fameux aphorisme de Nietzsche qui dit que si vous fixez le fond de l’abysse assez longtemps, l’abysse vous fixe en retour. Mais je croyais aussi qu’au moment où l’Eurogroupe allait fermer nos banques, on activerait le processus.

Très bien. Donc vous aviez deux options, de ce que je vois : un Grexit immédiat, ou imprimer des IOU et prendre le contrôle de la Banque Centrale de Grèce (précipitant potentiellement mais pas nécessairement un Grexit) ?

Oui, oui. Je n’ai jamais cru que nous devions aller directement à un nouvelle monnaie. Mon idée était, et je l’ai proposé au gouvernement, que s’ils osaient fermer nos banques, ce que je considérais comme un acte d’un très grand degré de violence, nous devions répondre agressivement, mais sans franchir le point de non-retour. Nous diffuserions nos IOU (*IOU : I owe You, je te dois. Reconnaissance de dette officielle, quasi-monnaie parallèle), ou au moins nous annoncerions que nous allions diffuser notre propre liquidité libellée en euro, nous appliquerions une décote aux obligations de 2012 détenus par la BCE, ou annoncerions que nous allons le faire ; et nous prendrions le contrôle de la Banque de Grèce. C’était le triptyque, les 3 choses que je pensais que nous devions faire en réponse à la BCE qui ferme nos banques.

Je prévenais le cabinet que ça allait arriver depuis un mois, dans le but de nous pousser à accepter un accord humiliant. Quand c’est arrivé – et de nombreux de mes collègues ne pouvaient pas croire que ça arrivait – mes propositions de réponse « énergique » ont été, disons, rejetées par le vote.

Et on en est passé loin ?

Disons que sur 6 personnes, nous étions une minorité de 2. Une fois cela acté, j’ai reçu l’ordre de fermer les banques de façon consensuelle avec la BCE et la Banque de Grèce, ce contre quoi j’étais, mais je l’ai fait, car je suis un joueur d’ équipe, je crois en la responsabilité collective.

Ensuite, le référendum s’est tenu, et le référendum nous a donné un boost incroyable, qui aurait justifié ce type de réponse énergique contre la BCE, mais la nuit-même, le gouvernement a décidé que la volonté du peuple, ce « Non » tonitruant, ne devait pas énergiser notre approche.

A la place, il devait mener à des concessions majeures au camp d’en face : la réunion du conseil des chefs de partis, où notre premier ministre a accepté comme prémisse que quoi qu’il se passe, quoi que fasse l’autre camp, ne nous répondrions jamais d’aucune manière qui le challengerait. Et au bout du compte, cela voulait dire plier. Vous arrêtez de négocier.

Donc vous ne devez plus avoir beaucoup d’espoir maintenant, que le deal sera meilleur que celui de l’an passé, voire même qu’il sera pire ?

S’il est quelque chose, il sera pire. Je crois et j’espère que notre gouvernement insistera sur la restructuration de la dette, mais je ne vois pas comment le ministre des finances allemand signerait pour ça lors de la réunion de l’Eurogroupe qu arrive (*celle du samedi 11). S’il le fait, ce sera un miracle.

Exactement. Parce que, comme vous l’avez expliqué, votre effet de levier est disparu ?

Je pense, je pense. A moins que Schaüble ne reçoive ses ordres de marche de la chancelière. Cela reste à voir, si elle va ou s’engager pour le lui dire ça.

Pour y revenir à nouveau, pouvez-vous nous expliquer, en des termes compréhensibles pour nos lecteurs, vos objections au « Capital » de Piketty ?

Et bien, premièrement, laissez-mois dire que je suis embarrassé car Piketty a été d’un grand soutien pour moi et pour le gouvernement, et j’ai été horrible avec lui dans ma critique de son livre ! J’apprécie réellement sa position de ces derniers mois, et je le lui dirai quand je le verrai en septembre.

Mais ma critique de son livre tient. Son sentiment est correct. Sa détestation des inégalités. Son analyse, cependant, sape sa position, d’autant que je puisse en juger. Car dans son livre, le modèle néoclassique du capitalisme laisse très peu de place pour montrer ce qu’il veut montrer, sauf à construire un modèle sur une série très spécifique de paramètres, ce qui sape son argument. En d’autres termes, si j’étais un opposant à sa thèse selon laquelle l’inégalité est construite et incluse dans le capitalisme, je serais capable de mettre son cas de côté en attaquant son analyse.

