Art de la guerre monétaire et économique

Un dernier regard sur l’économie réelle avant qu’elle n’implose (Brandon Smith)/ La guerre des monnaies est déclarée et généralisée/ Le retour du roi-dollar (JP Béguelin) / Le fléau des taux très faibles (A Hofert)

Un dernier regard sur l’économie réelle avant qu’elle n’implose – Partie 1

Par Brandon Smith – Le 4 mars 2015 – Source www.altmarket.com


Nous sommes seulement au deuxième mois de 2015, et cette année a déjà prouvé qu’elle serait la plus volatile économiquement parlant depuis 2008-2009. Nous avons vu les marchés pétroliers s’effondrer d’environ 50% en l’espace de quelques mois (au moment où la Réserve fédérale a annoncé la fin du QE3, méthode destinée à utiliser la monnaie fiduciaire pour cacher la baisse de la demande de biens), le Baltic Dry Index perdre 30% depuis le début de l’année, la surprise de la monnaie suisse, les Grecs qui menacent de sortir de l’UE (et maintenant les citoyens grecs menaçant de manifestations violentes le nouvel accord sur les quatre prochains mois), et les effets de la grève dans les ports de la côte Ouest des États-Unis qui dure depuis neuf mois et n’est pas encore réglée. Ce n’est pas seulement une expression fugace d’un premier trimestre négatif, c’est un signe de ce qui arrive.

Les marchés boursiers sont, bien sûr, une fois de plus au plus haut de tous les temps après un départ chancelant, malgré le fait que presque chaque indicateur fondamental soit au rouge clignotant. Mais, ZeroHedge l’a récemment souligné dans son article sur le dopage artificiel par les sociétés utilisant massivement des fonds pour le rachat de leurs propres actions, cela ne va pas durer beaucoup plus longtemps, simplement parce que la dette que les entreprises génèrent dépassera leur capacité à soutenir les marchés.

Cette énigme est également visible dans les mesures de relance des banques centrales. Comme je l’ai expliqué dans des articles antérieurs, la capacité des banques centrales à conduire le système financier mondial est chancelante, au fur et à mesure que le renflouement et les injections de capitaux à faible taux d’intérêt sont sans effet sur la performance économique globale. Le carburant à base de monnaie fiduciaire ne suffit plus, et quand cela deviendra évident dans les médias dominants, le ciel va leur tomber sur la tête.

L’argument que les banques peuvent soutenir le système à jamais est maintenant discrédité. Dans cette série d’articles, je vais en découvrir les raisons fondamentales, en commençant par la base de toute économie: l’offre et la demande.

Le Baltic Dry Index (BDI) a été un indicateur constant de l’économie réelle depuis de nombreuses années. Alors que la plupart des autres indices et des mesures de santé financière sont soumis à des manipulations directes ou indirectes, le BDI n’est pas traversé par des flux financiers et, par conséquent, offre un reflet plus honnête du monde qui nous entoure. Ces deux derniers mois, l’indice mesurant les tarifs d’expédition et la demande internationale pour les produits bruts est descendu à un plus bas historique, avec une chute de 57% au cours des 12 derniers mois et de 30% depuis le début de l’année.

Le demande déclinante pour le trafic maritime présente des défis évidents aux éditorialistes traditionnels qui prétendent que la situation économique globale indique une progression. Car si la demande de produits bruts a diminué de 57% au cours de la dernière année, alors sûrement la demande pour les biens de consommation utilisant ces même produits bruts a dû s’effondrer de la même manière. La machine de communication des autorités a utilisé le même argument éculé contre cette conclusion, malgré sa fausseté démontrée encore et encore: le mensonge est que la taille de la flotte est la cause de la baisse des taux d’expédition, plutôt que d’un manque de demande pour les navires. C’est le même argument utilisé par les experts pour détourner l’attention des problèmes inhérents à la forte baisse des prix du pétrole: que l’offre excédentaire est la vraie question, et que la demande est aussi bonne qu’elle l’a toujours été. Le magazine Forbesa même tenté de rejeter purement et simplement le manque d’ancienneté (29 ans) du Baltic Dry Index et le travail des analystes économiques alternatifs dans le même article écrit par dessus la jambe.

Tout d’abord, nous allons aborder la question de la demande mondiale de biens. Est ce que le BDI la représente avec précision? Eh bien, comme la plupart d’entre vous le savent, une vue objective sur la valeur des biens fabriqués et exportés est presque impossible à établir en considérant que la plupart des indices, sinon tous, ne tiennent pas compte de la dévaluation monétaire et de l’inflation des coûts de production. Par exemple, les propagandistes traditionnels aiment faire valoir que la fabrication (comme la vente au détail), est généralement soumise à des gains de productivité, même modestes, chaque année. Ce qu’ils omettent de mentionner ou de prendre en compte, ce sont les coûts ajoutés à la longue chaîne de ces fabricants et détaillants, ainsi que les coûts supplémentaires pour le consommateur final. Ces coûts ne sont souvent pas traités du tout, alors que les chiffres définitifs sont comptabilisés pour le public.

Dans le secteur manufacturier, certains chiffres sont carrément falsifiés, comme dans le cas de la Chine, où les autorités obligent les directeurs d’usine à mentir au sujet des sorties d’usine.

À mon avis, toute baisse rendue visible dans les faux chiffres exposés au grand public devrait être amplement réévaluée afin de se rapprocher de ce qui se passe dans l’économie réelle. La Chine, le plus grand exportateur et importateur du monde, continue de souffrir de baisses dans le secteur manufacturier en expansion, comme le suggèrent les commandes des PMIqui restent globalement stagnantes.

