Aristote contre Platon

Décision de la fed : le spectacle va commencer, les aboyeurs et la claque sont à leurs postes Par Bruno Bertez (Actualisé au 18/09/2015)

Décision de la fed : le spectacle va commencer, les aboyeurs et la claque sont à leurs postes Par Bruno Bertez (Actualisé au 18/09/2015)

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A quelques heures de la décision de la Réserve fédérale américaine sur ses taux d’intérêt, nous avons choisi un angle d’analyse tout à fait particulier. Nous avons porté notre attention sur la mise en scène de cette décision. C’est un élément déterminant et pourtant personne n’y prête attention.

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Les autorités tirent leur pouvoir du spectacle, c’est-à-dire de leur capacité à mobiliser l’attention. Dans le cas présent, il s’agit du monde entier de la finance, de l’économie et de la politique. Il s’agit de battre le tambour pour que tout le reste s’interrompe, pour que l’attention soit concentrée et pour que tout le reste soit escamoté. C’est exactement la démarche de David Copperfield, l’illusionniste de renommée mondiale. Nous l’avons répété cent fois, mais on ne le répète jamais assez, ces gens n’ont aucun pouvoir magique, aucune compétence particulière, comme le prouve la succession de leurs erreurs, mais ils ont une capacité exceptionnelle à occuper le devant de la scène, et, à partir de là, une capacité à modeler les perceptions. Leur pouvoir n’agit pas sur le réel, il agit sur les esprits. Certains soutiennent qu’en agissant sur les esprits, c’est-à-dire sur les perceptions, les responsables de la conduite des affaires finissent par rencontrer l’efficacité. En quelque sorte, les perceptions joueraient le rôle de courroie de transmission de leur pensée magique.

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Nous pensons que ceci est partiellement vrai, en particulier dans le court terme. C’est la fameuse affirmation selon laquelle les prophéties se réalisent d’être crues. C’est aussi ce que l’on peut appeler, un peu plus sérieusement, la réflexivité. En vertu de la réflexivité, la sphère des signes, la sphère des mots, la sphère des incantations financières, finit par produire le réel. En vertu de la réflexivité, et pour aller à l’essentiel et au plus clair, on peut soutenir que la finance produit le réel, on peut soutenir que la sphère financière est première et que la sphère économique n’est que seconde.

Lorsque nous réfléchissons personnellement sur ces questions, nous avons une position double.

D’abord, nous pensons que la sphère financière, dans nos sociétés et depuis plus de trente ans, est devenue première. C’est elle qui gouverne, qui conduit, qui produit l’économie par le biais des marchés, lesquels ne sont rien d’autre que des lieux de rencontres des perceptions. En vertu de ce présupposé théorique, nous considérons donc que lorsqu’il s’agit de tenter de prévoir l’évolution des marchés, et l’évolution de l’économie à court et moyen termes, ce sont les signes, les incantations et les perceptions qui sont déterminants. Tout ce qui concerne le moral, le sentiment, l’opinion des agents économiques est à prendre en considération. Pour résumer, nous affirmons que, dans une perspective courte et un peu moyenne, les abracadabras de nos magiciens fonctionnent relativement bien.

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Ensuite, nous pensons que la sphère économique a ses règles propres, ses lois naturelles auxquelles on ne peut échapper. Nous disons souvent que ces lois sont l’équivalent dans le monde physique de ce que l’on appelle la loi de la pesanteur ou la loi de la gravitation. En économie, nous la formulons comme loi de la rareté ou encore, sous une forme plus proche de celle de Marx, la loi de la Valeur. Sur le long terme, on ne peut échapper à la loi de la Valeur. Mais insistons, sur le long terme uniquement. Entretemps, on peut biaiser, tricher, détourner, mentir, enfumer. Sur le long terme, le réel prend le dessus, c’est ce que les économistes fondamentalistes classiques appellent la Grande Réconciliation. Certains appellent cela le retour aux moyennes de long terme. Quelles que soient les appellations, on tourne toujours autour de la même idée. Le monde des signes et des perceptions peut s’écarter longtemps du monde sensible et physique, mais, un jour ou l’autre, vient le jour des comptes, ce que les économistes américains appellent The Day of Reckoning. The Day of Reckoning est un concept très riche puisqu’il recouvre à la fois la réalité et les perceptions. Le jour des comptes, c’est le jour où le réel refait irruption dans la sphère financière sous forme de crise ou encore de rupture. C’est ce qui s’est passé en 2008/2009. L’idée que le prix des logements ne pouvait que monter et aller jusqu’au ciel a été fracassée par l’évolution réelle des prix du logement, avec un sous-jacent en chute libre, la valeur des prêts hypothécaires s’est effondrée. C’est ainsi qu’a débuté la grande crise financière. Mais le jour des comptes a un aspect psychologique et il ne faut pas le négliger. La menace qu’un jour le réel reviendra se venger hante les esprits, en particulier les esprits des participants aux marchés. Ils ont une sorte de culpabilité, car ils savent au fond d’eux que bien mal acquis ne profite jamais. L’arrivée du jour des comptes, c’est l’arrivée du jour de la sanction. C’est le jour où l’on rend tout ce que l’on a reçu et qui est tombé du ciel. Si, comme nous, vous avez passé votre vie à fréquenter les marchés, vous savez à quel point tous ces gens sont superstitieux…

