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La mutinerie de Prigojine, une mascarade qui n’avait aucune chance de réussite

La mutinerie de Prigojine, une mascarade qui n’avait aucune chance de réussite

reinformation.tv

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La mutinerie d’Evguéni Prigojine a occupé tous les esprits au cours du week-end, créant l’illusion d’un danger mortel pour le pouvoir russe et spécialement pour Vladimir Poutine, avant de se dissoudre aussi vite qu’elle était apparue, au grand dam d’une communauté internationale qui semblait n’y rien comprendre. Soyons clairs : nous ne connaissons pas tous les tenants et aboutissants de cette opération qui a porté un contingent de l’armée privée Wagner quasiment aux portes de Moscou. Mais elle pose de multiples questions, surtout dans le contexte d’un pays, la Russie, où les services secrets ne peuvent certainement pas se voir taxer d’amateurisme. A tel point que cela ressemble bien davantage à une mascarade qu’à une mutinerie ; une mascarade sans réussite possible.

Sur le terrain, tout a commencé avec la diffusion d’une vidéo où Prigojine, le 23 juin, accusait vertement les hauts responsables de l’armée russe ainsi que sa tête de Turc personnelle, le ministre de la défense Serguei Choïgou, d’incompétence, de responsabilité directe dans nombre de morts de la milice Wagner par le refus d’envoyer des munitions en quantité suffisante aux troupes combattant en Ukraine. Il dénonçait également la politique russe qui avait envoyé des « dizaines de milliers de soldats russes » à la mort.

La mascarade de Prigojine ne risquait pas de faire tomber Poutine

Ce n’était pas nouveau mais le ton montait et, le samedi 24 au matin, quelque 4.500 miliciens (ou 8.000 selon d’autres sources) « prenaient » la ville de Rostov-sur-Don (un million d’habitants), avec Prigojine à leur tête, de l’autre côté de la frontière ukrainienne, comme le montrent des vidéos où l’on voit la population locale évoluer tranquillement au milieu des chars.

La colonne s’élançait alors vers Moscou, ayant – selon des informations qui ne semblent pas avoir été confirmées – abattu six hélicoptères et un avion russe sans guère provoquer de riposte.

Entre-temps, dans un discours aussi solennel que tendu, Vladimir Poutine donnait corps à l’événement en dénonçant une « mutinerie armée », un « coup de poignard dans le dos » de la Russie ; il se dressait contre la « menace mortelle » et le « risque de guerre civile » consécutif à la rébellion de Wagner et de son chef, faisant même un parallèle avec la révolution de 1917 (avec lui en Tsar assiégé ?), accusant à mots couverts les « néo-nazis » de l’étranger de profiter, voire d’avoir suscité cette rébellion.

Mais Moscou, Poutine, le gouvernement russe étaient-ils réellement menacés par l’avancée de ces mercenaires ? On peine à le croire, car si Wagner comporte – à ce qu’on dit – quelque 25.000 troupes, c’est une paille comparée à l’armée russe et son million d’hommes. Et si Wagner (et Prigojine) ont beaucoup d’argent, il n’en va pas de même pour les armes, qui en définitive sont seules capables de décider de l’issue d’une telle attaque. Et si la riposte contre une telle opération peut sembler plus difficile dans un cadre urbain, quatre colonnes de miliciens montant vers Moscou, cela s’élimine somme toute assez facilement pour qui dispose d’une aviation militaire organisée et importante. On peut imaginer que la démarche de Prigojine ait été approuvée par l’armée régulière russe, qui se serait délibérément abstenue d’opposer une résistance à ce qu’on a qualifié de « tentative de coup d’Etat » – mais cela ne tient pas face à la réalité des faits.

Une mutinerie aux portes de Moscou ?

Arrivé tout près de Moscou, en effet, Prigojine a fait volte-face, affirmant, depuis une localité non précisée, vouloir éviter le « bain de sang » à ses hommes. Rostov s’est également vidée de ses wagnériens. Le cabinet du président du Bélarus, Alexander Lukashenko, a alors expliqué qu’avec l’approbation de Poutine, son allié – ami personnel de Prigojine – avait négocié un accord avec ce dernier.