Les statistiques officielles montrent une baisse de 3,3% des exportations chinoises par rapport à janvier de l’année précédente, tandis que les importations ont chuté de 19,9%. Les exportations ont glissé de 12% sur une base mensuelle alors que les importations ont chuté de 21% selon l’administration des douanes.

Au Japon, malgré la chute du yen qui devrait stimuler la demande à l’étranger, la croissance des exportations a diminué pour l’année dernière, en termes de volume. Le sursaut récent en janvier ne fait rien pour compenser l’érosion régulière des exportations japonaises au cours des cinq dernières années et la demande stable des deux dernières années.

L’expansion de la fabrication du Japon a ralenti au rythme le plus lent depuis sept mois.

En Allemagne, le centre économique le plus fort de l’UE, la production industrielle est descendue à son niveau le plus bas depuis 2009, et les commandes d’usines ont également plongé à des niveaux jamais vus depuis 2009.

Malgré l’hypothèse des médias traditionnels que les prix du pétrole se traduiraient par des ventes au détail plus élevées, ce fantasme refuse de se matérialiser. Les ventes au détail continuent sur une tendance lugubre initiée par la saison de Noël 2014, avec la plus forte baisse en 11 mois en décembre, et cette baisse continue en janvier.

Le pétrole est certainement l’indicateur le plus visible de l’indéniable implosion de la demande. La volatilité a explosé alors que les prix à la pompe ont diminué de moitié dans de nombreux endroits. On peut être tenté de ne voir que les avantages immédiats à cette déflation. Mais ce serait oublier le tableau d’ensemble de la demande mondiale. Le pétrole est le principal moteur de la productivité économique. La diminution de la demande de pétrole signifie la diminution de la productivité qui entraîne la diminution de la consommation, et finalement dévoile une économie en déclin.

Les rapports de l’Opep annoncent une dégradation de la demande mondiale pour le pétrole au-delà des attentes. La demande de pétrole a chuté à des niveaux jamais vus depuis 2002.

Derrière la question de la demande mondiale réelle pour les produits bruts, l’argument que le BDI chute seulement en raison d’une offre excédentaire de navires porte-containers ne prend pas en compte le fait que les compagnies maritimes mettent souvent en réserve les navires en excédent lorsque la demande faiblit. Je trouve plutôt amusant que les économistes traditionnels semblent penser que les entreprises de transport de matières sèches continueraient d’aligner des cargos qu’ils n’utilisent pas, provoquant une baisse artificielle des taux de fret. Pour autant que je sache, ces entreprises n’ont pas pour habitude de porter atteinte à leurs propres bénéfices si elles peuvent l’éviter. Lorsqu’une offre excédentaire de navires se produit, les entreprises éliminent les bateaux non utilisés par la mise au rebut ou en cale sèche pour faire remonter le taux de fret à des niveaux rentables. Cela fonctionne souvent, à moins que ce ne soit la demande pour le transport de marchandises qui soit en question, pas le stock de navires.

Le démantèlement des navires a explosé en 2013 et n’a pas cessé depuis. En fait, COSCO, le transporteur de matière sèche a démantelé au moins 17 navires dans le seul mois de janvier et en démantèle constamment depuis au moins 2013. La tendance à la démolition est souvent passée sous silence par les expéditeurs ou présentée comme un effort de modernisation, mais le fait demeure que les entreprises de fret sont toujours sur une tendance à l’élimination des navires d’approvisionnement afin de maximiser les taux et les profits.

Enfin, le géant mondial du transport maritime Maersk Line admet maintenant ouvertement que le préjudice principal aux tarifs d’expédition, la raison pour laquelle le BDI est en baisse à des plus bas historiques, est liée à la baisse de la demande sur presque tous les marchés, le nombre de navire est secondaire.

Est-ce que la demande faiblissante résulte d’un manque d’utilisation de la flotte et donc d’une offre de transport excédentaire? Bien sûr. Cependant, ce jeu de la poule et de l’œuf que les économistes aux ordres du Système jouent avec le BDI doit cesser. La baisse de la demande pour les biens est la cause, le nombre de navires inutilisés la conséquence. Voila la réalité.

Une personne plutôt cynique pourrait souligner que toutes les statistiques ci-dessus émanent du cœur de la propagande des médias dominants, alors pourquoi faudrait-il en tenir compte? Je demanderais à cette personne de considérer le fait que la propagande ne cessant de se contredire, on peut trouver, entre les lignes, une certaine part de vérité.

Si la production est en expansion, même mineure, alors pourquoi les exportations à travers le monde sont-elles en déclin? Si le Baltic Dry Index est en baisse en raison d’un surplus d’offre de navire, alors pourquoi d’autres indicateurs de la demande chutent-ils en même temps, et pourquoi les grandes agences maritimes évoquent-elles le manque de demande? Vous voyez, c’est ce que les analystes alternatifs indépendants entendent parl’économie réelle; nous parlons de la déconnexion du réel dans les données des médias dominants, et nous essayons de discerner quelle part de ces données présente vraiment une cohérence. Les médias préfèrent que vous regardiez l’économie à travers un trou de serrure plutôt qu’avec une paire de jumelles.

Ensuite il faut se demander: quels sont les véritables bénéficiaires de cesoublis envers le public? Les multinationales, les financiers et les despotes politiques. Les multinationales et les gouvernements ne font que deux choses relativement bien – mentir et voler. L’une permet toujours l’autre.

