Behaviorisme et Finance Comportementale

Des pistes pour repenser la crise de la dette en Europe

Des pistes pour repenser la crise de la dette en Europe

Aux frontières de la philosophie, des économistes offrent un autre regard sur les événements actuels. L’Observatoire de la Finance les a réunis à Genève

Ces conversations sous les frondaisons automnales du bord du Léman ressemblent à une pause. Un exercice de réflexion face au tumulte des décisions prises depuis un mois, pour contrôler une crise de la dette menaçant de tout emporter.  Organisées à Genève pour la dixième année consécutive sous la bannière «éthique, finance et responsabilité», des rencontres aux frontières de l’économie et de la philosophie permettent de prendre du recul. Ouverte aux banquiers comme aux enseignants, la manifestation tente de donner un sens à la crise.

Rupture du lien de confiance

«Les Etats-Unis et l’Europe se sont intoxiqués de dettes: sur les dix dernières années il a fallu en moyenne 3,70 dollars d’emprunts – public ou privé – pour produire chaque dollar de richesse», souligne le professeur Paul Dembinski, animateur de l’Observatoire de la Finance, cercle de réflexion à l’origine de ces rencontres*.

MOINS DE CONFIANCE EN SUIVANT :

Mais pourquoi les crises sont-elles toujours liées à la dette? «Pour avoir une grande crise, il faut que le monde soit au préalable suffisamment en confiance pour ne plus simplement investir en fonds propres, mais prêter à tout va en se sentant en sécurité», répond l’auteur et ancien haut fonctionnaire français Pierre de Lauzun. Et selon ce responsable de la Fédération bancaire française – qui s’exprime sur ces sujets en son nom propre –, il n’y a pire rupture du lien de confiance que le fait de voir soudain le prêt à un Etat européen devenir risqué. Un anathème jeté à la face de quatre décennies de théorie financière.

Le concept n’a rien d’abstrait. Bien loin de se limiter aux spéculateurs, il fait trembler tous les recoins de la planète économique. Les caisses de retraite du fonds du Midwest ont ainsi – en conscience – arrêté de souscrire à des emprunts italiens. Il faut des affiches promettant 6,5% par an sur tous les murs du métro de Lisbonne pour attirer les souscripteurs particuliers.

Autre exemple de propos glané, , lors de Global Grain, un rassemblement de négociants céréaliers. «Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer en France ou en Grèce, tout ce que je sais c’est que cette crise va durer plus que prévu car la confiance a disparu», lance alors le responsable d’AgResource, bureau de recherche agricole de Chicago, apparemment à mille lieues du débat sur le surendettement public en Europe.

D’autres thèses s’entrechoquent, revenant aux sources du chaos actuel. Exemple avec Bernard Cherlonneix, économiste de banque enseignant à Sciences Po ainsi qu’à l’Université Paris VII. Selon lui, le surendettement des Etats est aussi la conséquence de la réglementation bancaire… décidée par les Etats eux-mêmes.

Les travers des réglementations bancaires

A ses yeux, après la fin de la convertibilité en or de la monnaie de référence – le dollar – en 1971, il a fallu donner un coup de pouce aux politiques «monétaristes» censées permettre aux banques centrales de contrôler la quantité de monnaie dans l’économie. Des édits sont placardés à la fin des années 1980: des ratios de solvabilité bancaire, dont la dernière mouture entrera en vigueur en 2013, sous le nom de normes de Bâle III. Plus que des garde-fous, Bernard Cherlonneix voit dans ces règles «une mécanique intermédiaire» destinée à réguler «la production de monnaie scripturale des banques»; en imposant que les crédits accordés ne dépassent pas un multiple donné de leurs fonds propres.

«On pouvait penser que le tour était joué», souffle ce responsable de l’Eurosystème, qui parle lui aussi en son seul nom. Pourtant, les «pondérations des risques» introduites dans ce mécanisme ont donné naissance à des «distorsions dans l’attribution de prêts favorables aux Etats». Il y a vingt ans, les régulateurs ont par exemple décidé qu’un prêt à un Etat de l’OCDE ne nécessiterait d’être compensé par aucun fonds propre, à l’inverse d’un prêt à une entreprise. «Plus d’un régulateur doit rougir d’avoir contribué à la fabrication d’un risque souverain plus tout à fait aussi proche de zéro aujourd’hui», note Bernard Cherlonneix. Ces règles, censées servir à la maîtrise globale du crédit, ont, au contraire, favorisé «l’abus de pouvoir monétaire régalien».

Faire fondre ces montagnes de dette publique s’avérera douloureux. «Il ne faut pas se faire d’illusions, cela se fera sur le dos de quelqu’un: entreprises, contribuables ou créanciers», souligne Pierre de Lauzun, ancien secrétaire général du Club de Paris.

Solutions douloureuses

Reste à choisir qui. Rembourser ses dettes, quitte à imposer une austérité écrasant la population et à s’aliéner l’électorat? L’alternative reste un ajustement par la déflation, à coups de baisse de salaires et des prix. «Historiquement une telle sortie de crise a toujours entraîné des conséquences terribles», écarte l’économiste.