Selon le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, Prigojine a accepté de s’exiler en Biélorussie en échange de la promesse de la levée des poursuites à son encontre relatives à la mutinerie. Les hommes de Wagner se verraient offrir des contrats en bonne et due forme avec l’armée (ils ont d’ailleurs été renvoyés au front en Ukraine). On dit pourtant que la rébellion a eu notamment pour motif le refus de voir la milice privée passer sous le contrôle de l’armée russe. Tout ça, pour ça ? Accepter de se retirer contre la promesse d’obtenir ce que l’on combattait, et pour faire lever des poursuites qui n’auraient pas été déclenchées si l’opération n’avait pas eu lieu ? Selon trois agences russes, au demeurant, l’enquête contre le chef de Wagner demeure ouverte ce lundi.

On dit aussi que les services secrets russes – décidément très présents dans cette affaire – ont menacé de « faire du tort » aux chefs de Wagner si l’opération n’était pas arrêtée. Cela non plus ne serait pas nouveau.

Il semble qu’un « millier » de véhicules de Wagner se soient approchées de de Moscou à 200 km (selon Prigojine), avant cette volte-face, ayant été attaqués au préalable une seule fois en cours de route par l’aviation russe. Peut-on sérieusement penser qu’ils auraient eu une chance de remporter un coup d’Etat s’ils étaient remontés plus loin, jusque dans la capitale ?

Et quel est leur état d’esprit aujourd’hui ? On peut voir des vidéos en ligne de membres de « Storm-Z » (qui comptent un bon nombre de criminels ex-prisonniers libérés pour s’engager avec Wagner) accusant leur chef de « lâcheté » et de « trahison » à leur égard.

Les services secrets russes et occidentaux au courant de la mutinerie de Prigojine

Mais la vraie question se pose en amont de cette mascarade. Les services secrets, aussi bien en Russie que du côté des Etats-Unis, sont réputés avoir eu connaissance de ce que Prigojine préparait quelque chose une dizaine de jours avant les faits. Comment cela ? Il fallait bien qu’il y ait des hommes des services secrets dans son entourage, et on imagine mal que le pouvoir russe n’ait pas surveillé de près cet homme, et son groupe armé, à la fois utiles et dangereux. Pourquoi ne pas l’avoir éliminé aussitôt ? Pour les services, cela relève du travail ordinaire…

Autre élément qui révèle le côté grotesque de l’affaire : on ne détruit pas un système comme le système russe en détruisant un homme. Prendre le pouvoir au Kremlin eût exigé un vrai projet, y compris à l’égard de la population : cela ne se fait pas sans préparation idéologique et psychologique. Ce n’est pas une virée de mercenaires qui peut faire trembler le pouvoir.

Toutes proportions gardées, on pense à Boris Eltsine juché sur son char en 1991 pour « barrer la route » aux putschistes communistes, et obtenant leur reddition. Voilà qui a laissé croire que le communisme était vaincu, alors que la perestroïka organisait sa mutation.

Quelle réussite, pour qui ?

On se demande aujourd’hui à qui profite le « crime » de Prigojine, et les spéculations vont bon train. Pour les uns, il s’est laissé acheter par l’OTAN, mais cela supposerait qu’il ait cru possible, contre une somme hypothétique, de déstabiliser le pouvoir russe avec ses 4.500 hommes aux portes de Moscou… Risible. Pour d’autres, l’affaire a été soigneusement montée en interne en Russie pour laisser Prigojine rejoindre l’allié Biélorusse, déjà dépositaire de têtes nucléaires russes, avec un contingent, pour mieux descendre vers Kiev toute proche, en même temps que sa montée vers Moscou permettait un déploiement des forces russes plus près de la frontière.

Toutes sortes de constructions d’apparence logiques sont possibles, finalement – y compris l’effet tout simple de « l’hommerie » ordinaire, mais sur le terrain d’une personnalité démesurée ? Poutine en sort-il grandi ? Affaibli ? Là encore, difficile de se faire une opinion, et d’ailleurs cela n’a pas si grande importance, si l’on veut bien admettre que dans un système qui fonctionne toujours selon le modèle soviétique à bien des égards, voire en constitue le prolongement dissimulé comme l’annonçait déjà au début des années 1980 un Anatoliy Golitsyne, l’important n’est pas l’homme qui tient le poste, mais l’exécution du pouvoir selon le « plan ».

