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Capitalisme d’Etat /Vivendi Universal: une saga judiciaire de huit années

Capitalisme d’Etat /Vivendi Universal: une saga judiciaire de huit années

  Le tribunal correctionnel de Paris juge à partir de mercredi des malversations présumées au sein du groupe de communication Vivendi Universal. Chronologie , autopsie et faits du versant noir du « capitalisme d’Etat à la française »

PLUS DE MESSIER EN SUIVANT :

Voici la chronologie de cette affaire :

2002

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2 juil – Jean-Marie Messier est contraint de quitter la présidence de Vivendi Universal (VU), après la perte de 13,6 milliards d’euros pour l’entreprise en 2001. Jean-René Fourtou lui succède comme PDG.

9 juil – La Commission des opérations de bourse (COB) annonce l’ouverture d’une enquête.

juil – Plusieurs plaintes sont déposées par des actionnaires de VU en France et aux Etats-Unis pour malversations présumées dans la gestion du groupe.

29 oct – Le parquet de Paris ouvre une information judiciaire contre X pour « publication de faux bilans pour les exercices clos au 31 décembre 2000 et au 31 décembre 2001 » et « diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur les perspectives de Vivendi Universal en 2001 et 2002 ».

2003

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11 juil – L’Association des petits porteurs actifs (Appac) porte plainte pour abus de biens sociaux concernant les indemnités de départ de M. Messier et d’Edgar Bronfman Jr, PDG de Warner Music.

12 sept – L’Autorité des marchés financiers (AMF, successeur de la COB) engage une procédure de sanctions à l’encontre de M. Messier, son ex-directeur financier Guillaume Hannezo et VU.

23 déc – Au terme d’une transaction aux Etats-Unis, l’ex-PDG renonce à ses indemnités.

2004

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mars/nov – Plusieurs mises en examen dans le cadre de l’enquête française, dont celle de Jean-Marie Messier, le 22 juin, pour « manipulation de cours, diffusion de fausses informations et abus de biens sociaux ».

7 déc – M. Messier et VU condamnés par l’AMF à 1 million d’euros chacun pour avoir mal informé les marchés et les actionnaires.

2005

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29 juin – La Cour d’appel de Paris réduit les amendes infligées par l’AMF, 500.000 euros pour M. Messier, 300.000 pour VU.

2008

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-janv– Clôture de l’instruction en France.

2009

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janv – Réquisitions de non-lieu général à l’encontre des sept mis en examen.

oct – Renvoi en correctionnelle de Jean-Marie Messier et six anciens hauts responsables pour des malversations présumées au sein du groupe.

oct – Ouverture à New York du procès fleuve opposant des actionnaires floués de Vivendi Universal à la société et son ancien PDG dans le cadre d’un procès en action collective (class-action). L’audience dure 4 mois.

2010

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janv – Le jury new-yorkais condamne Vivendi à verser des dommages et intérêts mais blanchit Jean-Marie Messier des accusations de tromperie sur la santé financière de l’entreprise

Huit ans après le gâchis Vivendi, ultime épisode judiciaire pour Messier

Près de huit ans après son départ forcé de la présidence de Vivendi Universal (VU), Jean-Marie Messier espère solder ses compter avec la justice lors du procès qui s’ouvre mercredi à Paris pour des malversations présumées au sein du groupe de médias et communication.

M. Messier, 53 ans, comparaîtra aux côtés de cinq anciens hauts responsables de VU et un cadre d’établissement financier. Parmi eux, soupçonné de délit d’initié, l’homme d’affaires canadien Edgar Bronfman Jr, héritier d’une des plus célèbres dynasties industrielles de son pays, le groupe Seagram, absorbé en 2000 par Vivendi.

A cette époque, tout réussit à Jean-Marie Messier qui multiplie cessions et acquisitions pour transformer la ronronnante Générale des Eaux en empire mondial de la communication.

Mais en juillet 2002, le mythe s’écroule: malgré une communication euphorique de son PDG, les marchés découvrent que VU est assommée par une dette de 35 milliards d’euros. Son cours chute brutalement. Jean-Marie Messier démissionne.

Le scandale de l’entreprise américaine Enron, acculée à la faillite en décembre 2001 après une fraude comptable massive, est dans toutes les têtes. En colère, les petits porteurs portent plainte tous azimuts, en France et aux Etats-Unis.

