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Wagner contre Poutine : les mercenaires se rebellent

Wagner contre Poutine : les mercenaires se rebellent

contrepoints.org

5 min

June 24, 2023

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Nouveau rebondissement dans le conflit Russie-Ukraine : le régiment Wagner, une société militaire privée censée être proche du Kremlin, vient de se mutiner contre le pouvoir russe. L’oligarque Evgueni Prigojine, dirigeant du groupe Wagner, a lancé ses forces (qu’il estime à 25000 soldats) en Russie. Dans la nuit du vendredi au samedi 24 juin 2023, ils ont pris le contrôle du centre de commandement militaire à Rostov, au sud de la Russie et à l’est de l’Ukraine.

Comme dans tout conflit et crise, il est difficile d’avoir une vision exacte des évènements et de faire des prédictions. Toutefois, plusieurs points se concrétisent sur la situation interne de la Russie. De plus, compte tenu du poids de Wagner dans la stratégie internationale russe, cette rébellion aura des conséquences.

Wagner : d’alliés à ennemis du Kremlin

Evgueni Prigojine, chef et financier du groupe Wagner, est à la base un oligarque qui a fait fortune dans la restauration et qui s’est rapproché de Vladimir Poutine après les années 2000. Il est aussi suspecté de posséder plus de 400 sociétés dans des domaines divers : des médias en ligne, des mines d’or ou de diamants, des entreprises d’extraction d’hydrocarbures, des sociétés de consultants ou d’ingénierie politique.  En 2014, il co-fonde, avec Dmitri Outkine, le groupe paramilitaire Wagner qui va peu à peu servir de force de l’ombre pour Moscou dans les interventions extérieures de la Russie.

Il a ainsi été présent en Syrie (en soutien au régime de Bashar Al Assad) et en Afrique. Ces dernières années, Wagner mène sur ce continent une campagne active d’influence contre l’Europe et la France. Le but étant d’amener l’Afrique à se tourner vers la Russie.

C’est surtout dans le conflit ukrainien que le groupe va faire parler de lui. Son fort activisme sur le terrain, avec des troupes composées à la fois de vétérans, mais aussi des bataillons pénaux (des prisonniers recrutés en promesse d’une amnistie) va en faire un atout pour le Kremlin.

Néanmoins, l’usure du conflit a amené des tensions de plus en plus fortes entre Wagner et le gouvernement russe. Et ce tout particulièrement avec le ministère de la Défense. Si officiellement, Wagner est indépendant du pouvoir russe, dans les faits, il est de plus en plus lié au ministère de la défense russe sur des questions de logistique et d’armement. Des tensions apparentes étaient déjà présentes depuis plusieurs mois : Prigojine accusait en février 2023 le ministère de la Défense de trahison du fait des pertes russes en Ukraine.

Elles sont encore montées d’un cran quand le ministère de la Défense a demandé à ce que, d’ici le , tous les membres de Wagner aient signé un contrat avec lui. Ce qui aurait abouti à une prise de contrôle totale du régiment par le gouvernement.  Le vendredi 23 juin,  Prigojine a accusé des forces russes d’avoir bombardé les troupes de Wagner. Cela a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres.

Des affrontements claniques qui ne sont pas nouveaux en Russie

Cette situation actuelle n’est pas une anomalie en Russie, qui est un pays qui a eu, dans toute son histoire, une politique clanique. Différentes factions se sont toujours affrontées pour contrôler le pouvoir.

Poutine lui-même n’y échappe pas : le cœur de son pouvoir reposant sur les Siloviks, services de sécurité dont il est issu (FSB) et sur les politiciens de Saint-Pétersbourg, sa ville natale.

De même, l’utilisation de la violence armée entre forces politiques a été utilisée jusqu’à une période récente. La crise constitutionnelle russe de 1993 en est un exemple avec le président Eltsine qui envoie l’armée contre le parlement qui souhaitait le démettre de ses fonctions.

Toutefois, la crise actuelle avec Wagner s’inscrit dans un contexte où la Russie est engagée dans un conflit à forte intensité.

Un tournant pour Poutine

En l’état actuel des choses, il est difficile de prévoir le résultat de la tentative du coup d’État par Wagner. Le facteur déterminant dépendra principalement des forces armées russes régulières. On notera que le président tchétchène Kadyrov, qui s’était auparavant rangé du côté de Wagner quand il s’agissait de critiquer le gouvernement sur l’Ukraine, vient d’affirmer son soutien à Poutine et appelle à écraser la rébellion.

De son côté, Vladimir Poutine, dans son discours donné samedi matin, a comparé les évènements actuels à ceux de 1917 avec la révolution bolchevique qui renverse le régime du tsar pendant une guerre avec l’étranger.