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Donc, pour nous résumer, retenez bien ceci. La décision de la Fed est l’occasion d’une grande messe, l’occasion d’une mise en scène globale, dont la fonction objective dans le système est de renforcer le pouvoir des soi-disant responsables de la conduite des affaires, de faire croire qu’ils ont les choses en mains, et symétriquement, de vous faire comprendre que vous, vous n’êtes rien, vous êtes un sujet, vous êtes un fidèle, vous êtes un croyant. Eux sont tout. Ils peuvent tout vous donner ou tout vous reprendre, en particulier si vous avez joué, et le mot important est « joué », en particulier si vous avez parié dans un sens ou dans l’autre. Le fameux pari qui est à la Une de tous les médias : montera/montera pas ? Arrêtez-vous un instant pour reprendre confiance en vous et en votre jugement. Prenez la mesure du caractère dérisoire de ce pari, montera/montera pas : que représente une hausse éventuelle des taux de 0,25% quand, sur les marchés, les taux constatés varient quelquefois en l’espace d’une semaine, de 2 ou 3 fois plus, comme on l’a vu au premier semestre 2015. Le pouvoir des Maîtres consiste à vous présenter un choix binaire, un choix en tout ou rien, alors que le monde réel fonctionne autrement que cela. La correction qui est intervenue cet été sur les marchés a coûté beaucoup plus cher au Portefeuille Mondial que ce que peut coûter l’ajustement de la valeur théorique des mêmes portefeuilles dans le cas de hausse des taux.

Tout ce que l’on vous dit, ou que l’on va vous dire, n’a qu’un objectif, vous induire en erreur.

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On vous a dit que la hausse des taux serait dépendante de l’évolution des données économiques, c’est un mensonge, elle ne dépend que des conditions financières constatées sur les marchés. La meilleure preuve est que l’inflation mesurée par le PCE aux Etats-Unis, cette inflation qui est censée guider la Fed,  a fortement baissé depuis novembre 2010, date du premier Quantitative Easing. Si le QE avait pour objectif de lutter contre la déflation et de pousser l’inflation à la hausse, c’est un échec lamentable puisque le PCE est maintenant beaucoup plus bas qu’il ne l’était en novembre 2010. Si l’inflation avait la moindre importance, la décision sur les taux ne devrait faire aucun doute.

On vous a dit que la politique monétaire de la Fed était dépendante des statistiques économiques et en particulier de l’emploi. On vous l’a seriné pendant des années. Alors, dans ce cas, il n’y a aucun doute, le chômage est faible, il est revenu dans les zones moyennes de long terme, il faut monter les taux, les maintenir bas n’a plus aucun sens. Si l’emploi avait la moindre importance, la décision ne devrait faire aucun doute.

Ce ne sont que deux exemples pour vous montrer que les arguments invoqués par la Fed sont des rationalisations. Ni l’inflation, ni l’emploi, ne guident les décisions des gouverneurs. Pendant longtemps, ce qui les a guidés, c’était la situation du secteur bancaire, maintenant, ce qui les guide, c’est la situation de ce que l’on peut appeler le complément du secteur bancaire, nous voulons parler des marchés. Car le système financier, dans sa forme moderne, c’est banques+shadow banks+ marchés. Et si les banques sont en meilleure santé, et si le shadow tient malgré ses déséquilibres, c’est parce que l’on a inflaté et fait léviter les marchés. La question pour les gouverneurs est celle-ci : est-ce que les marchés peuvent supporter une hausse symbolique des taux de 0,25%. C’est la question centrale et les observateurs n’ont même pas remarqué que, lors de la grande messe au Grand Teton le mois dernier, ce qui a été analysé, c’est la situation des marchés, et non pas la situation de l’économie américaine. L’idée du report de la hausse des taux du 17 septembre a été produite par l’accès de volatilité sur les marchés et non pas par les fameux datas économiques. C’est un révélateur et il est important d’en prendre conscience.