Au terme d’une instruction fleuve, on est aujourd’hui très loin d’un « Enron à la française », affirme sereinement l’avocat de Jean-Marie Messier, Me Pierre Haïk.

« Tout au long de l’enquête, les comptes de Vivendi ont été épluchés et pas un expert n’a pu pointer la moindre fraude », rappelle-t-il.

Au final, les chefs d’accusation de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, de manipulations de cours et d’abus de biens sociaux ont été retenus contre Jean-Marie Messier.

Mais là encore, l’ancienne star du CAC 40 revient de loin: les juges ont abandonné plus de la moitié des faits initialement reprochés au prévenu.

Reste notamment, s’agissant de la communication trompeuse, une présomption de mensonge sur le niveau d’endettement du groupe lors de la fusion avec Seagram.

L’abus de bien social présumé se rapporte au parachute doré de 20,5 millions d’euros que Jean-Marie Messier s’était fait octroyer sans accord du conseil d’administration, mais auquel il a fini par renoncer.

Concernant la manipulation de cours, M. Messier est soupçonné d’avoir fait racheter massivement les propres actions de VU dans la foulée des attentats du 11 septembre, en s’affranchissant de la réglementation en vigueur.

En juin 2005, la cour d’appel de Paris avait divisé par deux l’amende d’un million d’euros infligée quelques mois plus tôt à l’ancien PDG par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour sa communication triomphale infondée.

En janvier dernier, dans le volet américain de la procédure, Jean-Marie Messier a été blanchi de tout soupçon.

Dans la foulée de ces décisions, sa défense espère obtenir la relaxe devant la 11ème chambre du TGI de Paris où le procès est prévu jusqu’au 25 juin.

Fait rare, elle n’aura pas à batailler avec l’accusation: le parquet avait requis dans ce dossier un non-lieu général pour l’ensemble des faits et des prévenus.

Mais les petits actionnaires floués, à l’origine de la procédure, comptent faire entendre leur voix. Quelque 150 d’entre eux seront représentés par l’Appac (Association des petits porteurs actifs), partie civile au procès, affirme son président, Didier Cornardeau.

A ses yeux, l’affaire pose un enjeu éthique: « on peut admettre l’erreur stratégique d’un dirigeant, mais pas le mensonge ».

Il estime qu’il en va de l’avenir du système boursier. « Comment imaginer qu’un actionnaire puisse continuer à confier son argent aux entreprises s’il craint d’être trompé ? La seule solution: que justice soit rendue ».

Les actionnaires français de Vivendi divisés sur la procédure à mener

Les actionnaires français de Vivendi, floués par l’effondrement du titre au début des années 2000, restent divisés sur la procédure à mener: si certains se sont joints à une action collective aux Etats-Unis, d’autres ont fait confiance à la justice française.

L’Appac (Association des petits porteurs actifs) a été depuis huit ans le fer de lance de l’action judiciaire conduite dans l’Hexagone.

Elle a porté plainte contre X dès le 29 juillet 2002, conduisant le parquet de Paris à ouvrir une information judiciaire contre X pour « publication de faux bilans » et « diffusion d’informations fausses ou trompeuses ».

D’autres plaintes de l’association ont suivi, alimentant l’enquête judiciaire au fil des années.

« Il y a une justice en France, je ne vois pas ce que j’irais faire aux Etats-Unis. Des questions importantes sont posées dans cette affaire, il nous faut une jurisprudence française », explique son président Didier Cornardeau.

Il rappelle que l’association a déjà « obtenu gain de cause » et « des indemnisations » dans des dossiers de ce type (Marionnaud, etc.,).

Une procédure que l’Appac choisit systématiquement, car le risque est moindre pour les petits porteurs, contrairement aux procédures civiles en France ou class actions aux Etats-Unis où « il y a un risque énorme pour les petits actionnaires de payer des dommages et intérêts s’ils ratent leur coup », selon M. Cornardeau.

Autre raison de ne pas participer aux class actions, explique-t-il: « Nous sommes toujours actionnaires de Vivendi. Si Vivendi est condamné, c’est l’entreprise, donc nous-même qui devrons payer », argumente-t-il.

Dans une logique différente, une partie des actionnaires français se sont joints à la « class action » engagée aux Etats-Unis. Celle-ci a débouché sur un procès fleuve en octobre 2009 à New York qui s’est achevé le 29 janvier par une condamnation de Vivendi, tandis que Jean-Marie Messier a été blanchi.

