Art de la guerre monétaire et économique

Les Medias d Etat

Les Medias d Etat

Par Michel Onfray 22/10/2019

Il existe en France, payés par l’argent du contribuable, des médias aux ordres non pas de l’intérêt général, non pas au service du public, non pas à celui des citoyens auxquels on a prélevé l’impôt, mais à la botte du libéralisme maastrichtien.

Les médias soviétiques n’informaient pas mais désinformaient, ils n’étaient pas pluralistes mais brutalement idéologiques, ils refusaient le débat et pratiquaient l’attaque ad hominem, ils n’organisaient pas la discussion mais diffusaient les communiqués du pouvoir présentés comme des vérités révélées. Avec les radios du groupe Radio France et les télévisons qui émettent du Sénat et de l’Assemblée nationale, mais pas seulement, je ne parle ici que des médias étatiques, nous disposons d’un dispositif médiatique semblable à celui qui sévissait dans les pays totalitaires de droite et de gauche: chez Staline ou chez Franco, chez Brejnev ou chez Pinochet, on tenait la vérité dans la même estime qu’aujourd’hui sur les radios du groupe  Radio France ou à Public Sénat et La Chaine parlementaire (LCP).

Exemple: je suis invité à parler du Crocodile d’Aristote dans l’émission de Myriam Encaoua le mercredi 16 octobre à 20h00 sur LCP. Ce livre est une histoire de la philosophie par la peinture. J’ai sélectionné une trentaine d’œuvres, de Pythagore à Derrida, afin de proposer, via l’examen d’un détail isolé dans chaque toile, une histoire de la pensée du philosophe concerné. C’est donc un livre dans lequel il n’est absolument pas question de politique. A aucun endroit, bien sûr, je ne parle d’Europe, de Brexit, de Macron, de Maastricht: ce texte se contente de contrepoints entre esthétique et philosophie.

Je laisse faire mon attachée de presse qui cale plusieurs rendez-vous, dont celui-ci, dans la journée. Je demande qui se trouvera sur le plateau; la production feint de ne pas savoir encore et on m’assure qu’on me le dira quand on le saura. La veille au soir, vers 21h30, on prétend qu’on ne sait toujours pas, mais qu’il y aura un débat sur le Brexit. Je fais savoir que si tel est le cas, je ne viendrai pas. Je ne veux pas parler de politique, mais de ce livre comme convenu. Je fais donc savoir que j’annule ma participation. La production de cette émission me joint immédiatement en m’assurant que je serais bien seul sur le plateau pour y parler de mon livre. Je confirme donc que je viendrai.

C’est donc sur place que je découvre que, sur la plateau, se trouve invité Jean-Louis Bourlanges, le VRP de l’Europe maastrichtienne. Il est affalé sur son fauteuil et ne me regarde pas. J’ai compris qu’il s’agissait alors d’un plateau exclusivement consacré au Brexit… Pas un signe, pas un geste, pas un mot, pas un regard: Bourlanges n’est pas là pour débattre mais pour mordre… Giscardien, bayroutien, sarkozyste, puis macronien: cet homme a deux fidélités, lui-même et le service de l’Etat maastrichtien. Ce pourfendeur des gilets-jaunes est là pour taper, cogner, salir et insulter.

Avant ma prise de parole, la rédaction a fabriqué un sujet diffusé en ouverture: il est à charge bien sûr… On prélève tout ce qui a fait polémique sur les réseaux sociaux depuis des années afin de faire de moi un polémiste. Ce qui veut dire que La Chaîne parlementaire, dans les locaux mêmes de l’Assemblée nationale, avec l’argent du contribuable, se fait le relais de ce qu’il y a de plus crapoteux sur les réseaux sociaux: voilà donc les sources de ces « journalistes »! Toute leur déontologie se trouve là. Il s’agit de montrer que je défendrais Zemmour en tout et que j’attaquerais Greta Thunberg sur son physique -deux lignes ironiques prélevées dans un texte de dix pages. Tout est à l’avenant. Et la création d’une Université populaire pour lutter contre les idées de Jean-Marie Le Pen en 2002? Une école que j’ai voulue sur mesure afin d’endoctriner les auditeurs! Peu importe que, depuis le début, il y ait eut d’autres contributeurs et qu’à sa dernière année on en comptait une vingtaine dont la plupart ne pensaient pas comme moi -tel ou tel par exemple y défendait le catholicisme, telle autre le freudisme, tel autre le libéralisme… Est-ce ainsi qu’on endoctrine? Faut-il s’y prendre de cette manière pour fabriquer des athées, des anti-freudiens ou des antilibéraux à mon image?