Plusieurs scénarios peuvent avoir lieu :

Le premier est une reprise en main rapide par le Kremlin. La rébellion de Wagner est maîtrisée. On peut imaginer que Poutine en profite pour organiser de « grandes purges » contre les oligarques et les nationalistes critiques envers le Kremlin.

L’autre scénario est un pourrissement de la situation qui peut se transformer en guerre clanique entre différentes factions armées. Avec comme conséquence une situation peu tenable pour Poutine, qui avait fait du cœur de sa politique, le retour de l’ordre en Russie.

Quelles conséquences à l’international

Une telle situation est évidemment une aubaine pour l’armée ukrainienne qui peut profiter du conflit interne en Russie pour continuer sa contre-offensive. On peut toutefois se demander si la tentative de coup d’État de Wagner ne pourrait pas être utilisée comme porte de sortie par Poutine si la situation devient de plus en plus désavantageuse pour lui en Ukraine.

Toutefois, sur les autres domaines d’opération de Wagner, il s’agira de suivre le déroulement des événements en Russie. Dans l’immédiat, cela paralyse la stratégie russe liée à Wagner.

Si seule la direction du groupe Wagner est éliminée et que le reste du groupe est mis sous contrôle du gouvernement, alors il faut s’attendre à une continuité de l’influence russe à moyen terme.

Si Wagner est décimé dans son ensemble ou si la situation pourrit en Russie, cela imposerait à Moscou de revoir sa stratégie dans ces régions. Laissant la place à d’autres pays et acteurs. 

N’était-ce qu’une question de temps avant que Prigojine ne se révolte… et que lui a-t-on promis pour qu’il stoppe la percée de Wagner vers Moscou ?

Les services de renseignement américains pensent que Evugeni Prigojine, le chef du groupe Wagner, envisageait de se révolter depuis un certain temps. Vendredi et samedi, il s’était retourné contre le Kremlin, mais entre-temps, après des négociations avec le dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko, il a rebroussé chemin.

Dans l’actu : Plusieurs sources gouvernementales anonymes ont déclaré aux médias américains que Prigojine voulait se révolter dès la mi-juin.

Prigozhin « exilé » en Biélorussie en échange de la paix, les charges criminelles contre lui sont abandonnées : Que s’est-il passé ?

Cette tentative de coup d’État tout à fait bizarre, qui a duré un peu moins de 24 heures, vient de devenir encore plus étrange, étant donné les termes de la trêve qui a manifestement poussé Evgeny Prigozhin à annoncer que ses colonnes de chasseurs Wagner feraient demi-tour et retourneraient à leurs bases.

Le Wall Street Journal a confirmé, sur la base des déclarations du Kremlin, que « dans le cadre de l’accord, Prigozhin quittera la Russie pour la Biélorussie et les poursuites pénales à son encontre seront abandonnées, a déclaré le porte-parole de Poutine, Dmitri Peskov. Ses combattants seront autorisés à signer des contrats avec l’armée russe ».

Une chaîne russe fournit quelques détails supplémentaires sur la base de la déclaration de Peskov :

« Il a ajouté que les combattants de Wagner ne seront pas persécutés, compte tenu de leurs efforts sur les lignes de front du conflit ukrainien. Peskov a expliqué que l’équipe du président Vladimir Poutine « a toujours respecté leurs exploits ».

Les sous-traitants de PMC qui ont refusé de prendre part à la mutinerie – et des unités entières ne l’ont pas fait – seront autorisés à signer des contrats avec le ministère russe de la défense, a déclaré Peskov.

Peut-on même parler d’ »exil » ? étant donné que les déclarations du Kremlin à ce stade n’utilisent même pas le mot, qui a une implication punitive évidente. L’ironie de la chose, c’est que l’on peut se voir infliger une peine bien plus sévère pour de simples stylos à vapeur de cannabis dans le pays. En résumé :

  • abandon des charges contre Prigozhin, qui quittera la Russie pour la Biélorussie.
  • Les combattants de Wagner qui n’ont pas participé au soulèvement signeront des contrats avec le ministère de la défense.
  • Les combattants de Wagner qui ont participé au soulèvement ne sont pas inculpés.
  • Rien n’est dit sur d’éventuels changements à la tête du ministère de la défense.