L’oligarchie dominante a fait tout ce qui était en son pouvoir pour cacher la plus fondamentale des réalités économiques, à savoir la réalité de la disparition de la demande. Pourquoi? Parce que plus ils peuvent masquer la réalité de cette demande, plus ils peuvent voler le peu de richesse resté indépendant au sein du système, tout en conditionnant la population pour la prochaine grande escroquerie (l’escroquerie de la mondialisation et de la centralisation totale). A la fin de cette série, j’analyserai les nombreux avantages d’un effondrement de l’économie pour les élites.

Pour l’instant, je vais seulement dire que le programme de manipulation que nous avons vu depuis 2008 est clairement en train de changer. Ce fait de la baisse catastrophique de la demande devient évident. Cette baisse précède toujours un événement fiscal plus large. Le BDI ne peut pas imploser sans un dysfonctionnement plus grand sous la surface du système financier. Le pétrole, les exportations et la production ne s’effritent pas sans que le poids d’un grand désastre ne nous retombe dessus. Ces choses ne se déroulent pas dans le vide. Elles sont le flash d’irradiation précédant les retombées mortelle d’une bombe atomique financière.

A lire: Le Baltic Dry Index a son plus bas depuis 29 ans

Traduit par Hervé, relu par jj pour le Saker Francophone.

http://lesakerfrancophone.net/un-dernier-regard-sur-leconomie-reelle-avant-quelle-nimplose-partie-1/

Un dernier regard sur l’économie réelle avant qu’elle n’implose – Partie 2

Par Brandon Smith – Le 11 mars 2015 – Source www.altmarket.com


Les dépenses de consommation aux États-Unis représentent environ 70% du produit intérieur brut, mais il est important de noter que la manière dont officiellement le PIB est calculé est très imprécise. Par exemple, tout l’argent du gouvernement utilisé dans le système de couverture Medicare qui paye pour les demandes de santé des consommateurs, ainsi que le programme d’aide sociale Obamacare, devenu un fléau, sont comptés dans le PIB, malgré le fait que ce capital est créé à partir de rien par la Réserve fédérale et génère également une dette pour le contribuable moyen. La création d’une dette par le gouvernement n’engendre pas d’amélioration de la production nationale. Si c’était une réalité, alors tous les pays socialistes et communistes (même chose) seraient largement enrichis aujourd’hui. Ce n’est tout simplement pas le cas.
Cela dit, le déclin rapide des emplois dans la production de biens aux États-Unis au cours des deux dernières décennies, y compris une baisse globale importante de 33% des emplois du secteur manufacturier de 2001 à 2010, ne laisse que les secteurs de la consommation et des services comme principaux pourvoyeurs d’emplois et de productions. Le secteur des services fournit environ trois quarts des emplois disponibles aux États-Unis, selon le Bureau of Labor Statistics (BLS).

La vérité est que l’Amérique produit en fait très peu de biens tangibles en dehors des Big Mac, des produits pharmaceutiques et occasionnellement d’un avion de combat trop cher qui ne fonctionne pas correctement et qui est rempli de pièces chinoises. Tous trois nous tueront chacun à leur rythme …

Dans la première partie de cette série d’article, j’ai exposé l’état réel de la demande mondiale, ainsi que la situation instable de nombreux indicateurs des exportations au détail. La demande mondiale en chute rapide pour les matières premières ainsi que pour les biens de consommation est une réalité indéniable. Le problème est distinct, si on se focalise sur les États-Unis, qui ont été, jusqu’à récemment, le pilote de la consommation primaire d’une grande partie du monde. Comme j’ai l’intention de le montrer, la demande américaine est sur le point de descendre encore plus loin dans l’abîme alors que le chômage réel et les dettes personnelles prennent de l’ampleur.

Maintenant, il est probablement important d’aborder les mensonges présentés dans le grand public et par le BLS en termes de statistiques du chômage parce que même après des années de démystification des statistiques officielles par des analystes alternatifs, sur leur mode de calcul notamment, on continue à entendre toujours les mêmes arguments répétés comme des perroquets par des agents de désinformation et des idiots utiles à leur insu.

Ces gens continuent de parader en vantant les derniers rapports du BLS sur la création d’emplois en faisant valoir que tout va bien parce que le taux de chômage a chuté à 5,5% alors que les autres parlent de sinistrose. Donc, une fois de plus, je dois rapporter le fait que les chiffres actuels sont une imposture totale du BLS.

Les statistiques officielles du chômage sont données au travers de méthodes de calcul fallacieuses qui ont été introduites dans les années 1990, juste avant l’éclatement de la bulle Internet; l’introduction de taux d’intérêt artificiellement bas, ce qui a créé la crise des produits dérivés; et le déraillement des équilibres du système financier américain, qui ont eu lieu depuis.

Alors, qui est considéré comme employé et qui ne l’est pas du point de vue du BLS?

Sur les 102 millions d’Américains en âge de travailler et sans travail aujourd’hui, seulement 8,7 millions sont comptés par le BLS comme chômeurs. Sur l’ensemble des Américains en âge de travailler, plus de 92 millions sont sans emploi et ne sont pas comptés par le BLS comme chômeurs. Pourquoi?

Eh bien, si vous avez jamais lu les sites de propagande officielle commeFactCheck ou Poltifact, l’argument essentiel est que ces 92 millions d’Américains ne sont pas comptés parce qu’ils refusent de participer, non pas parce qu’ils ne peuvent pas trouver un emploi convenable et non pas parce que le gouvernement déforme les chiffres. Oui, c’est vrai, 92 millions d’Américains ne comptent pas parce que, clairement, ils ne veulent pas travailler.