En somme, il faudra attendre et voir. Une chose est acquise : la Russie a travaillé avec Wagner sans le moindre problème, que ce soit en Afrique, au Venezuela ou en Ukraine, et elle ne cessera pas. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a d’ores et déjà annoncé que le groupe continuera ses opérations au Mali et en République Centre-africaine. Il a déclaré dans un entretien avec Rt.com que la révolte n’affecterait pas les liens de la Russie avec ses « partenaires et amis ».

Jeanne Smits

Prigozhin demeure défiant dans son premier message audio expliquant la mutinerie

L’entreprise de mercenaires Wagner continuera-t-elle d’exister ou non ? Prigozhin sera-t-il davantage puni ou peut-être emprisonné à l’avenir, ou se contentera-t-il de diriger son armée privée depuis un hôtel chic de Minsk ? Wagner restera-t-il une force de frappe importante sur le champ de bataille ukrainien ? Telles sont quelques-unes des grandes questions qui restent sans réponse après les bouleversements choquants du week-end déclenchés par Prigozhin. Mais ce qui est clair, c’est qu’il continue à défendre ses actions comme étant nécessaires, tout en s’en prenant une fois de plus au ministère russe de la défense et à ses dirigeants.

Le fondateur et chef de Wagner a publié lundi sa première explication complète de ses actions qui ont commencé vendredi, déclenchant la première crise interne majeure de la Russie depuis la guerre en Ukraine, qui a été accueillie par des dénonciations de « trahison » et de « mutinerie armée » par le président Poutine ainsi que par les plus hauts commandants militaires.

L’analyste géopolitique Dmitri Alperovitch a proposé une traduction et une paraphrase hâtives du message audio d’environ 11 minutes posté sur la chaîne Telegram de Wagner. Alperovitch conclut que « Prigozhin reste défiant et fier de son action. Il n’agit certainement pas comme un homme qui a été vaincu ». Et il n’y a « aucune information sur l’endroit où il se trouve actuellement ».

Tout d’abord, quelques éléments clés tirés de Bloomberg :

  • La marche vers Moscou a mis en évidence de graves problèmes de sécurité dans le pays, a-t-il déclaré dans un enregistrement publié sur Telegram, sans préciser d’où il s’exprimait
  • Prigozhin a déclaré qu’il avait lancé la marche parce qu’il voulait préserver Wagner en tant que groupe militaire et ne pas passer sous le commandement du ministère de la défense.
  • Le président biélorusse Alexander Loukachenko a aidé à trouver une solution négociée aux événements du week-end, confirme-t-il.

La traduction et la paraphrase rapide du nouveau message audio de Prigozhin expliquant sa rébellion peuvent être consultées ci-dessous…

* * *

Prigozhin confirme que la mutinerie était due à l’ordre donné par Choïgou le 10 juin de dissoudre les sociétés paramilitaires comme Wagner. Il affirme à nouveau que le camp a fait l’objet d’une attaque au missile le vendredi et que 30 membres du personnel de Wagner ont été tués.

Il affirme que l’objectif de la marche n’était pas de montrer de l’agressivité (ndlr : étrange façon de le faire). Les colonnes ont parcouru 780 km. Il affirme que personne n’a été tué… sur le terrain (et que les pertes des pilotes ne sont pas de sa faute – ils l’ont provoqué).

Il indique que la colonne Wagner a subi 2 morts en action (mais il précise qu’il ne s’agissait pas de leur personnel mais de personnel du ministère de la Défense qui les avait rejoints), ainsi que plusieurs blessés.

Prigozhin : « L’objectif de la marche était de ne pas laisser le PMC Wagner être dissous et de demander des comptes aux dirigeants militaires pour les erreurs commises pendant la guerre ».

Prigozhin : Nous nous sommes arrêtés lorsque nous avons réalisé qu’il y aurait une bataille et beaucoup de pertes près de Moscou. Nous avons estimé que la manifestation qui avait eu lieu jusque-là était suffisante.

