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Risque Nucléaire : A Fukushima comme ailleurs, la sécurité morcelée

A Fukushima comme ailleurs, la sécurité morcelée

Par Mathilde Bourrier /mars11

Certes, il y a eu un tremblement de terre et un tsunami. Mais au-delà des forces de la nature, la catastrophe nucléaire du Japon aurait pu être amoindrie si l’on avait eu une vue d’ensemble de la sécurité. Or cette dernière se limite à une suite de procédures sans liens les unes aux autres.

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Des éléments organisationnels d’importance doivent être rappelés pour bien comprendre le scénario qui se déroule à Fukushima. Les difficultés sont incommensurables, car il s’agit, on l’a compris, d’un scénario du pire: plusieurs réacteurs, et pas un seul, à surveiller comme le lait sur le feu; une région dévastée où il est difficile d’acheminer de l’aide, et de se frayer un chemin; des personnels, notamment techniciens et ingénieurs qui doivent être à bout de fatigue, car ils ne peuvent véritablement être relayés.

 

Il est quasiment certain que les personnels n’ont jamais expérimenté un tel scénario dans un simulateur ou lors d’un quelconque essai. Il leur faut donc improviser chaque séquence. Les procédures, pourtant nombreuses dans une centrale, ne doivent leur être d’aucune utilité. Le bricolage est sans aucun doute la règle. Il est pratiqué par des personnels surentraînés à l’inverse: obéir le plus strictement et le plus souvent possible à des procédures. En même temps, et c’est une clef pour comprendre ce qui se passe, quand tout va bien, il n’y a de toute façon pas trente-six façons d’acheminer eau, matériels ou hommes. La technologie nucléaire est peu flexible, et les organisations du travail qui l’accompagnent sont lourdement structurées.

Parmi les caractéristiques organisationnelles d’une centrale nucléaire figurent trois éléments qui deviennent des pièges quand les choses dérapent:

un nombre limité de personnels capables de gérer ce qui se passe dans le cœur des réacteurs,

un nombre limité de voies physiques pour intervenir,

un nombre limité de procédures alternatives pour refroidir les cœurs.

Les choix ne sont pas infinis. Le principe de la redondance sur les sites nucléaires est d’abord construit par couple de tranches, puis entre ces couples de tranches. C’est-à-dire que jamais on n’a imaginé que tous les réacteurs d’un site seraient touchés en même temps et que les unités d’un même site n’auraient aucune possibilité de s’entraider.

 

Three Mile Island (1979) a révélé au monde l’importance des «facteurs humains» et la nécessité de travailler le problème des équipes d’opérateurs agissant sur la base d’informations erronées.

Tchernobyl (1986) a révélé au monde les dégâts causés par les injonctions paradoxales dans lesquelles se sont trouvés des personnels de conduite, pris entre deux ordres contradictoires: réalisez un test de sûreté, mais surtout soyez au rendez-vous de la production dès le lendemain matin! La fameuse «culture de sûreté», que les experts nucléaires de l’Agence de Vienne ont «inventée» dans les années post-Tchernobyl, n’est rien d’autre qu’une manière d’attirer l’attention sur le mélange explosif que représentent d’un côté les pressions de production et de l’autre celles de la sécurité. Toutes les années 1990 et 2000 se sont arc-boutées à ce credo: safety first!

 Fukushima apprend au monde que l’organisation même des redondances organisationnelles est largement dépendante des options technologiques. Cela fait des décennies que les sociologues des organisations complexes et à risque attirent l’attention sur cette subordination de l’organisation par rapport à la technologie. Réfléchir à l’organisation de la résilience des organisations du haut risque définit la nouvelle frontière du risque majeur. 

Mathilde Bourrier a écrit: Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, Presses Universitaires de France, 1999 Organiser la fiabilité, L’Harmattan, 2001

(directrice d’ouvrage).

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