Donc, premièrement, je voudrais demander comment il se fait que le BLS en vient à la conclusion que près d’un tiers de la population américaine ne veut pas travailler? Est-ce par ses prétendues enquêtes auprès des ménages? Les enquêtes, tout comme les sondages d’opinion publique, peuvent être facilement manipulés pour mettre en avant le biais voulu, notamment en changeant simplement la façon dont les questions sont formulées. Je serais vraiment ravi de voir les données brutes de ces sondages avant que le BLS n’y ajoute sa propre sauce.

Deuxièmement, même si ces allégations étaient vraies, que des dizaines de millions d’Américains ne veulent pas travailler, pourquoi cette question? Ne devraient-ils pas encore être comptés comme chômeurs afin de montrer une image la plus précise possible de notre situation économique? Ces 92 millions d’Américains apparemment en grève de longue durée de travail et de productivité ont sans doute un effet très négatif sur le PIB réel. Et, évidemment, ils doivent survivre d’une façon ou d’une autre. Est-ce que ces 92 millions de personnes n’ont pas besoin d’aide gouvernementale au travers des bons alimentaires et du système de santé? Est-ce que ces questions ne devraient pas concerner le BLS en terme d’image économique globale?

Troisièmement, si l’affirmation est que 92 millions de gens ne veulent pas d’emplois, alors par extension le BLS devrait démontrer que ces millions de personnes pourraient en effet obtenir un emploi si elles avaient tout simplement essayé d’en obtenir un. Où sont ces dizaines de millions d’emplois que les Américains refusent de demander et qui pourraient leur offrir une paye?

Quatrièmement, une déclaration fausse associée à la demande de refus de participer est que beaucoup de ces Américains sont des adolescents à l’école (16 à 18 ans) et de possibles retraités (55 ans ou plus). Le BLS et les grands médias supposent tout simplement que ces gens ne veulent pas d’emploi et ne doivent pas être comptés comme chômeurs. Bien sûr, le BLS inclut ces personnes dans ses statistiques quand elles ont un emploi. Ainsi, selon le BLS, si vous avez 16 ans, ou 55 ou 65, et que vous avez un emploi, alors vous comptez. Sinon vous ne comptez pas. Voici comment ça fonctionne!

Cinquièmement, des millions d’Américains perdent des prestations de chômage de longue durée chaque trimestre et sont retirés des statistiques du BLS. Beaucoup d’entre eux ne sont pas des adolescents ou des retraités. Ce sont des adultes en âge de travailler qui désormais n’ont plus de rampe de lancement réelle pour progresser dans leur carrière ou leur vie, et qui devraient être pleinement motivés pour obtenir un travail si les emplois étaient si facilement accessibles. Encore une fois, où sont ces emplois qui font dire que des gens dans la force de l’âge refusent de travailler?

Le BLS écarte aussi invariablement les Américains en âge de travailler qui entrent sur le marché du travail alors qu’il se vante d’emplois créés dans le public. La croissance du nombre des emplois ne contrebalance pas le nombre de nouveaux arrivants chaque mois avec le nombre d’emplois supposés mis à leur disposition, créant ainsi un malentendu à propos de la façon dont beaucoup de nouveaux emplois sont effectivement nécessaires pour maintenir l’économie fonctionnelle.

Un autre facteur important à observer dans les statistiques du travail du gouvernement est la question du travail à temps partiel. Lorsque le BLS publie ses statistiques mensuelles sur le chômage, il oublie largement de promouvoir ou commenter le fait que 18% à 20% de ceux portant la mention salarié sont considérés comme employés à temps partiel. Le BLS définit comme telle toute personne qui travaille de 1 à 34 heures par semaine. Oui, si vous travaillez une heure par semaine, vous avez contribué à faire baisser le taux de chômage global des États-Unis à un fantastique 5,5%, même si vous avez probablement une capacité nulle à vous soutenir financièrement, et encore moins à soutenir une famille.

Qu’est-ce que le chiffre de chômage de 5,5% représente effectivement à un niveau fondamental, où le monde réel importe, plutôt que le monde des calculs hypothétiques? Pas grand chose. Le chiffre est absolument et sans équivoque vide de sens.

Si l’on devait calculer le chômage en utilisant les méthodes d’avant 1990, comme le font des sites Web comme Shadowstats.com, compter les mesures U-6 (équivalent des catégories A, B, … en France, NdT) ainsi que le sous-emploi, vous arrivez à un taux de chômage aux États-Unis proche de 23%.

Beaucoup de ces travailleurs dans le secteur des services à l’extrémité supérieure du spectre des temps partiel / temps plein ne peuvent toujours pas être financièrement autonomes en raison de la baisse des salaires, de la hausse des prix et de la croissance de la dette, ce qui m’amène à l’autre problème imminent.

Au-delà du chômage comme destructeur de la demande des consommateurs, il y a aussi la dette personnelle. Une grande partie de l’accent mis par les économistes officiels et alternatifs tourne autour de la dette nationale (je vais couvrir les nombreux mensonges entourant la dette nationale dans mon prochain article). Toutefois, les effets sur la demande des produits de base sont beaucoup plus clairs quand on examine les passifs des ménages. Selon les moyennes fournies par les statistiques du gouvernement (ce qui signifie que les chiffres réels sont probablement bien pires), le ménage américain moyen possède une dette entre 10.000 et 15.000 $ sur sa carte de crédit, 155.000 $ de dette hypothécaire et 32.000 $ de dette de prêt étudiant.

Les Américains devaient près de 12.000 milliards globalement en 2014, soit une augmentation de 3,3% depuis 2013. Les baisses de certaines dettes, y compris la baisse des dettes des cartes de crédit depuis 2011, sont attribuées à de nombreux défauts, non à des remboursements.