Autre tentation, ne pas rembourser. Ou plutôt différer le paiement, ce qui revient in fine à raboter ce que l’on doit; de moitié, dans le cas de la Grèce. Un autre choix serait de «monétiser la dette» en exigeant l’impression de billets en pagaille pour la rembourser, ce que fait la Réserve fédérale américaine. Recourant à cette méthode avec parcimonie, la Banque centrale européenne s’est jusque-là refusé bec et ongles aux pressions grandissantes pour qu’elle ouvre les robinets, sans limites.

«Ces deux issues règlent le problème au détriment des créanciers… ce qui achève de rompre le lien de confiance», pointe Pierre de Lauzun. Politiquement, la solution semble idoine: qui s’émouvra de léser les banques? Ce choix conduit cependant tout autant à rembourser partiellement – ou en monnaie de singe – les épargnants italiens ou portugais. Un casse-tête qui explique la voie étroite sur laquelle tentent de s’accorder les responsables européens: panacher les solutions. Un choix complexe, sans éclat. Et qui pourrait être rapidement mis à terre par les électeurs.

* Au terme de ces rencontres, le Prix Robin Cosgrove récompensant les meilleurs travaux sur «l’Ethique en finance» a été remis. La première place est revenue à Jakub Kuriata, analyste polonais de BNP Paribas. Egalement récompensé Nicolas Meyer, le responsable de l’organisme de finance solidaire argentin Nuestras Huellas.

Infographie. L’Occident intoxiqué par ses emprunts

Par Pierre-Alexandre Sallier/le temps dec11

1 réponse »

  1. Les débat soulevés par Bernard Cherlonneix et Pierre de Lauzun sont à la fois particulièrement cruciaux, particulièrement sensibles et encore passablement méconnus du grand public.

    il est absolument évident que la structuration officielle des ratios prudentiels joue un rôle déterminant dans l’orientation des crédits avec les risques d’éviction que cela suppose (le fameux « crowding out »).. Ce constat aux allures de lapalissade constitue pourtant l’abc d’une compréhension du surendettement public…. En 2007, au niveau de l’Académie diplomatique européenne, nous avions souligné la portée potentiellement (dé)structurante de ces ratios.

    Le Comité de Bâle, selon une information de Bruno Colmant, aurait retenu une pondération nulle pour les dettes souveraines parce que, implicitement, il était considéré que ces dettes étaient in fine susceptibles de monétisation …

    Cette considération doit toutefois être mise en regard, par exemple, des statuts de la BCE qui, au pied de la lettre (que l’acuité de la crise a quelque peu bousculée), sont pratiquement aux antipodes de cette possibilité …

    Nous serions là en face d’une contradiction structurelle essentielle et de l’une des variables explicatives de la crise des dettes souveraines … Contradiction d’autant plus criarde en zone euro.

    Par ailleurs, d’un point de vue épistémologique, l’endettement public mériterait d’être appréhendé selon des méthodologies plus affinées que celles généralement retenues … il apparaîtrait alors que, en cas d’inquiétude des créanciers (souhaitant une réduction nette de l’endettement), le coût effectif du remboursement risque de s’avérer très vite prohibitif (tant les études du FMI que de l’OCDE l’attestent largement) … L’histoire montre que cet élément prohibitif a souvent été contourné par une dévaluation (non dépourvue elle aussi d’une part d’effet « boomerang ») … les dettes publiques sont trop souvent abordées sur base de leur simple coût de reconduction et non pas du coût effectif de leur remboursement …

    Comme nous l’apprend l’approche fractale, le chemin a priori peu scabreux peut se révéler soudainement proche d’un ravin .. L’anathème de Benoît Mandelbrot concernant la doxa des théories financières semble très proche des propos de Pierre de Lauzun ..

    Pour l’instant, beaucoup d’énergies parent au plus pressé (crise de liquidité) … Mais quid de la crise essentielle : la crise de solvabilité …

    Si une réduction nette de l’endettement public suppose des coûts aussi élevés que ceux mentionnés par le FMI et l’OCDE, il est plus qu’urgentissime de comprendre que la norme de base indispensable au retour à la solvabilité ne saurait être atteinte sans un puissant effort de créativité.

    Cette norme compare deux éléments : le coût marginal de refinancement et la « rentabilité » issue des projets marginaux ainsi financés .

    Si, comme l’indiquent le FMI et l’OCDE, au moment d’un remboursement effectif, la ressource publique coûte deux fois, voire trois fois la mise , quelle affectation peut répondre à la norme décrite ci-dessus ?

    Poser la question, n’est-ce pas y répondre ?

    Ceci dit, le puissant effort de créativité évoqué plus haut devrait encore pouvoir survenir … De préférence en structurant une « macro-résilience » financière, environnementale , énergétique et bien entendu socio-économique … Mais ceci est une longue histoire excédant le cadre de ce commentaire

    Thierry LENFANT

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