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Bruno Bertez : Tout est possible sauf le cash… «anything but cash»

Ce que l’on achète a moins d’importance que ce avec quoi on l’achète. Les liquidités resteront l’actif le plus onéreux de la planète en 2010.

LE PUBLIC VA VENIR S’EMPALER AU PLUS HAUT SUR LES PICS DES MARCHÉS D’ACTIONS APRÈS AVOIR ACHETÉ DES OBLIGATIONS CHÈRES ET À FAIBLE RENDEMENT.

 PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

 C’est la saison des prévisions. Nous ne cèderons pas à la tentation d’en faire. Nous n’avons pas envie de gloser sur les incertitudes. Nous n’avons pas envie d’entrer dans la séquence habituelle: d’un côté, il y a des aspects positifs, de l’autre, des aspects négatifs, et finalement, l’avenir sera en grande partie, et pour l’essentiel, la continuation du présent.

 Les prévisions sont produites:

1) par la situation présente

 2) par l’intérêt, le biais de l’émetteur, qu’il soit individu ou institution.

Nous avons retrouvé une prévision splendide faite en 2007 par Cotis, chef économiste de l’OCDE. Chef économiste de l’OCDE, ce n’est pas rien. Nous vous la livrons. «La situation économique présente est, sous de nombreux aspects, la meilleure que nous ayons connue depuis de nombreuses années… notre prévision centrale reste en effet peu alarmante avec un atterrissage en douceur aux Etats-Unis, une reprise forte et soutenue en Europe, une trajectoire solide au Japon, une activité qui reste à un haut niveau en Chine et en Inde». Et surtout «conformément aux tendances récentes, la croissance soutenue dans l’OCDE sera sous-tendue par de fortes créations d’emplois et une baisse du chômage». Excuseznous du détour, mais un retour en arrière est quelquefois plus utile qu’une prévision. D’ailleurs, un autre retour en arrière sur les affirmations de Bernanke, Paulson, Brown et d’autres, s’imposerait en ce début d’année. Ce serait un travail décapant, décillant.

 Nous sommes d’avis, vous le savez, que la situation fondamentale est très mauvaise. L’analyse de la crise a été escamotée. Les causes qui ont conduit à la catastrophe sont toujours présentes. Le surendettement et les excès de crédit n’ont pas été résorbés. Ils ont été transférés et multipliés. Les remèdes mis en oeuvre, qu’ils soient monétaires ou fiscaux, ont et vont provoqué une embellie. Cette embellie sera trompeuse. Au lieu de conduire à la prospérité, elle conduira à une nouvelle étape d’appauvrissement. Les remèdes n’en sont pas; ils sont eux-mêmes les causes des maux et difficultés futurs.

Les plus lucides disent les gouvernements se trompent, Bernanke n’a rien appris, rien compris, il n’a pas tiré les leçons de ce qui s’est passé entre 2000 et 2007. Ils sont proches de la vérité, mais simplement proches. Il faut mettre en cause les théories économiques et financières qui ont rendu possible la dérive. Il faut mettre en cause les pratiques et les institutions.

Tout cela est vrai, mais c’est insuffisant, car la vérité est que, ni les gouvernements, ni les banquiers centraux ne sont stupides. Ils savent que d’autres choix sont possibles, mais ce sont des choix politiques voire géopolitiques. Les remèdes qui ont été mis en place n’ont fait l’objet d’aucun débat. Ils ont été présentés comme techniques alors qu’ils représentent le plus grand transfert de richesses de tous les temps. La déclaration de fin d’année de Bernanke dans laquelle il exonère la Fed et la politique monétaire de la responsabilité des bulles est à prendre, non pas comme une preuve de son insuffisance intellectuelle, mais comme une preuve de sa mauvaise foi, au nom de la raison d’Etat.

Le choix américain de tenter de continuer comme avant est un choix politique et géopolitique.

Face à la mondialisation, face à la tendance à la baisse de leur influence dans le monde, face à la montée des compétiteurs stratégiques, ils sont obligés de choisir la fuite en avant. Il faut qu’ils continuent d’assurer le beurre et les canons, le beurre et l’argent du beurre. Quand ils auront épuiser les facilités de l’endettement, et ce ne sera pas en 2010 ou 2011, car la Chine est patiente, ils feront comme dans le passé, conversion forcée, répudiation, moratoire, et pourquoi pas contrôle des changes. Géopolitiquement, les Etats- Unis ont intérêt à continuer dans la voie qui leur permet de prolonger le plus longtemps possible leur position dominante en attendant l’implosion du système chinois.

Car les Américains considèrent, à notre avis à juste titre, qu’à terme, elle est inéluctable. Juste une question de temps. Le développement inégal entre les structures économiques, sociales et politiques en Chine, va obligatoirement provoquer des tensions, puis des réformes, puis des révolutions. Le développement de l’économie chinoise conduit obligatoirement à la remise en cause de ses structures sociales et politiques. C’est le pari américain.

Du côté des marchés, tout va bien.

La hausse du dollar est stoppée ou ralentie. Le carry qui permet d’acheter des actifs à risque à bon compte a repris. Le pétrole, l’or, les matières premières se sont ressaisies. Les actions sont sorties par le haut de la longue phase de consolidation qui a débuté mi-octobre. Mi-octobre, le S & P500 était dans la zone des 1100, il a buté pendant deux mois sur une résistance forte vers les 1120 pour finalement, à la faveur d’un marché de fin d’année étroit et déserté, sauter le pas. Il a maintenant validé la zone des 1150. Ce faisant, l’indice a gagné une sorte de zone de sécurité. Le passage difficile de la plage de résistance 1100/1120 ouvre la route d’une nouvelle étape de hausse dont le potentiel est aux alentours de 1250. En même temps, ce mouvement désigne cette zone des 1100/1120, ancienne résistance, comme un niveau futur de soutien. Voilà pourquoi nous disons qu’une zone de sécurité a été construite. Une sorte de base pour l’avenir. On notera que, depuis la mi-octobre, dans un marché qui a toujours donné une impression de force, on n’a gagné que 50 points, soit quasi rien.