Le groupe de médias et de communication a récemment estimé que cette condamnation pourrait lui coûter 800 millions d’euros mais il entend faire appel du jugement sitôt qu’il sera homologué.

Vivendi conteste notamment la participation des actionnaires français à la procédure américaine. Le groupe avait demandé à la justice française d’ordonner à ses actionnaires nationaux de se désister de leur action aux Etats-Unis. La cour d’appel de Paris l’a débouté en avril.

Devant la 11ème chambre du TGI de Paris, Vivendi ne sera pas sur le banc des prévenus mais parmi les parties civiles.

Jean-Marie Messier, l’homme qui se croyait « maître du monde »

Jean-Marie Messier, qui comparaît devant la justice française à partir du 2 juin pour des malversations présumées quand il était PDG de Vivendi, a connu une ascension fulgurante, se voyant même comme le « maître du monde », avant de subir une chute tout aussi spectaculaire.

Près de huit ans après son éviction de la présidence de Vivendi Universal (VU), M. Messier, 53 ans, doit répondre de « diffusion d’informations fausses ou trompeuses, de manipulation de cours et d’abus de biens sociaux ».

En novembre dernier, lors d’un procès en action collective engagée aux Etats-Unis par des actionnaires ruinés, M. Messier, finalement blanchi le 29 janvier, a reconnu avoir « commis des fautes », mais des « fraudes, jamais, jamais, jamais ».

Pour « J2M », devenu « J4M », puis « J6M » (« Jean-Marie Messier moi-même maître du monde) — un surnom inventé par les marionnettes des Guignols de l’Info et qu’il avait lui-même repris — le temps des grandeurs et de la folie médiatique est terminé. Il dirige aujourd’hui une discrète banque d’affaires et de conseil en stratégie, Messier & Associés.

Dans les années 1980-1990, tout semblait pourtant réussir à cet ancien élève de Polytechnique et de l’ENA.

Inspecteur des finances, il devient en 1986 le plus jeune directeur de cabinet de la Ve République, celui du secrétaire d’Etat aux Privatisations, Camille Cabana.

Il est ensuite nommé conseiller du ministre de l’Economie Edouard Balladur, chargé des privatisations, un poste qui le rend incontournable aux yeux du monde des affaires.

Au retour de la gauche au pouvoir, « J2M », né le 13 décembre 1956 à Grenoble, intègre la banque Lazard, où il devient, à 32 ans, le plus jeune associé-gérant.

En 1994, sa carrière prend un tournant décisif: il est nommé directeur général de la CGE (Compagnie générale des eaux), puis PDG deux ans plus tard.

A coup d’acquisitions aux montants parfois colossaux, comme la fusion en 2000 avec Seagram, qui lui permet d’acquérir les studios de cinéma Universal, M. Messier, qui rêve de conquérir l’Amérique, transforme le groupe, rebaptisé Vivendi Universal, en numéro deux mondial des médias.

L’oeil bleu vif dans un visage poupin toujours légèrement hâlé, M. Messier, est partout dans la presse: il multiplie les interviews, les couvertures de magazines, aime se montrer en présence de stars.

A New York, il réside dans un somptueux appartement sur Park Avenue, payé 17,5 millions de dollars par Vivendi.

Son train de vie, son goût pour les paillettes commencent à agacer et quand il proclame, en 2001, que « l’exception culturelle franco-française est morte », il suscite un tollé.

Alors que la crise de trésorerie couve, du fait des nombreux achats réalisés, il assure que son groupe va « mieux que bien ».

Mais en mars 2002, VU annonce une perte pour l’année 2001 de 13,6 milliards d’euros: en juillet 2002, « J6M » est finalement poussé à la démission.

Devant le scandale, il doit renoncer au « parachute doré » de plus de 20 millions d’euros qu’il avait négocié.

Il a depuis refait sa vie: il s’est séparé de son épouse Antoinette, qui lui avait donné cinq enfants, et vit désormais entre Paris et New York, aux côtés de Christel Delaval, l’ancienne compagne de l’ex-élu RPR Didier Schuller.

Si M. Messier, qui a déjà été condamné par l’Autorité des marchés financiers à une amende de 500.000 euros, a récemment indiqué que « dans (sa) tête » l’affaire Vivendi « c’est terminé », il n’en a néanmoins pas encore fini avec la justice.

source PARIS, 29 mai 2010 (AFP)

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