Ce que nous avons ici est une combinaison fiscale mortelle; à savoir la combinaison d’un chômage réel à des niveaux durablement élevés et de dettes personnelles réelles à des niveaux insoutenables. C’est la raison principale qui se cache derrière l’effondrement de la demande mondiale qui a été discutée dans le premier épisode de cette série. Avec des consommateurs US qui ne sont plus capables de soutenir leurs habitudes de consommation historiques et avec le squelette inflexible de l’économie américaine dépendant, en particulier, de la dynamique de consommation comme les années précédentes, le système a peu de solutions de rechange.

Ce n’est pas nécessairement une nouvelle tendance; mais il y a dix ans, les Américains étaient en mesure de compenser leur pouvoir d’achat en baisse en comptant sur un endettement massif au travers des facilités de crédit de la Réserve fédérale, qui alimentaient des prêts bancaires douteux. Ils n’ont plus cette option; ainsi, la consommation va se dégrader (et elle se dégrade), au point que la structure financière actuelle, coincée dans sa rigide et fragile dynamique, va s’effondrer. Il n’y a pas moyen de passer au travers.

Comme indiqué dans mon dernier article, les chiffres donnés ici sont dans la plupart des cas, des statistiques produites par le système. Un argument fréquent chez les apologistes de l’État et les propagandistes est que nous, dans le domaine économique alternatif, devrions être étiqueté commehypocrites si nous démystifions quelques statistiques officielles tout en en utilisant d’autres comme points de référence. Je voudrais dire clairement encore une fois que ce sont des contradictions au sein des propres chiffres du gouvernement et j’affirme que les analystes alternatifs sont juste plus concernés par la situation réelle. Mon point de vue est que lorsque les chiffres traditionnels reflètent effectivement les tendances économiques négatives, ils devraient être multipliés par un facteur conséquent. C’est-à-dire, que lorsque les bureaucrates du gouvernement et les maîtres desnarratives admettent enfin que les choses vont mal, elles sont en fait bien pires que celle indiquées au début de l’histoire.

Quelques statistiques ordinaires sont carrément frauduleuses; certaines sont à moitié vraies; d’autres sont plutôt cachées dans les méandres des sites grand public. Entre les lignes de l’ensemble de ces informations, bonnes et mauvaises, les économistes alternatifs tentent de discerner autant de vérités fondamentales que possible. Comme cette série continue, je crois que les nouveaux lecteurs du Mouvement Liberté, ainsi que des militants de longue date, auront une image plus large et plus complète de notre situation financière et en viendront à la même conclusion que moi: que la manière dont nous vivons aujourd’hui est sur le point de changer radicalement, et que ce changement nous est caché volontairement par ceux qui souhaitent utiliser une tactique financière de choc et d’effroi pour leur procurer un avantage décisif.

Traduit par Hervé, relu par Diane et jj pour le Saker Francophone.

http://lesakerfrancophone.net/un-dernier-regard-sur-leconomie-reelle-avant-quelle-nimplose-partie-2/

 La guerre des monnaies est déclarée et généralisée

PAR IGNACE JEANNERAT/ Le Temps 19/3/15

Depuis quelques mois, la guerre des monnaies – au sens de gagner de la compétitivité en faisant baisser sa monnaie – est devenue plus intense que jamais

Parler de guerre des monnaies en 2014 faisait un peu hausser les épaules des économistes. Cette rhétorique martiale apparue il y a cinq ans – l’expression est née dans la bouche du ministre brésilien des Finances Guido Mantega – laissait beaucoup d’observateurs sceptiques.

Dans un entretien au Temps en septembre de l’année dernière, le professeur français Christian de Boissieu se voulait didactique et mettait en avant deux éléments. «On vit clairement, expliquait-il, dans un désordre monétaire, un non-système international. On vit dans un contexte où la coordination des politiques macro est faible et inefficace.» Et sur la question précise de la guerre des monnaies, le professeur Christian de Boissieu soulignait deux éléments: «Il y a une guerre pour le pouvoir et l’influence, où le dollar, même s’il est contesté, reste toujours le maître.» Et il y a une autre forme de guerre monétaire, expliquait-il, celle où les pays les plus avancés (Etats-Unis, Europe, Japon) qui affichent une inflation trop basse, voire des risques déflationnistes, tentent d’améliorer la situation. En sachant que s’ils laissent filer leur monnaie vers le bas, ils gagnent de la compétitivité.

Pour eux, apporter un peu d’inflation, dont les pays avancés ont besoin, et jouer le jeu de la sous-évaluation de sa devise est à leur avantage.

Dans le genre, l’entrée de l’euro dans cette compétition mondiale a été spectaculaire. La zone euro et Mario Draghi ont réussi un très gros coup en 2014 en ramenant le cours de la monnaie unique face au dollar de 1,39 au printemps 2014 à 1,05 aujourd’hui. Soit une chute de 24% en un an! Faire baisser sa devise aujourd’hui, c’est donc doper sa compétitivité et importer un peu d’inflation demain.

Face à la morosité de la croissance, le taux de change est l’un des leviers à disposition pour soutenir la conjoncture d’un pays. Avec par exemple au sein de la zone euro deux gros gagnants: l’industrie et les secteurs exportateurs. L’affrontement est si tendu qu’en l’état, les Etats-Unis ne peuvent plus remonter les taux tant que l’Europe poursuivra l’impression de billets et injectera des milliards dans l’économie.