En effet, comprendre les motivations des responsables est plus important qu’écouter leurs sornettes. Leurs sornettes visent à vous faire partir dans le zig alors qu’il faudrait se diriger dans le zag. Leurs sornettes ont pour objectif de rendre politiquement acceptables des décisions qui, autrement, ne le seraient pas.

La Fed a pris une sage décision

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Ce 17 septembre, la réunion des gouverneurs de la Fed s’est terminée par une annonce de statu quo. La Réserve fédérale américaine n’a pas monté ses taux. La majorité des commentateurs s’y attendait. Sur les marchés de futures, on ne donnait pas une probabilité supérieure à 30% à la décision de hausser les taux. Les commentaires de la Fed ont été jugés très « dovish ». A l’issue de la réunion, on considère que la probabilité d’une hausse des taux avant la fin 2015 est faible, même si elle n’est pas totalement nulle.

Au cours de la réunion qui a suivi, on a appris peu de choses, si ce n’est que la possibilité de taux négatifs en cas d’évolution conjoncturelle défavorable n’était pas totalement exclue. Simplement, comme a dit Yellen, aujourd’hui ce n’est pas d’actualité.

D’emblée, nous avons annoncé dans notre titre que nous considérons que la décision de la Fed était sage. Ceci mérite quelques explications. Notre titre complet aurait dû être « dans sa folie, la Fed a pris une sage décision ». Vous savez que nous sommes un détracteur de la politique monétaire qui est suivie. Cette politique monétaire vise à rendre le crédit facile et quasi gratuit, afin de faciliter l’endettement des agents privés. C’est cette politique que nous considérons comme une folie car le taux d’endettement des agents privés est resté très élevé, 145 à 150%, et d’autre part, les revenus progressent très faiblement. Ceci signifie que le surendettement des années antérieures n’a pas été résorbé et qu’avec la politique actuelle, il ne se résorbera pas. La dette continuera d’être un boulet qui empêche la reprise des économies. La seule solution, pour nous, est la destruction partielle des dettes, la chute du ratio d’endettement. Seul un allègement de la dette globale permettrait le retour à des conditions normales. Faute d’un tel retour, les économies continueront de patauger, le gaspillage des capacités continuera. Les inégalités poursuivront leur montée destructrice.

Ceci étant posé, la Fed a choisi une politique, celle de faire boire l’âne qui n’a plus très soif, et c’est à l’intérieur du cadre de ce choix que ses actions doivent être jugées. Si elle avait monté les taux ce jour, nous considérons qu’elle aurait commis une très grave erreur pour les raisons suivantes :

Le véritable taux de chômage de la population est bien supérieur à ce qu’indique le chiffre officiel. Si on raisonne en termes de pourcentage de la population totale, comme le fait par exemple la Fed de Saint Louis, on s’aperçoit que le sous-emploi est encore considérable. Simplement, dans les statistiques officielles, on retire les gens qui n’ont pas trouvé de travail depuis plus d’un an. Le ratio de ce que l’on appelle la participation au marché du travail a fortement baissé. On est maintenant autour des 63% alors que la norme devrait plutôt être autour de 67,3%.

L’inflation est très inférieure à ce que la Fed considère comme normal, soit 2%, et il n’y a aucune tendance à « l’amélioration », au contraire.

La croissance reste hésitante avec des trimestres erratiques. La moyenne de 2 à 2,1%, après des stimulants aussi exceptionnels que ceux qu’on a connus est tout à fait décevante.

Le moteur de la croissance aux Etats-Unis ne peut être, compte tenu de la faible progression des revenus gagnés, que l’accroissement de la dette privée. Or, cette dette privée, comme nous l’avons dit ci-dessus, non seulement reste près de ses niveaux records, c’est-à-dire très au-dessus des normes, mais en plus, elle ne connaît qu’une progression lente, environ la moitié du taux de progression considéré comme normal avant la crise. Une hausse des taux aurait cassé ce médiocre dynamisme de la création de crédit.