Si on va plus loin dans le retour en arrière, on note que l’essentiel de la performance a été fait entre mars et septembre, plus de 60% de hausse et que, depuis la confirmation de la sortie de récession au troisième trimestre, on n’a gagné que quelques pourcents. Ceci est à retenir et confirme ce que nous exprimons un peu vulgairement: «le meilleur moment, c’est quand on monte l’escalier». Goldman Sachs l’exprime plus prosaïquement dans son Investment Outlook de 2010 «la phase d’espoir de la reprise est la plus rémunératrice ».

Goldman Sachs estime que les phases d’espoir durent en moyenne dix mois, cela nous mettrait à février/mars 2010. Elles sont suivies de phases de stabilisation de la croissance, beaucoup moins payantes pour les marchés.

Pour terminer cette petite incursion du côté de la grande machine à produire des profits financiers, Goldman Sachs s’attend à un afflux continu de liquidités sur les marchés d’actions au cours de la période de stabilisation de la croissance. Cet afflux de liquidités viendrait des investisseurs frileux qui sont restés jusqu’à présent en money market funds ou sont allés sur les fonds obligataires tout au long de 2009. Ces investisseurs prudents s’enhardiraient, ils feraient «un mouvement substantiel vers les actions».

Exactement, vous le remarquerez, le schéma que nous avons décrit dans nos dernières chroniques.

Après avoir acheté des obligations chères et à faible rendement, le public va venir, selon toute vraisemblance, s’empaler au plus haut sur les pics des marchés d’actions. C’est le schéma sur lequel travaillent les banques d’investissements, et qui, les mois précédents, ont vendu les obligations et acheté des actions. Rien d’étonnant si la phase de confirmation et de stabilisation de la reprise s’avère peu rémunératrice, malgré l’arrivée prévue de flux substantiels de liquidités: les demandes seront servies. Les provisions préalables ont été faites.

L’enjeu pour le Système, régulateurs, banques et gouvernements, est de continuer le momentum en cours afin de réussir cette transition au cours de laquelle le public sortirait des parkings des money market funds et fonds obligataires et viendrait relayer sur des prix élevés les acheteurs initiaux des actions. Nous retrouvons sous une forme sophistiquée, politiquement et socialement correcte, ce qui a été tenté à plusieurs reprises au cours de la crise de 1929 avec la mise en place explicite de cartels pour relancer les marchés et réaliser de tels transferts. La différence avec la période actuelle est que tout est plus soft, plus subtil. Nous ne sommes pas dans la manipulation, nous sommes dans le pilotage intelligent, à peine critiquable. Il n’y a pas de concertation ou conspiration, il y a simplement convergences bien comprises des intérêts du Système

EN COMPLEMENT :

Le scénario Goldie Lock domine

Nous avons analysé les scénarios produits par les grandes Banques 

 Quasi toutes sont positives.

La hausse va continuer en 2010. Le scénario dominant qu’elles développent est un scénario Goldie Lock.

Tout se passe bien, la reprise se développe doucement, sans inflation, la politique monétaire se resserre avec doigté; les taux d’intérêt montent gentiment; le financement des déficits des gouvernements est un peu difficile, mais il est couvert sans catastrophe. Plus de 50% des scénarios développés se retrouvent autour de ces idées directrices. Si on ajoute les scénarios qui ne divergent qu’à la marge, et qui ne comportent que de simples variantes, on obtient un tir groupé de 80%.

Les exceptions notables sont celles du Crédit Suisse et de Morgan Stanley.

 Le Crédit Suisse craint une crise de financement des gouvernements et un retour du problème de la dette fin 2010/début 2011; lorsque les besoins de financement du privé et du public se télescoperont. Hausse des taux, resserrement fiscal et retour au quantitative easing devraient être les conséquences de cette crise de financement des gouvernements. Si on y ajoute la perspective d’un vif resserrement chinois, on obtient un retournement de l’économie et des marchés fin 2010, début 2011.

Morgan Stanley, de son côté, prévoit une baisse des actions en 2010 après un début positif. L’expiration ou le retrait des stimulus, le resserrement des politiques monétaires vont se conjuguer pour affaiblir les marchés et les économies. Le doute sur la croissance et les incertitudes sur l’économie vont provoquer une forte correction qui sera suivie d’une longue évolution latérale.

Vous remarquerez que nous n’avons parlé dans cet article, ni des profits, ni de l’expansion des multiples cours/bénéfices.

 L’année 2010 ne sera pas «business as usual». Ce que l’on achète a moins d’importance que ce avec quoi on l’achète. Les marchés restent des marchés de flux et de liquidités. Comme le dit la Société Générale, par la bouche d’Alain Bokobza, sur CNBC, «anything but cash». Tout sauf le cash. Acheter n’importe quoi, les liquidités restent l’actif le plus onéreux de la planète. (BBZ)

 BRUNO BERTEZ agefi janv10

BILLETS PRECEDENTS : Matières Premières : Bienvenue dans la Bernanke Trap par Bruno Bertez (cliquez sur le lien)

Bruno Bertez : Marchés/L’année de tous les dangers (cliquez sur le lien)

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