Dans le dispositif médiatique maastrichtien, soit la rédaction-en-chef ne m’invite pas, c’est mon cas sur certaines chaînes, soit on m’invite, mais c’est pour servir de punching-ball du début jusqu’à la fin de l’émission. Il faut alors parer tous les coups qui sont inlassablement les mêmes. In fine, il s’agit toujours de faire la preuve qu’on ne vote pas pour Marine Le Pen , qu’on ne fait pas le jeu du Rassemblement national et qu’on n’est pas l’arrière petit fils caché du maréchal Pétain -quand ça n’est pas d’Adolf Hitler…

Boulanges entre en scène sur le mode pit-bull. Je n’ai encore rien dit qu’il se rue sur moi. Il vocifère. Son monologue est une bonne affaire: tant qu’il parle, c’est du temps en moins pour moi, il tire donc à la ligne et n’en finit pas tout en augmentant les décibels. Il s’énerve tout seul, il fait de l’auto allumage, il se met en colère et sa colère le met en colère… Je lui demande calmement de se calmer. Ce qui  a pour effet de décupler sa colère: bien sûr qu’il n’est pas en colère! Pourquoi se met-il alors dans cet état? N’est-il pas d’accord avec mon analyse du portrait de Descartes par Franz Hals? N’a-t-il pas apprécié ma proposition de lecture du Foucault de la toile de Gérard Fromanger? A-t-il été blessé par ce que je dis de Sartre à partir de la toile qu’en a faite Robert Combas? Pas du tout. Il est le reliquat avachi du plateau anti-Brexit qui m’a précédé, une fosse aux lions dans laquelle la production avait dans un premier temps prévu de me jeter avant de consentir au débat des Horace et des Curiace sur la seule question de l’Europe maastrichtienne, et il continue à verbigérer, à monologuer comme un propagandiste qui vend son produit! On m’avait donc attiré avec Le Crocodile d’Aristote, mais c’était un guet-apens pour faire de moi un sale type genre compagnon de route de Zemmour, climato-sceptique, idéologue endoctrinant son public, etc.

Les questions de Myriam Encaoua sont elles aussi orientées: pourquoi est-ce que je me mêle de tout et que j’interviens sur tous les sujets? Et elle: ne se mêle-t-elle pas de tout, en étant d’ailleurs payée pour ça avec, je le répète, l’argent du contribuable? Son fait d’arme intellectuel? Avoir rédigé un article sur le coq de Castaner, Doudou, pour Le Parisien (14 août 2018)… Et Jean-Michel Apathie, et Serge July, et Daniel Cohn-Bendit, et Laurent Joffrin, et Luc Ferry, et Romain Goupil, et Jean Quatremer, qui ont leurs ronds de serviette dans les médias, ne se mêlent-ils pas de tout eux aussi? Mais eux le peuvent: ils sont tous des serviteurs de l’Etat maastrichtien. Idem pour Attali, Minc ou BHL à qui personne ne pose la question de leur légitimité quand on les invite. Pas de problème, ils font partie du même polit-bureau.