Depuis quelques mois, la guerre des monnaies – au sens de gagner de la compétitivité en faisant baisser la valeur de sa monnaie – a redoublé d’intensité. Avec quelques victimes de marque. En Europe, beaucoup voient dans la décision de la Banque nationale suisse (BNS) d’abandonner avec pertes et fracas le taux plancher une première victime majeure. A mi-janvier, Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank, disait: «La banque centrale suisse était la première à s’être lancée dans la guerre des monnaies, elle est la première à capituler.» Quelle sera la riposte de la BNS après ce revers? Réponse peut-être ce jeudi lors de son examen de la situation monétaire.

Vu des Etats-Unis, le Washington Post a écrit la semaine dernière que, «dans la guerre des monnaies en cours, ce sont les Etats-Unis qui perdent.»

Ewald Nowotny, membre autrichien du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, lui, a beau rejeter l’idée de guerre des monnaies et dire «la BCE, en tant que banque centrale, n’a pas de politique de taux de change», personne ne croit à ce message angélique.

Tout le monde ou presque est entré dans la bataille. Nombre de banques centrales ont assoupli leur politique monétaire pour doper leur compétitivité. Par exemple le Danemark, qui a arrimé la couronne danoise au mark allemand puis à l’euro, est intervenu massivement pour que sa monnaie ne progresse pas trop par rapport à l’euro. Idem en Norvège. Dernière en date à entrer dans la guerre mondiale des monnaies, la banque centrale de Corée du Sud, qui a décidé jeudi dernier de baisser ses taux à leur plus bas historique (–0,25 point à 1,75), dans le but de combattre les risques de déflation et de contrer le ralentissement économique. La Corée du Sud comme la Thaïlande ou Taïwan, pays asiatiques exportateurs, souffrent de la baisse du yen – une action décidée par Tokyo pour recréer de la compétitivité – qui profite aux concurrents japonais.

Brésil, Afrique du Sud, Mexique, Indonésie, Turquie: tous ces pays émergents ont vu leur devise chuter brutalement face au dollar. Avec une accélération ces dernières semaines. Même si ces pays émergents présentent un caractère disparate entre eux, tous souffrent d’une reprise économique mondiale plus faible que prévu et du ralentissement de l’économie chinoise. Tous ces gros producteurs de matières premières encaissent la fin du «super-cycle» haussier sur les prix des «commodities». Résultat: beaucoup de ces pays qui ont de forts déficits de comptes courants et qui empruntent beaucoup en dollars éprouvent de grandes difficultés. D’où la décision de plusieurs banques centrales, dont celle du Brésil de relever ses taux pour freiner la chute du real.

Apparemment, un pays aujourd’hui semble ne pas jouer la guerre des monnaies: la Chine. Si, par le passé, Pékin était accusé d’affaiblir sa monnaie pour exporter au meilleur coût, aujourd’hui le pays est plus discret dans cet affrontement. Le taux de change du yuan augmente un peu par rapport à l’euro, mais baisse mécaniquement par rapport au dollar – une première. Pour continuer sur cette lancée et faire baisser sa monnaie sans être critiquée par les Etats-Unis, la Chine accroît ses emplettes en zone euro. Un jeu tout en finesse car il y a également à Pékin la volonté de présenter une monnaie plus stable et plus sûre, d’en faire une vraie monnaie de réserve internationale et d’imposer la place financière chinoise et son marché des capitaux sur la scène mondiale.

Mais gageons que face à l’activisme de ses concurrents, la Chine ne restera pas passive. Car la guerre des monnaies est le nerf de la guerre commerciale.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1badb4c8-cd97-11e4-ab43-77e6948b78b0/La_guerre_des_monnaies_est_d%C3%A9clar%C3%A9e_et_g%C3%A9n%C3%A9ralis%C3%A9e

Le retour du roi-dollar

PAR JEAN-PIERRE BÉGUELIN/ Le Temps 20/3/2015

 
Le dollar, que certains donnaient mourant, est en train de se reprendre sous nos yeux, une appréciation sans doute durable

Le dollar, donné mourant, du moins par certains, il y a quatre ans, est en train de reprendre des couleurs, surtout face à l’euro. Certes, son retour semble avant tout de nature conjoncturelle. Il monte car la conjoncture domestique s’améliore nettement plus et plus vite aux Etats-Unis qu’au Nord de l’Europe alors que les pays émergents pâtissent du ralentissement industriel chinois et des restrictions monétaires qu’ils ont eux-mêmes mises en place, il y a plusieurs mois, pour lutter contre une inflation alors menaçante. Plus précisément, tout le monde s’attend à voir la Réserve fédérale hausser bientôt son taux directeur au moment où la politique monétaire se fait plus accommodante partout ailleurs dans le monde et, en particulier, en Europe, un parfait environnement pour une remontée de la devise américaine.

Il faut toutefois se souvenir que cette respiration conjoncturelle du dollar est parfaitement naturelle en raison de la domination que l’économie américaine continue d’exercer sur le cycle économique mondial. Quand outre-Atlantique la récession frappe et le chômage augmente, la banque centrale relâche assez rapidement sa politique en abaissant ses taux directeurs. En règle générale, les autorités monétaires des autres pays, surtout dans les plus grands d’entre eux, ne réagissent pas aussi vite que la Réserve fédérale car leur économie ne ralentit que plusieurs mois après l’américaine. C’est donc tout naturellement que, durant cette période où les politiques monétaires divergent, le dollar chute nettement et même, selon les circonstances, assez violemment. Ainsi, face à aux monnaies européennes, il a perdu quelque 15% dans la récession qui a suivi le premier choc pétrolier, 25% environ lors de la crise du début des années 1990 et autant durant la Grande Récession, sa dépréciation ayant même atteint les 35% après le crash des valeurs technologiques en 2001.