Prigozhin : Notre décision de faire demi-tour était basée sur deux facteurs :

1. Nous ne voulions pas d’effusion de sang russe (ndlr : c’est ce que vous avez fait).

2. Nous sommes allés à une manifestation de protestation, pas pour renverser le pouvoir au Kremlin.

Prigozhin : Loukachenko a proposé une solution pour préserver Wagner (ndlr : comme je l’ai dit, il s’agit de ses intérêts commerciaux avec Wagner).

Prigozhin : En 24 heures, Wagner a parcouru la même distance que les forces russes auraient pu parcourir le 24 février 2022 entre Kiev et Uzgorod (l’une des villes les plus à l’ouest de l’Ukraine) – si elles avaient été aussi préparées que Wagner, la guerre aurait pu être terminée en un jour.

Prigozhin : Les citoyens russes nous accueillaient avec des drapeaux russes et des drapeaux de Wagner. Ils étaient ravis de nous voir et continuent à nous écrire aujourd’hui encore. Certains sont déçus que nous nous soyons arrêtés parce qu’ils ont vu dans notre marche un soutien à la lutte contre la bureaucratie gouvernementale.

 

Prigozhin reste défiant et fier de son action. Il n’agit certainement pas comme un homme qui a été vaincu. On ne sait pas où il se trouve actuellement.

 

« Les régimes jadis opposés par l’idéologie sont maintenant étroitement unis par la technique »

Chaque jour […] nous apporte la preuve que la période idéologique est depuis longtemps dépassée, à New-York comme à Moscou ou à Londres.

Nous voyons la Démocratie impériale anglaise, la Démocratie ploutocratique américaine et l’Empire marxiste des Dominions Soviétiques sinon marcher la main dans la main — il s’en faut ! — du moins poursuivre le même but, c’est-à-dire maintenir coûte que coûte, fût-ce en ayant l’air de le combattre, le système à l’intérieur duquel ils ont tous acquis richesse et puissance.

Car, à la fin du compte, la Russie n’a pas moins tiré profit du système capitaliste que l’Amérique ou l’Angleterre ; elle y a joué le rôle classique du parlementaire qui fait fortune dans l’opposition.

Bref, les régimes jadis opposés par l’idéologie sont maintenant étroitement unis par la technique.

[…] Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté.

Georges Bernanos – La France contre les robots (1947)

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3 réponses »

  1. il y a une véritable différence de fond entre d’un coté les hommes « de Terrain » qui vivent directement les Evènements Factuels de la Guerre, et de l’autre la Bureaucratie Militaire et Ploutocratique « Oligarchique »…
    Sur Le Fond Prigojine, et il n’est pas le seul car beaucoup de Familles Russes qui ont perdu des soldats (souvent jeunes) parmi leurs proches, pensent que si Le Gouvernement Russe et L’Armée avaient mis le paquet dès le début, cette guerre aurait été réglée en 10 jours, et Zelinsky aurait été pendu par les couilles, évitant au passage des milliers de morts parmi les soldats Russes….
    Et il y a beaucoup de militaires « couillus » qui le pensent aussi sans l’exprimer ouvertement….
    De Fait je vois désormais Poutine et son Staff visibles au grand jour, dans une situation fragilisée (qui couvait en souterrain), où il peuvent potentiellement faire l’objet d’un Coup D’Etat par des groupuscules militaires menés par des généraux, qui veulent agir rapidement et efficacement pour en finir au plus vite, et en évitant toute escalade, afin d’etre efficaces tout en limitant le nombre de morts parmi les soldats et civils Russes.
    Le Coup de Prigojine ne serait dans ce cas que la partie émergée de L’Iceberg, de ce qui se pense et se mijote doucement mais surement en souterrain…
    KIEV est à seulement 100 km de la Biélorussie, soit 1 heure 30 de route en prenant son temps … S’ils voulaient se serait faisable, et celà forcerait les pions de Washington, Zelinsky en tete, à devoir s’assoir « de Force » à une Table de Négociations pour y signer une Réddition sans condition ….

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