Je ne veux pas trop entrer dans les détails, car ce ne sera pas dans l’article final…

Oui….

… mais, au sujet de sa mesure de la richesse ?

Oui, il utilise une définition du capital qui rend le capital impossible à comprendre. C’est une contradiction des termes. (cf le blog de YV pour plus de détails… en anglais.)

Revenons à la crise. Je comprends très peu votre relation avec Tsipras.

Je le connais depuis fin 2010, car j’étais un critique éminent du gouvernement de l’époque, bien que j’en ai été proche à une période. J’étais proche de la famille Papandréou – je le suis toujours, d’une certaine manière – mais je suis devenu un éminent… à l’époque c’était un grosse info, un ancien conseiller qui disait « On prétend que la banqueroute n’a pas eu lieu, on essaie de la couvrir avec de nouveaux prêts insoutenables », ce genre de choses.

J’ai fait quelques vagues à l’époque, et Tsipras était un très jeune leader qui essayait de comprendre ce qui se passait, et d’où venait la crise, et comment il devait se positionner.

Vous souvenez-vous de votre première rencontre ?

Oh oui. C’était fin 2010, on est allé dans une cafétéria, on était trois, et dans mon souvenir, il ne savait pas trop quel était son point de vue, drachme vs euro, les causes de la crise, et j’avais des vues, disons, très très arrêtées sur ce qui se passait. Et le dialogue a commencé, qui a continué pendant des années, un dialogue qui… je crois l’a aidé à former ses idées sur ce qui devait être fait.

Du coup, comment vous sentez-vous aujourd’hui, après 4 ans et demi, en ne travaillant plus à ses côtés ?

Je ne le ressens pas de cette manière, je sens que nous sommes très proches. Notre séparation était extrêmement amicale. Il n’y a jamais eu de problème entre nous, jamais à ce jour. Et je suis extrêmement proche d’Euclide Tsakalotos (*son successeur au ministère des finances grec).

Et j’imagine que vous échangez toujours avec les deux cette semaine.

Je n’ai pas parlé au premier ministre cette semaine, ces deux derniers jours, mais j’ai parlé avec Euclide, oui, et je considère qu’Euclide est un proche, et je ne l’envie pas du tout (rires).

Seriez-vous choqué si Tsipras démissionnait ?

Plus rien ne me choque en ce moment. Notre Eurozone est un endroit très inhospitalier pour les gens décents. Ça ne me choquerait pas non plus d’y rester et d’accepter un très mauvais accord. Parce que je comprends qu’il sens qu’il a une obligation envers les gens qui le soutiennent, nous soutiennent, de ne pas laisser le pays devenir un « failed state » (*littéralement « état échoué », se dit d’un état qui ne peut pas assurer ses fonctions régaliennes et n’a donc aucune autorité réelle).

Mais je ne vais pas trahir ma propre opinion, que j’ai forgé en 2010, que ce pays doit cesser de faire semblant, doit arrêter de contracter de nouveaux prêts en prétendant que nous avons réglé le problème, ce que nous n’avons pas fait ; quand nous avons rendu notre dette encore moins soutenable sous conditions de toujours plus d’austérité qui réduit encore plus notre économie ; et fait encore plus porter le poids sur ceux qui n’ont rien, en créant une crise humanitaire. Ce n’est pas quelque chose que j’accepterais. Je n’en ferai pas partie.

Dernière question : resterez-vous proche que qui que ce soit avec qui vous avez négocié ?

Hum, je ne suis pas sûr. Je ne vais mentionner personne, au cas où je détruirais leurs carrières ! (Rires).

http://blogs.mediapart.fr/blog/julien-ballaire/130715/notre-combat-pour-sauver-la-grece-interview-de-yanis-varoufakis-au-new-statesman

EN BANDE SON :  

6 réponses »

  1. Cet article me coupe le souffle, il est horriblement et merveilleusement éclairant,
    même si je pensais que les « débats » s’en approchaient, je n’imaginais pas un tel cynisme,
    oui l’europe est une dictature d’un nouveau type, et une fois les états écrasés, ce sera au tour des peuples.
    Mais après ça il n’y a plus rien a dire, plus de débats a avoir, soit on prends les armes, soit les valises….

  2. L’exemple Grec commence à faire réfléchir. La Bulgarie est en train de faire machine arrière en ce qui concerne son implication plus en avant dans l’europe ( le « e » minuscule est voulu…) et c’est tant mieux. Comme le dit Pougatchof, il ne reste que deux alternatives…

Laisser un commentaire