Seule exception à cette règle, la crise des années 1981-83, celle du début de l’ère Reagan, durant laquelle le billet vert s’est apprécié quasi continuellement C’est qu’alors, pour casser des anticipations inflationnistes de plus en plus persistantes et briser dans l’œuf un troisième choc pétrolier toujours possible, la Réserve fédérale, sous l’égide de Paul Volcker, n’avait pas hésité à faire monter ses taux directeurs à plus de 15%, soit un niveau jamais vu et évidemment nettement supérieur au rendement des autres devises, d’où afflux les capitaux étrangers aux États-Unis et montée exceptionnelle de 20% du dollar entre le début et la fin officielle de la récession que cette politique monétaire très restrictive avait évidemment déclenchée.

Dès que la situation se retourne cependant, dès que l’économie américaine repart au grand jour, – du moins dès que la très grande majorité des placeurs internationaux en sont persuadés – le dollar se reprend. Le rebond est surtout rapide au début de la reprise domestique quand, le plus souvent, la mauvaise conjoncture continue de sévir à l’étranger empêchant par-là les marchés d’anticiper des hausses prochaines des taux d’intérêt non-américains. Mais la vitesse et la vigueur de l’appréciation du dollar est loin d’être régulière. Ainsi, pour retrouver son niveau d’avant-crise, il a lui fallut deux ans après la fin de la récession entre 1975 et 1977, sept ans entre 1991 et 1997 et presque six ans depuis la mi-2009, la morosité de la reprise domestique expliquant sans doute la très lente réappréciation du billet vert durant ces deux dernières phases.

Une fois ce rattrapage réalisé, l’évolution des changes cesse d’être aussi uniforme, les facteurs cycliques perdant de leur influence face aux autres. À la fin des années 1970, c’est la forte inflation américaine qui affaiblît le dollar; entre 1983 et 1985, ce sont les taux d’intérêt extraordinairement élevés et le début d’un boom boursier de 20 ans qui renforcèrent tant la devise américaine – celle-ci a sans doute alors affichés sa plus forte surévaluation en termes réels depuis 1971 – que les principaux pays, y compris les États-Unis, se sont alors mis d’accord pour la faire baisser en intervenant massivement; au tournant du millénaire, ce sont la forte croissance américaine et, surtout, la bulle techno qui renvoyèrent le dollar dans une zone de surévaluation manifeste. En résumé, le billet vert tend à se déprécier si l’inflation paraît plus forte aux États-Unis qu’en Europe et au Japon, à s’apprécier si la croissance américaine est plus soutenue qu’ailleurs dans le monde développé et à prendre l’ascenseur lorsque les rendements effectifs et, surtout, attendus des titres financiers américains dépassent nettement ceux des autres marchés.

Le dollar devrait ainsi continuera sur sa lancée ces prochaines années. Le danger d’inflation demeure lointain, non seulement aux Etats-Unis mais presque partout dans le monde, vu les capacités encore inemployées et les corsets réglementaires de plus en plus serrés imposés aux banques. La conjoncture européenne, si elle se reprend vraiment, ne sera sans doute pas assez riante pour affaiblir durablement la monnaie américaine, le rebond probable des dépenses domestiques, entraîné par le QE qui vient d’être mis en place, n’étant vraisemblablement pas assez puissant pour contrer les effets négatifs des restrictions budgétaires prévues et la morosité programmée des crédits bancaires aux petites et moyennes entreprises. Il se pourrait même, si la croissance est suffisamment forte outre-Atlantique et les bourses suffisamment euphoriques, que le billet vert retrouve durant ce prochain lustre un lustre étincelant et nettement surévalué.

Cette appréciation du dollar ne sera toutefois pas continue et des accidents se produiront peut-être, comme ce fût le cas en 1995 quand, après trois ans de taux directeur à 3%, très bas pour l’époque, la Réserve fédérale avait brutalement resserré sa politique amenant une forte montée des taux, y compris pour les emprunts longs du Trésor. Craignant alors un net ralentissement de la conjoncture et des pertes grandissantes sur leurs obligations, les placeurs avaient fui les Etats-Unis et le dollar brusquement chuté pour une année. En ira-t-il de même cet été quand la banque centrale américaine se décidera à monter le fed fund? Probablement pas car, à l’inverse d’il y a 20 ans, ce mouvement est universellement attendu. Mais qui sait? Après tout, et comme le soja en Asie, les anticipations peuvent assaisonner toutes les sauces.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7ce34094-cee8-11e4-ab43-77e6948b78b0/Le_retour_du_roi-dollar

Le fléau des taux très faibles

La couverture du risque de brusque hausse des taux devient assez coûteuse lorsque les taux sont carrément négatifs.

ANDREAS HÖFERT  Chef économiste UBS Wealth Management/ AGEFI SUISSE 17/3/15

Dans la zone euro, au Danemark et en Suisse, les taux d’intérêt négatifs sont devenus le nouvel outil des banquiers centraux, avec à la clé quelques bizarreries. A un moment donné cette année, la courbe des rendements en Suisse a basculé en territoire négatif pour les échéances comprises entre 0 et 16 ans.

L’Allemagne a émis un emprunt à cinq ans assorti de coupons nuls, qui a été sursouscrit. Cela signifie que certains investisseurs sont prêts à payer l’Etat allemand pour qu’il conserve leur argent sans intérêt pendant les cinq prochaines années. Le marché a testé de nouveaux extrêmes la semaine dernière avec le début de l’assouplissement quantitatif en zone euro. Ainsi, les emprunts d’Etat portugais à dix ans (le prochain pays à se retrouver sur la sellette si jamais la situation s’envenimait en Grèce) rapportent en intérêts un demi-point de pourcentage de moins que les bons du Trésor américain à dix ans.