On peut aussi inviter Régis Debray ou Alain Finkielkraut sur ces radios ou ces télés sur lesquelles je suis interdit, on ne leur reprochera jamais leur illégitimité: et pour cause, on ne trouve pas chez eux de critique de l’Europe maastrichtienne, dès lors on peut accepter de les convier aux banquets médiatiques du régime… Le mot d’ordre étant: feu sur les opposants à l’Etat maastrichtien, un Etat nouveau pour lequel on exige le nationalisme qui, pour le coup, n’est plus la guerre! Il faut aimer l’Europe, son hymne, son drapeau, sa monnaie, sa constitution, ses journalistes, son histoire, son globish, ses grands hommes sur le même principe que jadis Déroulède invitait à vénérer la France: ce nationalisme intégral maurassien s’avère légitime quand il s’agit de l’Etat maastrichtien.

On me questionne, bien sûr, sur le Brexit… C’était le véritable motif de mon invitation. Je fais savoir que les tergiversations anglaises ne sont jamais que des variations sur le thème de la haine du peuple que manifestent les libéraux maastrichtiens. Je rappelle le mépris du référendum populaire de 2005 et du populicide que fut le passage en force, avec l’aide du congrès, pour imposer le traité de Lisbonne en 2008.

Bourlanges s’étrangle: il devient rouge de colère, il semble qu’il va exploser. Normal, quand on met son forfait sous le nez d’un coupable il n’a pas beaucoup de solutions: la dénégation, la colère ou le mensonge. Il y aura les trois… La colère, je n’y reviens pas. La dénégation: selon lui, ça n’est pas lui qui refuse le réel, mais moi qui pratiquerait l’art de l’esquive -c’est mon genre, chacun peut s’en rendre compte chaque fois que je prends la parole!

Le mensonge: je renvoie aux propos de Giscard d’Estaing qui fit savoir en son temps que le traité de Lisbonne c’était le traité du référendum de 2005 avec des modifications cosmétiques genre déplacement de paraphes et de virgules… Et Bourlanges de postillonner que c’était faux! Et ce à plusieurs reprises, avec une véhémence de forcené. Je l’ai donc chaque fois traité de menteur.

Valéry Giscard d’Estaing a explicitement dit qu’avec le traité de Lisbonne, « les juristes n’ont pas proposé d’innovations. Ils sont partis du texte du Traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d’amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992). Le traité de Lisbonne se présente ainsi comme un catalogue d’amendements aux traités antérieurs. Il est illisible pour les citoyens, qui doivent constamment se reporter aux textes des traités de Rome et de Maastricht, auxquels s’appliquent ces amendements. Voilà pour la forme. Si l’on en vient maintenant au contenu, le résultat est que les propositions institutionnelles du traité constitutionnel (les seules qui comptaient pour les conventionnels) se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. (…) La conclusion vient d’elle-même à l’esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche. » (« La boîte à outils du traité de Lisbonne », Le Monde, 27 octobre 2007 -j’avais pour ma part lu cette information dans Le Point).

Mais Bourlanges, qui fut giscardien quand c’était porteur pour sa carrière, vociférait que son ancien mentor n’avait jamais dit une chose pareille! La citation que je viens de donner prouve qu’il mentait éhontément.

L’émission se termine. La bouche encore pleine de bave, Bourlanges n’eut qu’un seul argument à m’opposer: j’étais un spécialiste dans l’art d’esquiver! Qui esquivait? Moi qui rapportait la vérité ou lui qui mentait?

On voit bien ici quelles sont les méthodes des maastrichtiens qui se prétendent démocrates mais qui jettent les référendums qui les désavouent à la poubelle, qui font revoter les peuples quand ils votent contre eux, qui refusent d’accéder à la demande du peuple quand il s’est exprimé, qui traitent d’antisémites et de bellicistes, puis d’extrémistes de droite tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Lors de débat, ces gens-là insultent, vocifèrent et mentent sans vergogne. On me dit qu’en plus d’être maastrichtien, ce monsieur Bourlanges serait aussi chrétien.