Ce qui est clair, c’est que le conflit semble bel et bien terminé et qu’il n’y a plus de risque immédiat de conflit civil :

 

Malgré cette tape sur les doigts (si tant est qu’il y en ait une), le Kremlin continue de parler de « fermeté » :

« Les aspirations aventuristes des comploteurs visent essentiellement à déstabiliser la situation en Russie, à détruire notre unité et à saper les efforts de la Russie pour assurer de manière fiable la sécurité internationale », a déclaré le ministère des affaires étrangères. « La mutinerie fait le jeu des ennemis extérieurs de la Russie. »

« La tentative de mutinerie armée dans notre pays a suscité une forte désapprobation dans la société russe, qui soutient fermement le président Vladimir Poutine« , a déclaré le ministère des affaires étrangères.

Quoi qu’il en soit, les spéculations ont commencé, et vont probablement se poursuivre dans les jours et les semaines à venir, sur ce dont le monde vient précisément d’être témoin…

 

Une théorie semble aussi valable qu’une autre à ce stade, compte tenu encore une fois du spectacle ultra-bizarre de toute la « marche pour la justice » sur Moscou… par des convois de mercenaires lourdement armés.

 

Et puis, il y a eu les fortes pressions exercées par le ministère de la défense pour dissoudre Wagner au milieu des tensions et de la guerre des mots qui couvaient depuis longtemps :

 

Il y a toujours la théorie de la « main cachée » étrangère derrière toute insurrection majeure comme celle-ci, surtout lorsqu’il s’agit d’un ennemi des États-Unis et de l’OTAN…

 

 

Enfin, le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a peut-être raison : l’avidité et la gloire à l’ancienne (contre lesquelles Machiavel a mis en garde dès le XVIe siècle). Voici ce que dit Kadyrov des actions de Prigozin :

« Je pensais que certaines personnes étaient dignes de confiance. Qu’ils aimaient sincèrement leur patrie comme de vrais patriotes jusqu’à la moelle de leurs os. Mais il s’est avéré que pour des raisons d’ambitions personnelles, de profit et d’arrogance, les gens se fichent éperdument de l’affection et de l’amour de la patrie ».

Peut-être que la vérité finira par émerger des événements de ces dernières 24 heures, mais ce qui est clair, c’est que Moscou veut faire disparaître tout cet épisode aussi rapidement que la crise a commencé, et qu’elle n’envisage même pas d’arrêter Prigozhin pour que cela se produise. Il va maintenant « s’en aller » tranquillement… peut-être pour prendre quelques vacances, dans la Biélorussie voisine.

Les événements de Russie ont pris de court la plupart des observateurs. Mal à l’aise, les pro-russes ont d’abord maladroitement tenté de minimiser la chose avant de partir aux abonnés absents. Les médias occidentaux, quant à eux, sont en peine d’expliquer comment ils sont passé d’un « Poutine dictateur régissant son pays avec une main de fer » à un « Poutine qui sera renversé demain » et tremblent à l’idée de devoir choisir entre les mercenaires de Wagner et les Tchétchènes de Kadyrov dans l’affrontement qui se prépare peut-être dans les prochaines heures à Rostov. Les Ukrainiens se mettent à applaudir follement Wagner qu’ils vilipendaient il y a quelques jours encore, tandis que les spécialistes du dimanche se perdent dans les théories les plus éclectiques (complot russe pour attirer Kiev dans un piège, Prigojine manipulé par la CIA…)

En réalité, la situation n’est pas si étonnante que cela. Elle est même récurrente dans l’histoire. Quand une guerre tourne au fiasco, les langues commencent à se délier ; puis, si le pouvoir est traversé de courants contradictoires voire de guerres intestines, c’est au tour des bras et des armes qu’ils tiennent.

La rébellion de Wagner était, en tout cas initialement, dirigée contre les hauts pontes militaires, même si la petite musique prigojinienne consistant à vitupérer la bureaucratie et l’impuissance de l’État peut parler à des couches non négligeables de la population russe. De plus, sur le papier, le déséquilibre des forces est assez flagrant ; sans ralliements massifs d’une partie de l’armée et/ou de la société, l’on a du mal à voir comment la petite aventure wagnérienne pourrait arriver au terme de la symphonie.

Toutefois, les mesures d’urgence prises par les autorités – check points autour de Moscou, avis à la population, routes bloquées et parfois éventrées pour ralentir l’avance – montrent qu’elles ne prennent pas du tout l’affaire à la légère. Pour la Russie, après vingt ans de relative stabilité, c’est un énorme bond en arrière qui fait furieusement penser… aux années Eltsine.