Le rendement des emprunts d’Etat italiens à dix ans est tombé à 1,19%, son plus bas depuis le XIIe siècle (plus bas que pendant l’épidémie de peste noire de 1348). Autrement dit, aussi loin que remontent les archives relatives aux taux d’intérêt en Italie.

Le sens commun veut que de faibles taux d’intérêt soient bons pour l’économie car les ménages consomment et les entreprises investissent davantage. Par conséquent, ils devraient stimuler la croissance.

Malheureusement, tout n’est pas si simple. En particulier, la relation entre consommation et taux d’intérêt est complexe. Certes, plus les taux d’intérêt sont bas, plus il est avantageux d’acheter aujourd’hui plutôt que demain. Cela signifie que les ménages consomment maintenant au lieu d’attendre et donc économisent moins aujourd’hui, substituant ainsi la consommation future par la consommation présente.

Toutefois, de faibles taux d’intérêt signifient également que les économies d’aujourd’hui produiront moins de revenus dans le futur. Les ménages qui souhaitent un revenu donné dans l’avenir devront ainsi économiser davantage aujourd’hui, et donc consommer moins.

Le premier effet est appelé «effet de substitution» et le deuxième «effet de revenu». Tandis que le premier incite à moins épargner, c’est tout le contraire pour le second. De nombreuses études empiriques ont cherché à évaluer lequel de ces effets l’emporte sur l’autre. Malheureusement, elles ne sont guère concluantes. Exit donc l’argument du coup de pouce à la consommation.

L’argument de l’investissement est davantage concluant. Lorsque les taux d’intérêt sont bas, le coût du capital et le coût de l’endettement sont faibles. Par conséquent, on devrait voir les entreprises emprunter pour investir davantage… à moins qu’elles ne parviennent pas à obtenir un prêt à ces taux d’intérêt avantageux en raison de l’atonie du crédit comme c’est le cas en Italie.

Mais prenons le cas de la Suisse. Ici, point d’atonie du crédit: les entreprises peuvent profiter des faibles taux d’intérêt pour investir. Cette démarche est d’autant plus logique que, confrontées à une monnaie très forte, les entreprises doivent réduire leurs coûts unitaires de main-d’œuvre pour maintenir leur avantage compétitif.

Du coup, elles auront tendance à substituer une main-d’œuvre onéreuse par du capital bon marché. Les taux d’intérêt faibles, voire négatifs, aident donc en cela les exportateurs suisses. Néanmoins, «substitution de la main-d’œuvre» signifie concrètement licenciement, c’est-à-dire une hausse du chômage. Encore un effet récessif.

Des économistes d’UBS Suisse ont récemment publié une étude empirique démontrant que les taux d’intérêt très faibles ne suffisent pas à compenser le choc négatif occasionné par l’appréciation du franc suisse. Même dans le scénario le plus optimiste d’une accélération de la croissance mondiale, la croissance en Suisse restera atone dans les trimestres à venir.

De nombreux observateurs se focalisent uniquement sur l’impact à court terme des taux d’intérêt faibles, voire négatifs. Toutefois, les effets à long terme sont encore plus inquiétants. L’étude susmentionnée montre que plus les taux d’intérêt sont faibles, plus les contraintes seront importantes pour le système de retraite suisse.

Si l’on prend comme hypothèse un taux d’intérêt réel de seulement 1,5% dans les années à venir – ce qui n’est pas farfelu, compte tenu des taux nominaux négatifs à l’heure actuelle – cela signifierait que le déficit à long terme du premier pilier passerait de 173 à 240% du PIB. Les faibles taux pourraient également impliquer qu’en 2024, les fonds de réserve de l’Office fédéral des assurances sociales seraient épuisés.

Enfin, l’étude montre que plus les taux d’intérêt baissent, plus les intermédiaires financiers (notamment les banques) sont mis à rude épreuve. En effet, ils empruntent à court terme et prêtent à long terme et, de ce fait, une bonne partie de leur chiffre d’affaires découle de ce différentiel de taux d’intérêt.

En outre, lorsque les taux d’intérêt sont négatifs, la couverture du risque de brusque hausse des taux d’intérêt devient assez coûteuse. Cela pourrait inciter les banques à moins se couvrir qu’en temps normal, exposant ainsi l’ensemble du secteur à un risque systémique.

Tout bien considéré, l’environnement de taux d’intérêt faibles, voire négatifs peut sembler une bénédiction au premier abord mais, plus on y réfléchit, et plus il s’avère être une malédiction.

http://www.agefi.com/quotidien-agefi/forum-blogs/detail/edition/2015-03-17/article/la-couverture-du-risque-de-brusque-hausse-des-taux-devient-assez-couteuse-lorsque-les-taux-sont-carrement-negatifs-394244.html

1 réponse »

  1. Karl Marx avait expliqué que le capitalisme était son pire ennemi ! le fait de détruire les classes moyennes pour favoriser une seule classe dominante et pour le reste une seule classe de « sans dents » sans perspective d’emploi durable pour cause de délocalisation dans une recherche éternelle du moindre cout en prix de revient alors que les politiques du monde occidentale depuis plusieurs décennies ce sont basées sur la consommation des ménages, ne serait ce pas ce paroxysme vouloir tout et son contraire qui nous reviendrait en pleine figure ?….

Laisser un commentaire