Le pugilat terminé, tournant le dos à Bourlanges, Myriam Encaoua me dit le plus discrètement possible qu’elle était embêtée que je n’ai pas pu m’exprimer plus: était-elle cynique ou bien juste servile? Faisait-elle semblant de m’insulter parce qu’il lui fallait gagner sa croûte avec l’argent du contribuable, donc en partie le mien, en cognant sur commande? Ou bien me prenait-elle pour un crétin croyant qu’elle n’était pour rien dans cette scène soviétique? Dans tous les cas, cynique ou esclave, menteuse ou vénale, hypocrite ou vendue, je préférais être à ma place qu’à la sienne. Je ne sais comment ce genre de personne peut conserver une estime de soi, sauf à n’en avoir jamais eu et à ignorer même de quoi je parle ou à confondre l’estime de soi avec l’orgueil ou la vanité… Et je vois bien comment ce prototype de journaliste maastrichtienne pourrait obtenir de la promotion dans un régime autoritaire et totalitaire. En Corée, elle ferait merveille, en Chine aussi: pour l’heure, elle fait ses gammes sur le service public audiovisuel français.

L’Etat maastrichtien est orwellien à souhait: il raffine même au point de faire payer les salaires de ceux qui font profession quotidienne de mépriser le peuple par le peuple lui-même. J’ai la faiblesse de croire que tout ceci n’aura qu’un temps…  

EPILOGUE

Après ce grand moment de télévision soviétique, je suis allé dîner avant de me retrouver vers 23h50 sur le plateau de la nouvelle émission d’Eric Naulleau jusqu’à 1h30 du matin. En entrant dans le hall de gare que sont ces studios, il y avait un écran immense avec Cyril Hanouna, Raquel Garrido et quelques autres. J’interroge la production: est-ce à cette émission que j’ai dit oui? On me rassure: non, c’est sur le plateau suivant…

Lors de la transition entre les invités de Cyril Hanouna et ceux d’Eric Naulleau, je croise Cyril Hanouna dans la cohue qui mélange les entrants et les sortants. Je n’ai jamais fait référence à cet homme de télévision autrement qu’en négatif -comme symbole de la télévision aux ordres du marché, les fameuses nouilles dans le slip… Il me croise, me sourit, me serre la main, me dit deux ou trois mots qui résument justement nos relations, mais sans alacrité ni acrimonie, les faits, rien que les faits, puis il ajoute: « savez vous que c’est moi qui produit l’émission d’Eric? ». Je l’ignorais… Mais je trouve élégant et fairplay, de la part de cet homme que je n’ai pas épargné, qu’il me dise, en souriant, qu’il ne voyait rien à redire au fait qu’on puise entendre mes idées, fussent-elles opposées aux siennes, sur un plateau dont il était le producteur.

L’émission a eu lieu. Elle fut courtoise et bienveillante avec des chroniqueurs qui avaient lu les livres et ne se départissaient pas de courtoisie, même dans la critique.

Le lendemain, je recevais un texto de Cyril Hanouna qui me remerciait d’être venu sur le plateau d’Eric Naulleau… La télévision publique s’était montrée soviétique, la télévision privée, libérale, au sens qu’on donnait à ce mot au XVIII°: en faveur de l’augmentation des libertés -liberté d’expression, liberté d’opinion, liberté de pensée, liberté spirituelle, liberté politique, liberté de jugement, liberté d’appréciation. Toutes libertés que les maastrichtiens tuent à petits feux…

Michel Onfray

https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/les-medias-d-etat?mode=text

EN BANDE SON :

3 réponses »

  1. La France en elle-même est bien en train de plonger dans un système Orwellien, le pire c’est que les citoyens subissent et ne font rien pour tenter d’empêcher celà, comme si l’Oligarchie au pouvoir et sa « Noblesse d’État » leur suggéraient profondément « qu’il n’y a Pas d’autre alternative »…
    Celà ne peut malheureusement que s’amplifier… et il nous faut bien avoir conscience que lorsque des individus se comportent « comme des moutons », ils finissent forcément à abattoir. !!!

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