*** MAJ ***

Prigojine aurait donc, selon les dernières informations, décidé de renoncer à son escapade après des heures de négociation avec Loukachenko. On imagine que cela s’est accompagné de solides garanties (la tête de Shoïgu et de l’état-major ? Nous verrons dans les jours prochains car nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises…)

Cet épisode montre en tout cas une étonnante fébrilité, pour ne pas dire faiblesse au sein du pouvoir russe. Un mercenaire qui règle ses comptes en faisant une Pougatchev au nez et à la barbe de l’armée et se balade de manière menaçante sur l’autoroute de Moscou sans réaction en face. Un Poutine qui voit son autorité publiquement sapée – « Nous allons destituer le président » avait crânement lancé le Prigo – après avoir prononcé un discours matinal non moins surprenant qui évoquait 1917 (a-t-il senti, comme Nicolas II, que ses heures étaient comptées ?) Une chaotique lutte des clans digne des pires années Eltsine.

La guerre en Ukraine – l’indépassable pivot géopolitique du grand échiquier eurasien théorisé par Mister Zbig – n’a pas fini de provoquer des remous au cœur du Heartland…

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6 réponses »

  1. Juste pour dire que les troupes de Wagner sont maintenant en Biélorussie…
    Alors, astuce du Kremlin ????

    • Je tendrai à penser comme vous : « astuce du Kremlin ».
      Dimanche soir, j’ai laissé un commentaire, ici même, expliquant pourquoi : il suffit de regarder les cartes et l’on comprend vite que, pour déplacer discrètement, une troupe armée sur près de 2.500 km, il faut trouver quelques… astuces !
      Depuis le début de cette affaire d’Ukraine, il suffisait de s’attarder sur les cartes pour évaluer ce qui risquait de se passer autour de cette Mer Noire où l’OTAN trouve le moyen de venir pratiquer ses « exercices militaires maritimes » !
      Cependant, dès lors qu’un modus vivendi sera trouvé en Ukraine (où, parsemé d’infrastructures stratégiques et trop facile à franchir, il est peu probable que le Dniepr puisse constituer une frontière naturelle), il restera un point noir à résoudre, sur la Mer Noire : celui de la Bulgarie, pour une double raison
      – celle de lui faire assumer sa traitrise à propos de la Yougoslavie, ainsi que son inféodation à l’OTAN.

  2. J’en pense toute autre chose et je serais, plutôt, dans le sens de « l’astuce du Kremlin » (de Geoffroy).
    Ce qui m’a intrigué, c’est le commentaire « La tention est palpable », de Cedric Mas (qui fait le reporter depuis Rostov) et sa vidéo où, pendant que des militaires jouent aux petits soldats au milieu des trottinettes électriques, une foule de badauds se montre très intéressée.
    https://twitter.com/CedricMas/status/1672480177891188736/video/2

    Alors que Prigojine et ses troupes (Wagner) sont sur la ville frontalière de Rostov à l’autre bout de la Mer d’Azov, où ils n’ont plus grand chose à faire, pas plus qu’à Marioupol ou en Crimée, ni même à Odessa,
    La question se pose de rapatrier, en douce, Kadyrov avec ces « héros de la libération du Donbass » sur un site stratégique, tout au moins vers Kiev.

    Finalement, tant qu’à être près de Kiev, autant viser Lviv, également : Minsk (Biélorussie) se trouve sensiblement à égale distance de Lviv et de Kiev (à peine une journée), tout près de la Pologne où l’OTAN s’est acheté quelques pied-à-terre …tout en restant prudemment assez loin de Moscou…

    Soudain, parce qu’il faut tenir les spectateurs en haleine pendant qu’une troupe se déplace sur 2.500 km, surgit un canevas digne des calembours de Guignol le Lyonnais dans un castelet de l’OTAN :
    – l’ami de 30 ans de Poutine va s’adonner « au coup de poignard dans le dos » et jouer le Père la menace contre la Grande Russie,
    – le Tchétchène Kadyrov va laisser tomber ses attentats dans le métro de Moscou; ses assassinats et ses tortures, pour voler au secours de son meilleur sponsor, Poutine
    – …au passage, Google News est bloqué et Twitter aussi… c’est quand même mieux de ne pas courir le risque de la désinformation !

    Pendant ce temps, le musicien de l’Ukraine sort son piano à queue pour pousser la chansonnette façon Charlebois : « Je reviendrai à Bakhmout, écouter le vent de la mer » ; …sauf que, pour monter vers Moscou, ou tout au moins pour rejoindre Minsk via Lipetsk, l’ami de 30 ans va passer tout près de Bakhmout…

    Mon point de vue n’est peut-être pas très académique, mais, autant ce genre de trahison peut être envisagée de la part de Kadyrov, autant cela me semble à peu près impossible de la part de Prigojine qui parait avoir des liens très personnels avec Poutine.

    • Pour info – Mardi-22h : le lien que vous donnez « n’est pas disponible »…

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