L’aspect international allait tout à fait à l’encontre d’une hausse des taux. Déjà, le reste du monde et en particulier les émergents se trouvent dans une phase délicate. La tendance est au deleveraging, c’est-à-dire au désendettement. Une hausse des taux de la Fed aurait provoqué une accentuation de la hausse du dollar, ce qui aurait renforcé les tendances au deleveraging et ainsi contribué à la fois à la baisse de la croissance, et à l’augmentation des risques financiers et, finalement, à accentuer l’aversion pour le risque.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que la décision de ne pas monter les taux est une sage décision. Elle complète le dispositif qui semble avoir été mis en place lors du dernier G20, dispositif qui recherche la stabilisation des émergents. Le statu quo sur les taux américains complété par ce que l’on pressent devoir être la politique de la Chine va dans la bonne direction. Nous le répétons, ces jugements ne valent que dans le cadre de pensée de la Fed, pas dans le nôtre.

Nous attendons la suite du dispositif de stabilisation chinois. La Chine a d’abord stabilisé son change, ensuite, elle a injecté ou libéré des liquidités, elle va stimuler par la politique monétaire et, si son dispositif est bien conçu, elle devrait annoncer un ensemble de mesures fiscales pour stabiliser l’économie. Tout cela coûtera beaucoup d’argent et devrait avoir tendance à peser sur le renminbi. Le dispositif devrait être complété par des formes directes ou indirectes de contrôle des mouvements de capitaux.

Au terme de ce bref survol de la décision de la Fed et de la tentative de stabilisation de la Chine, nous reprenons une attitude plutôt constructive sur les marchés.

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BRUNO BERTEZ Le 17/09/15

illustrations et mise en page by THE WOLF

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6 réponses »

  1. Ce qui est inquiétant c’est que l’on n’est plus dans la psychologie. Si tel était le cas et c’était mon pari, la FED aurait du remonter ses taux pour envoyer le signal que les choses allaient réellement mieux ou moins mal… Les marchés auraient alors baissé puis seraient remontés. Là c’est l’inverse qui a eu lieu. Le problème est donc plus grave que prévu et d’ordre quasi mécanique ; une hausse de 25 points de base peut tout déséquilibrer… On est à l’évidence bien plus proche du QE4 que d’une normalisation. Quant à la tenue des marchés que vous évoquez, elle est quasi certaine. A mon avis votre analyse sur la »perception » omet un élément, celui du prix des actifs. Si la perception n’est pas bonne on fait en sorte qu’elle le soit… je m’explique : une nouvelle crédible qui ne fait pas bouger le prix des actifs devient vite une simple rumeur. A l’inverse une rumeur aussi farfelue soit elle, accompagnée d’un mouvement sur les actifs devient crédible. Quand on a la force de frappe de la Fed et de ses sbires accompagnés des moyens représentés par le trading à haute fréquence, il est très facile de manipuler les actifs par une simple pression de bouton et aisni d’entrainer le marché vers la perception voulue…

  2. Je suis surpris que les occidentaux soient si attachés aux U.S.A. En effet, il s’agit de seulement de se souvenir, car depuis un siècle la monde a connu 2 grandes crises 1929-2007. D’où venait t’elle, des U.S.A. et qui est reparti en premier après les U.S.A.
    Il ne faut jamais oublier que les Américains ne font jamais rien sans intérêt, car même si ils sont venus nous défendre en 1940, c’est bien en cherchant à nous coloniser ensuite. Souvenez vous le mal que le Général DE GAULLE a eu pour les mettre dehors, avec leurs bases militaires chez nous.
    Il est nécessaire de comprendre l’espèce humaine, mais jusqu’à preuve du contraire, les Américains ne sont pas une race PURE, mais un mélange de peuples.
    Très amicalement.

  3. ouais bravo la fed -500 pts de baisse en moins de 24 h apres un fomc faut remonter a fevrier 1994 – j’adore ces stats

  4. Mais on a l’impression que plus personne n’en à rien à foutre de yellen

    le matin même thomas veillet fait une page de commentaire d’investissement au lieu de 4.
    le soir j’étais couché (je pe,nse que c’est la premiere fois de ma vie d’investisseur pour une soirée fed)
    sur les forums zero hedge: tout le monde s’en foutaient sauf pour constater qu’elle était trapped et contingente

    la fed à 100ans c’est fini va falloir trouver autre chose lol

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