L'Etat dans tous ses états

La Turquie d’Erdogan n’aime pas les dessins de presse

La Turquie d’Erdogan n’aime pas les dessins de presse

Un manifestant a été interpellé en Turquie pour avoir exhibé en public une caricature de Chappatte

Interpellé par la police pour avoir brandi une caricature de notre dessinateur Patrick Chappatte. C’est ce qui est arrivé à un jeune manifestant le 19 décembre dernier devant le tribunal de Samsun, une ville turque des bords de la mer Noire. L’homme, un professeur de 29 ans, protestait contre des arrestations de journalistes survenues quelques jours plus tôt dans le pays, lorsqu’il a été abordé par un agent et menacé de poursuites judiciaires.

Le dessin, paru quelques jours plus tôt dans le International New York Times, représente le président turc Recep Tayyip Erdogan en train de découper un döner kebab. Le mot démocratie figure sur la grillade, pour indiquer ce que le chef de l’Etat est en train de débiter en tranches. La couleur rouge de la viande et les symboles qui l’accompagnent, un croissant et une étoile, précisent l’identité du pays concerné.

Passible de prison

La police ne l’a pas pris ainsi cependant. Officiellement, elle soupçonne le dessin de constituer une insulte au drapeau turc. Un délit qui, selon le New York Times de dimanche, pourrait valoir à l’enseignant jusqu’à 3 ans de prison.

La Turquie a une riche tradition de dessins de presse. Mais les temps sont devenus durs. Un caricaturiste célèbre, Mehmet Düzenli, a été condamné le printemps dernier à 3 mois de prison pour «insulte» après avoir égratigné un prédicateur controversé, figure du mouvement créationniste, Adnan Oktar. Un peu plus tôt, un de ses collègues, Musa Kart, a été traîné devant les tribunaux pour avoir publié un dessin montrant le président indifférent au pillage d’un coffre par deux hommes masqués. Le procès s’est clos sur un acquittement. Mais la pression sur l’auteur a été forte.

Ces événements surviennent dans un contexte de vive tension politique. Le président turc est en guerre contre la puissante confrérie Gülen, qu’il accuse d’avoir voulu le chasser du pouvoir en suscitant contre lui voici un an des enquêtes pour corruption. Et il n’a eu de cesse, depuis, de l’affaiblir. La police turque est intervenue à la mi-décembre dans ce conflit, en procédant à une série d’arrestations au sein de deux médias proches de la confrérie, le quotidien Zaman et Samanyolu TV. Le directeur de publication du journal a été relâché. Mais le directeur de la chaîne a été inculpé d’«appartenance et direction d’une organisation armée».

Zaman a dénoncé le lendemain une «journée noire pour la démocratie». Un blâme lancé par d’autres médias. Le journal Hürriyet a parlé de «coup» asséné à la liberté d’expression. Et au sein même de la presse pro-gouvernementale, l’éditorialiste Abdulkadir Selvi s’est offusqué.

Cette levée de boucliers n’a pas beaucoup impressionné la police. Le 30 décembre, une journaliste a été placée en garde à vue pour un tweet critique envers le magistrat chargé des affaires de corruption touchant à l’entourage présidentiel. Et un journaliste d’investigation de Zaman a été interpellé pour la quatrième fois.

Dans son Classement mondial 2014 de la liberté de la presse, l’organisation Reporters sans frontières a placé la Turquie à la 154e place sur 180.

PAR ETIENNE DUBUIS/ Le Temps 6/1/2015

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f96da510-9517-11e4-a324-342caa6c994c/La_Turquie_dErdogan_naime_pas_les_dessins_de_presse

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