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L’émergence du « faux capitalisme » : La dérégulation a miné le rôle économique des places financières

L’émergence du « faux capitalisme » : La dérégulation a miné le rôle économique des places financières 

L’organisation des places financières a-t-elle contribué à la crise économique dans laquelle nous sommes entrés ?

 Pour les théoriciens de la finance de marché, il n’en est rien. Les Bourses sont des espaces neutres qui permettent la rencontre d’une offre et d’une demande de capitaux. Elles organisent l’émission ou l’échange de titres des entreprises cotées. Elles ne sont donc pour rien dans la défaillance du système. Celle-ci est due à des comportements excessifs, et non à l’organisation des places financières.

 Reste que celle-ci a considérablement évolué au fil de l’histoire, et que cette évolution contribue à expliquer la situation présente.

 

Depuis 1802 et jusqu’à la fin des années 1980, le marché des actions était le monopole des agents de change. Officiers ministériels, comme les notaires, ils étaient seuls habilités à assurer la négociation des titres cotés, dans une logique de service public. La Compagnie des agents de change gérait la Bourse de Paris et les huit Bourses de proximité, situées en province.

 A partir des années 1980, c’est le big bang. La cotation en continu est introduite et les transactions sont dématérialisées. Le statut public d’agent de change est supprimé au profit de nouvelles sociétés privées dénommées sociétés de Bourse.

 Ces entreprises commerciales conservent néanmoins le monopole des échanges.

 Mais la Compagnie des agents de change est dissoute en 1988. La gestion des Bourses est confiée à une société anonyme, la SBF, devenue Paribourse SA. Les Bourses régionales sont fermées en 1991. L’objectif est de tout centraliser à Paris pour doper le marché des actions.

 LA CONCENTRATION S’ACCÉLÈRE

 Au milieu des années 1990, l’Union européenne impose la libéralisation des marchés boursiers nationaux. 

La loi de 1996 ouvre toutes les négociations sur les actions à la concurrence, y compris par des opérateurs européens. Les sociétés d’investissement perdent définitivement leur monopole, et les banques entrent en force sur le marché. 

Les entreprises privées qui gèrent les Bourses européennes commencent à fusionner. En 2000, Amsterdam, Bruxelles et Paris créent Euronext, une holding de droit néerlandais. Elle détient 100% d’Euronext Paris, chargée de la Bourse française. En 2001, Euronext est elle-même introduite en Bourse et devient une société cotée. 

Durant les années 2000, le mouvement de concentration s’accélère. 

La Bourse de Lisbonne est absorbée par Euronext en 2002, ainsi qu’une partie du marché londonien, le Liffe. En 2007, Euronext fusionne avec le New York Stock Exchange et crée NYSE-Euronext. 

Le siège de cette société mondiale, qui anime, parmi d’autres désormais, la place de Paris, se trouve à New York. Son capital est majoritairement détenu par des hedge funds (fonds spéculatifs).

 En 2011, NYSE-Euronext lance une offre sur la Bourse allemande. La concentration mondiale continue donc.

 L’histoire des Bourses reflète celle du capitalisme depuis trente ans : privatisation, ouverture des marchés, européanisation, puis globalisation produisent une croissance considérable de la taille, et l’éloignement des enracinements locaux. Les Bourses sont devenues des sociétés mondiales, soumises au jeu de la concurrence pour trouver des émetteurs. Cotées, elles souscrivent aux règles du marché qu’elles sont censées animer.

 Leurs services doivent donc être profitables et ils s’orientent vers les opérations les plus rentables. Sans surprise, ils tendent à négliger les plus petites entreprises et le financement de proximité, au profit d’opérations permettant des flux de transactions importants.

Le résultat est éloquent. Il y avait environ 1 000 entreprises cotées en France en 1911. Il n’y en a que 860 en 2011.

 La dérégulation des Bourses n’a donc pas fait exploser le nombre d’entreprises ayant recours au financement par actions. En revanche, en concentrant les capitaux sur les très grandes entreprises, elle a participé activement aux mécanismes de mondialisation de la finance.

 Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon, directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises et président de la SFM/  LE MONDE ECONOMIE | 24.10.11 |

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